L’Emancipation par la Culture
Université populaire du Théâtre Toursky du jeudi 8 octobre 2020
Ouvertes à tous et gratuites, les Universités populaires du Théâtre Toursky aspirent à renouer avec l’exigence d’une culture pour tous, en rendant le savoir accessible au plus grand nombre.
Ce jeudi 8 octobre, le public était au rendez-vous pour cette université populaire du théâtre Toursky, toutes précautions sanitaires assurées. Un sujet brûlant, l’émancipation par la culture, qui a soumis les spectateurs-auditeurs-et à cette occasion, débatteurs, à une réflexion captivante.
L’émancipation est, historiquement, une finalité des projets politiques, culturels de gauche. Elle est une valeur associée aux mouvements révolutionnaires d’émancipation des Peuples. Mais, aujourd’hui, elle est également revendiquée par la droite et l’extrême droite, comme le Rassemblement National. Tout se passe comme si un même mot devenait une valeur positive, et revendiquée, dans des conceptions politiques, sociales, culturelles opposées. Cela signifie qu’il ne suffit pas de proclamer un mot, de l’utiliser comme un slogan qui se suffirait à lui-même : encore faut-il le clarifier, et tenter d’expliquer les raisons de cette situation
Michel Simonot étant absent et excusé, Maryam Ferrara, Richard Martin, Jean-Marie Galey, Ivan Romeuf et Stéphane Mauril (photo de Une), sont les personnes appelées à s’exprimer.
Richard Martin : Je voulais saluer :
-Stéphane qui est le directeur de la maternelle, d’en face. Je voulais vous dire la chance que j’ai d’avoir en face, je crois, la seule maternelle, en tous cas à Marseille, qui allume les enfants venus de tous horizons, de toutes classes sociales. Je suis allé, avec lui, travailler des moments poétiques avec ces enfants qui s’étaient emparés de Prévert et c’était fantastique. Mais au-delà même de cette ouverture sur la poésie, il organise avec ses enfants, ici, des expositions tous les ans. Ce sont des moments d’art absolu. C’est exceptionnel. J’ai pris des leçons et des gifles formidables avec ces petits qui, grâce à cette volonté pédagogique, cette volonté de faire souffler poétiquement dans une maison de petits. C’est extraordinaire. Il parlera lui-même des projets qu’il y a entre l’école et le théâtre.
–Ivan Romeuf qui a conduit les destinées artistiques d’un théâtre qui s’appelait théâtre de Lenche et qui a été fermé sans autre forme de procès. On ferme un théâtre. Peut-être l’occasion d’ouvrir une autre prison, mais c’est absolument insupportable. Depuis 35 ans, Ivan s’est battu ici pour faire souffler des créations nouvelles, des réflexions etc. Puis un jour on dit eh bien non on ferme, au-revoir monsieur. C’est absolument ahurissant. C’est l’occasion de se retrouver et d’avoir, ici maintenant puisqu’il n’est plus dans son théâtre, il est ici en résidence permanente. Il fait ses créations. Il anime un atelier de théâtre et continue à souffler sur la passion des jeunes. Merci Ivan Romeuf
–Jean-Marie Galey. C’est une opportunité de t’avoir ici. Il est de passage ici pour un tournage, et il est venu me rendre visite car il a un spectacle que vous pourrez voir en Avignon cet été sur les échanges entre Camus et Maria Casarès. Il a créé ici il y a un certain nombre d’années, en 95, HEY CARMELA, sur la guerre d’Espagne, magnifique spectacle qui par la suite a fait une immense carrière. Merci Jean-Marie.
–Maryam Ferrara qui compagnonne avec le Toursky depuis pas mal d’années et qui fait un travail absolument formidable. Professeur de français dans le lycée de la Cabucelle, elle écrit des pièces de théâtre qu’elle fait jouer par les jeunes gens qui sont ou de son lycée, ou des abords de son lycée. Elle réveille des vocations, des consciences, avec des jeunes gens qui à priori pensaient qu’ils n’avaient rien à faire dans un théâtre et qui petit à petit, en s’y approchant, se rendent compte que vraiment, ça les regarde absolument et qui le défendent avec passion. C’est extraordinaire d’avoir des soldats de la culture vraiment fervents avec des jeunes gens qui au départ pensaient que ça ne les regardait pas.
C’est une université populaire formidable. Il y en a d’autres dans la vie qui m’ont aidé à aller vers ce travail. Merci à vous tous.
Maryam Ferrara, professeure. Elle allume des lampes, une à une, pour en éclairer les chemins…
« Il faut les prendre par la main et les emmener quelque part sur un chemin artistique. »
« Vous voulez un autre monde, on va être les architectes de ce monde. Et pour être les architectes de ce monde il faut le construire. »
Pour se présenter devant ses élèves la première fois –elle a une trentaine d’années-, Maryam Ferrara, professeure dans les quartiers nord, leur a fait écouter Jean Ferrat (Camarade) et Barbara (Ma plus belle histoire d’amour c’est vous).
« Je me suis aperçue –même si cela semble prétentieux de dire cela- que ce costume était un peu étriqué. J’étais là pour donner des connaissances, pour aller vers un diplôme. Et comme j’étais dans un lycée professionnel, on avait envie qu’ils aient leur diplôme mais on me disait : « Enfin, tu ne vas pas en faire des journalistes, pas des écrivains, c’est pas grave ! ». Un jour j’ai dit à mes élèves : « Vous savez, on est en train de prendre votre dignité. On part du principe que parce que vous allez être des travailleurs manuels, du savoir il n’en faut pas trop. Vous savez pourquoi ? Parce que si vous commencez tous à réfléchir, il y a des règles dans le monde du travail que vous n’allez pas accepter. Et vous allez peut-être commencer à rêver d’un nouveau monde et ce n’est pas le monde que veut le pouvoir en place. » Pour en revenir à l’émancipation, je me suis dit ‘il faut les prendre par la main et les emmener quelque part sur un chemin artistique. Même s’ils ne font du théâtre que pendant un an, ce n’est pas grave. Ça leur aura donné une envie et peut-être qu’il y en aura un qui aura envie de faire du dessin, de la sculpture ou peut-être que pas du tout, mais au moins il aura essayé. Le lendemain, j’ai fait le tour de toutes les classes. Je leur ai dit « A partir de la semaine prochaine, je monte un cours de théâtre. Qui veut vient. » Cela fait maintenant 15 ans que cette histoire dure. Ce que je dis toujours, c’est cela l’émancipation culturelle. Je pense sincèrement que la pratique d’un art entraine une réflexion sur la société, sur soi-même et va tendre à ce que les gens réfléchissent. » Quelque part, je suis une œuvrière entre guillemets pour essayer d’abolir certaines inégalités sociales entre les gens parce que ce qu’il manque à nos élèves –je le vois dans le 15e arrondissement de la ville- c’est un capital culturel. Il y a des écrivains à connaître, des codes à avoir. Et ce n’est pas de l’acculturation ce que je dis. Je me bats aussi avec des collègues qui me disent « Pourquoi tu ne leur fais pas faire du rap » Je n’ai rien contre le rap mais pourquoi quand vous voyez un noir ou un arabe vous voulez qu’il fasse du RAP ? C’est dingue cette pratique de procès culturel. L’éducation populaire, vous pensez que c’est ça ? J’observe depuis trente ans et ce qui se passe aujourd’hui c’est qu’il y a peu d’éducation populaire. Dans le 15e arrondissement de Marseille, le parti communiste était fort. Il y avait des écoles, des centres de réflexion etc. Petit à petit la télévision a envahi le paysage. Et je vois, en discutant avec les jeunes, que le niveau est à un vide abyssal. La pratique de cet art fait que l’on se retrouve ici depuis 7 ans. On travaille en ce moment sur Spartacus. On a travaillé également sur Les Misérables. Par la pratique de cet art, ici, on a fondé une troupe. On s’appelle ‘Les Utopistes’. Je remercie Richard de nous accueillir car c’est notre cocon culturel. Tous les dimanches après-midi depuis le 25 août, on se retrouve ici avec les élèves et on va le faire jusqu’au 10 novembre, date de notre spectacle ici au Toursky. Pour des jeunes qui me disaient ‘le théâtre, c’est pas pour moi », le fait de venir à ce rendez-vous, c’est bien. Je leur ai dit « Vous voulez un autre monde, on va être les architectes de ce monde. Et pour être les architectes de ce monde il faut le construire. »
Ivan Romeuf
« Je me suis lancé dans le théâtre en pensant au mot ‘liberté’. Après cinquante ans, je me suis aperçu que la liberté elle allait nous coûter et qu’on allait la payer cher. Je m’aperçois que ça m’a beaucoup coûté et en même temps ça m’a beaucoup apporté. J’espère que j’ai fait la même chose de l’autre côté. Puisqu’on parle théâtre et culture, j’ai cru au début que la culture était faite et réservée aux mouvements sociaux de gauche. Il y avait beaucoup de mouvements politiques qui parlaient de cela. Et j’étais ravi parce que ça me convenait bien. Je me suis aperçu un jour que cette culture était un peu lâchée de temps en temps, abandonnée au bord du trottoir, et que la droite et l’extrême droite pouvaient s’en emparer. Ça a commencé vraiment à m’inquiéter et ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, c’est qu’on a des mouvements qui sont vraiment d’extrême droite qui s’emparent de ce mot culture. J’ai rencontré, par rapport au théâtre et à la littérature, beaucoup de gens différents, des gens réellement d’extrême droite, Madelin, Longuet etc. des gens qui maintenant sont des Gaullistes mais ne l’étaient pas à l’époque. Ces gens-là se sont emparés au fur et à mesure de l’art. Je ne pense pas que l’art soit réservé à une certaine élite, à certaines personnes, mais il y a aujourd’hui une dérive qui se fait et qui est fort inquiétante. D’autant plus inquiétante que, j’ai vécu ce que disait tout-à-l’heure Richard, au Théâtre de Lenche, il y a environ 5 ans. Quand le directeur du théâtre m’a dit il faut que tu t’en ailles, il faut que tu quittes le théâtre car la mairie veut que tu t’en ailles. Je lui ai demandé pourquoi la mairie voulait que je m’en aille. Ben parce que, tu es resté longtemps ici etc. Je ne voyais pas le rapport mais comme on me demandait gentiment de foutre le camp je suis parti. J’ai dit au directeur à ce moment-là, tu sais que c’est une erreur. Deux erreurs que tu vas faire. La première, te séparer de la compagnie qui était en permanence, et la deuxième, c’est de me virer parce que dans quelque temps on te dira que toi aussi, il faudra que tu t’en ailles. C’est ce qui s’est passé six mois après, on lui a demandé de partir. Lui ça ne lui a posé aucun problème, moi oui. J’avais l’impression de perdre une maison. J’en ai retrouvée une avec Richard heureusement. Ça faisait deux théâtres que je voyais disparaître : le Gyptis avec lequel j’ai travaillé et qui s’est fermé, tranquillement, peinard. Personne n’a réagi. La seule réaction que j’ai pu avoir en disant ‘on ne pourrait pas faire une pétition, etc.’ Non, mais non ça va ; il faut pas faire de bruit quand même tu sais. Je suis sûr, quoi qu’il arrive et quelle que soient la municipalité, la région, le département, quelles que soient les personnes qui gouvernent aujourd’hui, je suis convaincu que ça disparait au fur et à mesure. On dit c’est le problème du COVID. Ce n’est pas vrai. C’est faux. Ce n’est pas que là. Le COVID a accentué ces choses-là mais aujourd’hui et depuis des années, on est vraiment dans une très grande difficulté. Si on reste dans son petit coin en se disant, ça va, je ne suis pas inquiet.. Si on reste dans notre petit horizon ou nos lieux fermés, c’est pas un problème. Mais dès qu’on commence à ouvrir les yeux autour et que vous voyez les autres pays, vous vous dites effectivement que là c’est une catastrophe. Quand je lis par exemple que en Angleterre le premier ministre dit : « Mais de toute façon les artistes, ils n’ont qu’à changer de métier. » je me dis qu’aujourd’hui, en France, on n’est pas loin. Il y a un vrai problème. Je suis ravi quand j’entends l’idée de la culture par rapport aux enfants. Je fais partie, parce que je suis assez vieux maintenant, de ces gens à qui l’on dit : « maintenant il faut que tu transmettes. » J’ai travaillé avec un lycéen et des jeunes qui passaient leur bac et la seule chose qui m’a rendu vraiment heureux à ce moment-là, j’ai eu trois jeunes qui, à la fin du travail, m’ont dit : « On voudrait être comédiens». J’ai dit à ce moment-là aux autorités : Enfin, j’ai l’impression d’avoir fait quelque chose d’intéressant, et on m’a dit : « Vous n’êtes pas là pour ça. » J’étais là pour faire découvrir le théâtre aux jeunes et leur donner l’envie d’être libre à un moment donné. Mais non, je n’étais pas là pour ça. Tant mieux, ils ont quand même continué. J’ai fait quand même mon métier. C’est ce que je continue à faire, et c’est la chose la plus importante. Mon combat, mon combat théâtre, il existe. Je fais partie de plusieurs fédérations internationales d’artistes et suis en discussion avec beaucoup de pays différents. Je me bats pour que le théâtre continue. Pour que la culture, ce mot un peu entre guillemets aujourd’hui, puisse continuer. On avait la chance encore, en France, d’être un peu à part. Aujourd’hui, et tant pis pour lui, on a un président tellement stupide qu’à l’heure actuelle nous perdons tous les moyens qu’on avait, tout ce qu’on avait. Roselyne Bachelot a beau me dire, c’est génial, on va sauver le théâtre. J’aimerais voir comment car on est en train de couler dans tous les sens. »
Stéphane Mauril, Directeur de Maternelle : « C’est l’école du peuple et donc pas l’école pour les enfants, mais l’école des enfants. »
« Le domaine qui me touche c’est forcément l’école. Ce n’est évidemment pas le seul lieu d’éducation… Jules Ferry parle d’une école pour le peuple. Ce mot pour renvoie à une notion très particulière qui est de se dire : l’école créée par des personnes pour d’autres. Et notamment par rapport aux statuts, un statut d’adulte et un statut d’enfant. Ce qu’on essaie de faire, mais c’est une chose très compliquée car on est à contre-courant, c’est de se dire que c’est l’école du peuple et donc pas l’école pour les enfants, mais l’école des enfants. On essaie de la servir, de l’illustrer par l’action à l’intérieur de l’école. Cela répond à quatre éléments : la question de l’autonomie, l’idée de la libre circulation à l’intérieur des bâtiments, comment on gère l’hétérogénéité, et comment on fait pour que des enfants d’âges différents, aux compétences différentes, aux savoirs différents, vivent ensemble des expériences en commun. Pour pouvoir le théoriser, on a recours à des langages : l’écrit, l’oral, les mathématiques etc. Des langages il en existe des multitudes : le côté artistique, le côté art visuel, danse, tous ces domaines qui vont nous permettre une motricité bien évidemment, qui vont permettre de se questionner sur ces langages et comment l’utilisation simultanée de ces différents langages va nous permettre, petit à petit, de comprendre ce que c’est, nous rend de plus en plus autonome, puisque forcément les langages sont des outils de pensée. C’est en s’exerçant avec que l’on découvre de nouvelles façons de voir, de penser, etc. C’est quelque chose qui nous semble important…(…) L’école ne doit pas être un lieu fermé entre ses quatre murs, mais quelque chose qui doit rayonner à l’extérieur, ici avec le théâtre, mais aussi des actions avec le quartier… (…) »
Michel Simonot lu par Richard Martin
« Etre émancipé c’est à la fois un processus et son aboutissement. Elle n’est pas un état. Elle n’est jamais définitivement acquise. »
« L’émancipation est devenue une référence positive obligée, voire un principe fondateur de tout projet culturel également politique de la gauche à la droite jusqu’à l’extrême droite. Quelques exemples : Marine Le Pen lance un appel à l’émancipation, à la libération, à la rébellion contre toutes les féodalités qui veulent nous placer sous le joug du tout économique ou du tout religieux. Pour elle la culture est un outil de défense de l’identité nationale et d’influence de la civilisation française. Emmanuel Macron défend ‘une politique d’émancipation des individus’ : « l’émancipation c’est la liberté encouragée pour celles et ceux qui réussissent, qui veulent entreprendre, faire, poser, tenter, elle est essentielle. L’état accompagne ceux qui veulent bouger. » Pour le parti socialiste : « Notre ADN, c’est d’abord la défense de l’individu, humaine, l’émancipation individuelle et collective. La culture n’est pas simplement un supplément d’âme mais le meilleur moyen pour que chaque être humain trouve les moyens de s’émanciper de sa condition d’origine et s’ouvre au monde. Pour le parti communiste, démocratie et culture sont indissociables et il ne saurait y avoir d’émancipation politique sans émancipation culturelle. L’émancipation n’est pas, ou pas seulement, une question d’élévation de l’esprit mais avant tout travailler à l’abolition des conditions sociales et matérielles de la domination. Le programme de la France Insoumise est intitulé « Une nouvelle étape des libertés et de l’émancipation personnelle. La liberté des êtres humains commence par la garantie de leur possibilité de créer et de s’exprimer. » Autre exemple : le premier ministre adresse à la députée Aurore Berger en août 2019 une lettre de mission « Pour une politique d’émancipation artistique et culturelle renouvelée allant au-delà de l’éducation artistique et culturelle. Le mot est employé quatre fois sur 26 lignes. Actuellement, le nombre de colloques, de séminaires politiques, professionnels, philosophiques, consacrés à l’émancipation et à la culture, ne cesse de croître. On comprend, dans les citations ci-dessus, que des différences de signification, voire des oppositions, existent. Cependant, cette référence ainsi banalisée, pourrait faute d’approfondissement et d’éclaircissement, être perçue comme de plusieurs formes voire incantatoire. Cette chronique ne permet pas de développer une réflexion assez sur le sujet mais peut-être adresser une demande aux responsables politiques et culturels à expliciter le sens de ces mots dont ils ou elles font un usage fondateur. On pourrait comprendre clairement ce qui oppose des politiques. Ainsi, pour Emmanuel Macron, l’individu émancipé est personnellement responsable de ses choix. A lui de traverser la rue. La société se doit de lui proposer les moyens, des formations par exemple, en tant que personne. A chacune de les mettre à profit ou non. Il n’y a pas d’émancipation collective. La solidarité n’existe pas ou peu –ainsi la retraite à points-. Celui qui ne se prend pas en main est renvoyé à sa culpabilité. Pour la France Insoumise et le parti communiste, la possibilité d’émancipation de l’individu s’inscrit dans une dynamique collective et n’a de sens qu’inscrite dans la solidarité. Il s’agit que les catégories dominées se libèrent, socialement, économiquement et culturellement, des catégories détenant les pouvoirs et la maîtrise d’accès aux biens culturels et symboliques. A partir de cette opposition simplifiée schématique, il convient que chacun explique ce que l’on entend par culture ainsi que les chemins et conditions qui mènent à une émancipation, et laquelle. Il faut avoir à l’esprit que l’émancipation se réfère à la libération d’une domination, d’une subordination, d’une soumission à un pouvoir. On s’émancipe, aussi, de croyances et de préjugés, de stéréotypes, dont nous n’avons pas toujours conscience, qui nous sont imposés. L’émancipation correspond à des combats concrets ayant pour enjeux la liberté et l’égalité, ceux par exemple des peuples colonisés, des esclaves, de l’égalité homme-femme. L’émancipation est une action : sortir de la minorité, reprendre possession de soi, combattre la domination. C’est l’augmentation de la puissance individuelle et collective d’agir. Etre émancipé c’est à la fois un processus et son aboutissement. Elle n’est pas un état. Elle n’est jamais définitivement acquise. Ce sont les pouvoirs totalitaires donnés au libéralisme qui prétendent qu’un état d’émanciper existe puisqu’ils prétendent en créer et préserver les conditions à la place de chacun. D’un point de vue historique, le projet d’émancipation par l’art et la culture est né des Lumières et visait la libération de l’être humain de ses diverses tutelles annonçant le concept de citoyenneté. L’émancipation est liée à la révolution, en 1789 où elle a été un accès à la dignité humaine, à l’égalité. Elle est liée ensuite au mouvement révolutionnaire ouvrier du début du 20e siècle par la libération de la domination de classe, voire son renversement. Puis des régimes totalitaires ont retourné la volonté d’émancipation en soumission, voire en asservissement etc. Demeure la question posée par Marx : « Peut-il y avoir émancipation sans abolir l’état de choses actuelles ? » Demeure le rêve démocratique : oser penser par soi-même et se libérer des vérités imposées de l’extérieur qui maintiennent l’humanité en tutelle. En ce sens, s’émanciper suppose de dénaturaliser, dé fataliser toutes les formes de domination donc la soumission. L’émancipation, c’est la sortie des assignations, c’est ce qui concerne la culture, l’art, la pensée, les connaissances. Historiquement, le lien entre culture et émancipation s’est établi selon deux axes : la culture comme bien symbolique matériel et immatériel, dont sont dépossédées les catégories dominées et la culture comme capacité propre d’expression, sensible et intellectuelle. Dans un cas, l’émancipation passe par l’appropriation des biens, dans le second, elle suppose d’accéder à la capacité autonome d’expression, de production, de pratique, de biens symboliques. Dans l’histoire les deux voies se sont souvent opposées au lieu de chercher à s’articuler. On touche ici au droit culturel dont a traité ici Jean-Michel Lucas qui parle plutôt de chemin émancipateur. Si aujourd’hui le mot émancipation est brandi par tous les courants politiques y compris opposés, c’est qu’il semble répondre à ce sentiment exacerbé des dominés, des défavorisés : d’être dans une situation d’impuissance, de domination, de soumission, à des puissants, sans perspective de sortie. La question est posée à tous les utilisateurs du mot : En quoi la culture, l’art, peuvent-ils être conditions et conséquences de l’émancipation et à quelle condition ne peuvent-ils pas se retourner contre elle ? Même si j’ai des désaccords de nuances avec lui, je conseille la lecture de Jean-Louis Sagot-Duvauroux (www.culturepcf.fr)
Danielle Dufour-Verna
Prochaine Université Populaire du Théâtre Toursky Jeudi 19 novembre 2020 à 19h : Clin d’œil à Bruno Étienne avec Blandine Chélini, Alain Cabras, David Pélage & Richard Martin