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HENRI TOMASI : CHEF D’ORCHESTRE ET HOMME-ORCHESTRE

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Émilie Capulet, Tomasi Complete solo piano works,

Calliope, 2CD

L’an prochain, on célèbrera les cent-vingt ans de la naissance d’Henri Tomasi, né en 1901, et l’on commémorera les cinquante de sa mort en 1971. Un double anniversaire donc, qui devrait donner lieu à des manifestations concerts, expositions, nationales et locales. Henri Tomasi est en effet l’un des compositeurs français majeurs du XXe siècle et, à coup sûr, le plus grand compositeur marseillais. L’Association marseillaise Henri Tomasi, présidée par Jacques Bonnadier, et regroupant en son sein des personnalités du monde musical de Marseille, et d’ailleurs, ne manquera pas de nous informer de ces événements. On peut déjà en trouver un aperçu sur le site officiel :

https://www.henri-tomasi.fr

On y verra dont le projet du conservatoire corse conçu par Rudy Riccioti, l’architecte du désormais célèbre MUCEM de Marseille.

En tous les cas, en attendant, voici un double CD qui regroupe toutes ses compositions pour le piano seul, certaines déjà enregistrées dans d’autres versions, d’autres inédites, un disque précieux, amoureusement servi par une belle interprète franco-anglaise : Émilie Capulet, Tomasi Complete solo piano works. Même si notre Tomasi, Français de Marseille et de Corse, est plus joué dans le monde entier qu’en son ingrate France, traduisons ce titre dans notre langue nationale, devenue, hélas moins universelle : Henri Tomasi (1901-1971) Intégrale des œuvres pour piano seul / Émilie Capulet, piano, label Calliope, First recording (‘premier enregistrement), deux CD.

Éthique et esthétique universelles 

On ne va pas chipoter, chinoiser sur la langue d’autant que notre Méditerranéen revendiqué, n’était pas pour rien de Marseille, ville ouverte aux quatre points cardinaux : tel Marius se voulant navigateur, Tomasi était aussi avide d’horizons lointains et, naviguant sur les ondes radiophoniques nationales, sa musique, locale et internationale se répandait dans le monde, dont il captait aussi des échos lointains, très sensibles et proches dans son œuvre ainsi, Concert asiatique, Une saison au Congo, Tam-tam, Impressions maories,  Chants laotiens, Chant pour le Viet-namDanses brésiliennesSymphonie du Tiers-Monde d’après la pièce d’Aimé Césaire, sa Semaine sainte à Cuzco etc. Autant que son éthique fraternelle, son esthétique était universelle. Mais, comme le disait aussi le poète García Lorca, si Andalou et si Espagnol, au-delà de tout folklore réducteur, l’universel est dans le local humain et artistique, dans lequel tous les hommes se reconnaissent, ce que dirait aussi un autre poète, le Portugais Miguel Torga : « l’universel, c’est l’individuel sans les murs ». Belles leçons à tous ceux qui rêvent de poser des frontières imperméables, impénétrables, d’imposer des murs entre les pays, les cultures, les hommes, transférant à leur petit univers compartimenté leurs frontières mentales et menteuses. 

Comment ne pas voir une image, une métaphore de son goût individualiste pour l’universel dans le simple fait que ce chef d’orchestre connu et reconnu, homme-orchestre au sens précis de ce terme, curieux et gourmand de timbres divers, ait écrit pratiquement, on dirait égalitairement, pour tous les instruments de l’orchestre? Non simplement dans leur voluptueux brassage symphonique, mais aussi dans leur individualisme concertant ou soliste puisqu’il a donné, amoureusement, à chacun d’eux, sa voix singulière : son étourdissant catalogue d’œuvres pour instrument soliste ou concertant en témoigne.

    Récemment encore, Christian Merlin, dans son émission sur les instruments de l’orchestre, passait  avec grand éloge un extrait de son Concerto pour trombone sur France Musique, qui avait aussi honoré ce disque de l’intégrale pour piano. Et l’on se prend de regret de n’avoir pas eu le privilège d’entendre ce chef diriger un orchestre avec cette connaissance intime de presque tous ses instruments. À défaut des souvent précieux enregistrements pirates qui n’existaient hélas pas de son temps,  on voudrait rêver à quelque disque retrouvé, restauré, offert à notre curieuse écoute de ce chef en cette année doublement anniversaire.

Et comment ne pas reconnaître, où que l’on soit dans le monde, la danse locale et universelle de ces riantes et irritantes Mouettes (Paysages, 1930) de la première « plage » (on aurait envie de dire ici « calanque »), dessinant ces bruyantes lignes brisées, aiguës, sur la transparence de l’air, avec ces piqués de notes?

Sur cet homme singulier, généreux, tenté et teinté de mysticisme, engagé, socialement, politiquement, on peut lire UN IDÉAL MÉDITERRANÉENHENRI TOMASIpar Michel Solis, éditions Albiana, accompagné d’un CD d’extraits de ses œuvres ; on peut aller sur le site ci-dessus qui lui est dédié, mais le riche livret du disque est aussi précis autant sur la vie que sur ces œuvres parfaitement mises en perceptive. Bien sûr, l’écoute innocente du disque se suffit à elle-même, mais ces lectures ne peuvent qu’en aiguiser l’acuité, le plaisir, rendant justice à un compositeur prolifique mais qui mérite la découverte ou la redécouverte.

Tomasi a composé des œuvres grandioses, Requiem, pour les martyrs de la Résistance, Requiem pour la paix. Mais derrière cet d’homme tenté par l’héroïsme, voici le père, le papa, tendrement penché sur son fils Claude : pour ses quatre ans, il lui dédie ces quatorze petites pièces d’environ une demi-minute, Le Coin de Claudinet. On trouve dans ces enfantines, « Le petit Jésus et sa maman », des santons, des Rois Mages, les tambourinaires, le clown,  l’écuyère, monde délicat de l’enfance sous la délicatesse enjouée des doigts de la pianiste. Le premier morceau, « Réveil du petit soldat » est traversé du fameux « Soldat, lève-toi » et, en succession, «La poupée triste », « Le petit cheval », « Le concert des petits anges musiciens », etc.., c’est un monde poétique de l’enfance, du moins d’un père  tendre et attentif tendu à son petit garçon, des “enfantines” à la Moussorgski, où ne peut que se retrouver n’importe quel papa dans ces pièces si brèves, jouées en toute franche  et fine touche par une pianiste sans doute aussi une maman (plages14 à 25). Plus longue, étrange et angoissante, La berceuse de la Belle et la Bêteextraite du Silence de la mer dont l’héroïne, une pianiste patriote, murée dans le silence face à un occupant allemand imposé dans sa demeure, pianiste aussi,  est sans doute la Belle face à la Bête ennemie d’abord, mais qui, sous l’uniforme honni, s’avère une âme sœur et frère, par la culture et le cœur, un Prince d’un conte de fées rendu impossible par la guerre.

Œuvre polymorphe  

Tomasi a une œuvre immense dans tous les genres : musiques instrumentales, orchestrales ou solistes, vocales, voix seule et piano ou a cappella, chansons du folklore corses. Il a écrit, on l’a dit, pour les instruments les plus variés. Les œuvres scéniques abondent, de la musique de film, pour son et lumière, aux pièces radiophoniques, treize ballets et onze opéras, parmi lesquels Don Juan de Mañara, d’après Milosz, L’Atlantide, d’après Pierre Benoît, Sampiero Corso. On n’oubliera pas deux oratorios, le Silence de la mer de Vercors, saisissant d’angoisse, et Retour à Tipasa sur le texte de Camus ruisselant de soleil et d’oiseaux.

         Farouchement libre, Tomasi ne rame pas, il vogue, vole à contre-courant des modes musicales de son temps, résistant à la vogue d’un atonalisme d’autant plus écrasant avec la puissance officielle de l’institution qu’il est tard découvert en France, devenant déjà un académisme alors qu’on commence à le déserter ailleurs, libérant l’expression musicale d’un carcan aussi théorique que terroriste. 

    La dernière plage du premier CD, la 27, est couverte par Le poème de Cyrnos, sa Corse bien aimée et si bien chantée, une œuvre de jeunesse, de 1918, mais thème marquant dans sa production. Il est passionnant de suivre cette douce ligne de vie dans son parcours de compositeur, d’écouter sous les doigts d’une pianiste qui, de l’insulaire Angleterre où naquit le mythe de l’Utopie, où elle enregistre le disque, semble avoir la nostalgie solaire d’une autre île qui en devient utopique. 

Le second CD de l’album est consacré à sa musique pour le ballet Féerie laotienne de 1939, dont les critiques furent très élogieuses de son temps, qui fut aussi un poème symphonique et enfin cette pièce pour piano de plus d’une demi-heure qui offre à la pianiste une large et expressive palette de couleurs et de rythmes que l’argument du ballet permet de saisir en leur capricante ou rêveuse féerie exotique.  

Benito Pelegrín

 

Émilie Capulet, Tomasi Complete solo piano works : Henri Tomasi (Intégrale des œuvres pour piano seul / piano, label Calliope, deux CD. 

CD1

1 Paysages(1930) : Marine (Mouettes) 

2 Paysages(1930) : Clairière (Matin d’été) 

3 Paysages(1930) : Forêt (Chants d’oiseaux)

4 Fantoches(1931)

5 Menuet(1924)

6 Tarentelle(1936)

7 Pièces Brèves– Suite 1 (1929) : Et s’il revenait un jour… 

8 Pièces Brèves– Suite 1 (1929) : Menuet 

9 Pièces Brèves –Suite 1 (1929) : Le lied que chante mon cœur  

10 Pièces Brèves– Suite 2 (1929) : Parade

11 Pièces Brèves– Suite 2 (1929) : Air à Danser

12 Pièces Brèves– Suite 2 (1929) : Espiègleries 

13 Danseuses de Degas(1964)

14 Le Coin de Claudinet(1948) : Réveil du Petit Soldat 

15 Le Coin de Claudinet(1948) : Poupée Triste 

16 Le Coin de Claudinet(1948) : Berceuse pour la Petite Cousine Arabe

17 Le Coin de Claudinet(1948) : Le Petit Cheval 

18 Le Coin de Claudinet(1948) : Le Clown et l’ Écuyère 

19 Le Coin de Claudinet(1948) : Le Petit Jésus et sa Maman 

20 Le Coin de Claudinet(1948) : Berger, bergère (Santons)

21 Le Coin de Claudinet(1948) : La Boîte à Musique 

22 Le Coin de Claudinet(1948) : Concert des Petits Anges Musiciens 

23 Le Coin de Claudinet(1948) : La Berceuse à Claudinet 

24 Le Coin de Claudinet(1948) : Les Rois Mages (Santons)

25 Le Coin de Claudinet(1948) : Les Tambourinaires (Santons)

26 Berceuse de la Belle et la Bête (Le Silence de la Mer) (1959)

27 Le Poème de Cyrnos(1918)

CD2

1 Féerie Laotienne(1939) : Entrée

2 Féerie Laotienne (1939) : Cortège et Danse

3 Féerie Laotienne (1939) : Scherzo pour une fête de nuit 

4 Féerie Laotienne (1939) : Invocation à la lune 

5 Féerie Laotienne (1939) : Pantomime 

6 Féerie Laotienne (1939) : Danse des sorciers  

7 Féerie Laotienne (1939) : Cette lune nous gêne

8 Féerie Laotienne (1939) : Offrande aux Dieux

9 Féerie Laotienne (1939) : Les Cercles Magiques 

10 Féerie Laotienne (1939) : Final 

 

Rmt News Int • 18 septembre 2020


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