Sous le label CD NoMadMusic Les Pléiades, un sextuor à cordes féminin
Ludwig van Beethoven – Arnold Schönberg
Mise en interprétation parallèle de deux génies révolutionnaires de la musique, Beethoven à cheval entre le XVIIIe et le XIXe siècles qui, cassant les codes du classicisme, formes, non seulement ouvre la voie au romantisme mais à la modernité musicale par ses audaces harmoniques et tonales et Arnold Schönberg qui, chevauchant les XIXe et XXe siècles en pousse au bout les conséquences en rompant avec la tonalité, créant, sinon inventant la musique atonale.
Cependant, avec ces deux œuvres, la Symphonie en fa majeur Op.68 n°6, dite « Pastorale de Beethoven de 1808 qui ouvre le siècle et Verklärte Nacht Op.4 , ‘La Nuit transfigurée’ d’Arnold Schönberg qui le clôt symboliquement en 1899 aucun de ces deux compositeur n’a encore abouti sa révolution, même si on en pressent les évolutions.
Certes, Beethoven, avec sa symphonie en cinq mouvements, s’éloigne du moule canonique classique de Mozart et Haydn qui marquait encore sa première symphonie. Il y a tout le devenir en germe de ses futures œuvres : son sous-titre, Symphonie Pastorale, ou « Souvenir de la vie rustique, plutôt émotion exprimée que peinture descriptive », l’ancre bien dans une sensibilité nouvelle. Cependant, sa finesse, tendresse, rappellent davantage une douceur de vivre d’autrefois, que ces temps héroïques mais guerriers du contexte historique hanté par le libérateur Bonaparte vénéré devenu Napoléon tyrannique abhorré. Cette musique est une parenthèse heureuse dans la vie tourmentée de Beethoven. En 1810, l’organiste Michael Gotthard Fischer, presque exact contemporain de Beethoven, (1773-1829) tira de la grande symphonie cette transcription pour sextuor à cordes, faisant de la grande machine orchestrale, de plein air dirait-on, une réduction chambriste pleine de délicatesse. Et c’est cette qualité que l’on goûte dans cette interprétation.
J’avoue que, dans ma jeunesse, les lourdes versions de l’inévitable Pastorale des concerts ou disques, par des chefs post-wagnériens, pom-pom pompiers, d’une pompe, funèbre d’ennui mortel, me l’avaient rendue indigeste. La vague baroque a heureusement bénéficié à la musique romantique revisitée dans ses instruments et interprétations, allégées, rafraîchies. Les transpositions, d’autre part, pratique de toujours de la musique pas forcément in extenso permettent à des formations instrumentales réduites de se confronter aux grandes œuvres, d’en donner des lectures qui en renouvellent, finalement, l’écoute. Ce disque est exemplaire, du moins dans son approche de Beethoven, d’une grâce souriante. Le premier mouvement est frais, pimpant, printanier.
Le second, Scène au bord du ruisseau est un ravissement, une aquarelle lumineuse, aérienne, transparente, chatoyante de reflets, entre ombre tendre et doux soleil, festonnée de feuilles, dans un doux balancement nonchalant, valsant, ponctué de clapotis vibrant comme les trilles et piqué de chants d’oiseaux.
La danse rustique, est joyeuse, sans lourdeur paysanne appesantie mais une légèreté qui ramène aux visions de pastorales XVIIIe siècle et même l’orage, tout en grondant, ne trouble guère cette fête, semblant même en être une surprise.
C’est sans doute aux qualités de cette interprétation de la Pastorale qu’on mesure la déception de celle de la Verklärte Nacht de Schönberg. Oublions le poème Richard Dehmel (1863-1920) de ce couple dans la nuit d’un bois déambulant sous la lune : elle s’avoue déshonorée, enceinte d’un autre et l’homme compatissant, christique, pardonne et accepte et la femme, adultère sans doute, et l’enfant à naître. C’est méli, c’est mélo, mélodieux encore dans ce néo- romantisme expressionniste de Schönberg qui dote cette histoire on ne sait si ordinaire d’une musique vraiment extraordinaire, obsédante, lancinante, angoissante même. Mais, peut-être le tempo trop lent des interprètes, à trop s’étirer, en dissout-il la ligne générale, le tronc, en brouille, embroussaille les ramifications et frondaison qui s’estompent dans une nuit nimbée de brouillard brouillon ; les trop larges vibratos des cordes ne font pas vibrer la corde sensible, la montée de ce nocturne sentimental se noie ainsi dans un sentimentalisme appuyé ; une accélération est trop tardive pour insuffler une pulsation sensible à l’ensemble. Dommage, mais c’est malgré cela un beau CD recommandable.
Benito Pelegrín