RMTnews International

The culture beyond borders

ANNÉE BEETHOVEN CONFINÉE

Share Button

Beethoven encore, comme un rattrapage, nous présenterons aujourd’hui deux disques qui lui sont consacrés après le gâchis de la célébration du 250e anniversaire de sa naissance par la pandémie, épidémie mondiale donc, qui a sévi partout et a annulé partout sur la planète les manifestations musicales prévues pour fêter ce génie géant de la musique.  Il est vrai que Beethoven n’a jamais eu besoin de ces anniversaires, qui deviennent des opérations commerciales par la concentration d’événements autour d’un nom célèbre, très vendeur pour parler vulgairement le langage mercantile, pour figurer régulièrement au programme de concerts et de nouveaux disques, parfois très abusivement, au détriment d’autres musiciens moins connus ou inconnus qui auraient besoin des lumières des projecteurs de l’actualité. Mais les deux disques d’aujourd’hui, sortis après le confinement, ont l’élégance, l’intérêt d’apporter une touche nouvelle à l’écoute de Beethoven, qui en renouvellent quelque peu l’approche, nous épargnant la redite sempiternelle des mêmes œuvres, des tubes, pour parler toujours la langue commerciale, interprétées sur un même inévitable instrument, le piano.

         Le premier disque est, par le pianiste Simon Zaoui, Beethoven, un nouveau manifeste, Sonates N°1, 3 et 13, sur piano Gebauhr, aux éditions Hortus.

         Parler de « manifeste » est sans doute excessif, un manifeste étant une déclaration publique par laquelle on expose avec un éclat, provocateur souvent, un programme d’action ou une position, politique ou esthétique en général. Ici, il s’agit de l’emploi d’un piano Gebauhr, germanique, des années 1850, donc apparu après la mort de Beethoven en 1827. S’il est donc vrai que, si le programme proposé ici se manifeste comme « nouveau » par ce piano, paradoxalement ancien, comparé aux instruments modernes bien uniformes, la démarche n’est guère nouvelle depuis le retour en faveur des musiques anciennes jouées sur des instruments d’époque. On concède encore que Beethoven, avec sa musique révolutionnaire qui annonce l’avenir, semble à l’étroit dans les instruments à clavier de son temps. Même si certaines de ses sonates pour clavier sont indifféremment dédiées au clavecin aux cordes pincées ou au nouveau pianoforte, le Hammersklavier allemand, (littéralement : clavier à marteaux) qui dit bien le caractère percussif de l’instrument, le compositeur semble gêné dans ces limites et l’on sait les anecdotes sur lui, qui jouait parfois avec une telle vigueur qu’il fracassait de sa puissante poigne les pianos plus délicats de son temps.

         À part les quelques lignes du spécialiste de Beethoven Charles Rosen pour justifier l’instrument, le livret est trop maigre, rien sur les œuvres, même pas leur tonalité. Donc, tout en contestant le titre un peu trop accrocheur du CD, qui méritait une explicitation plus large, sans y voir « un nouveau manifeste », on goûte une écoute manifestement nouvelle de ces sonates, peut-être affadies par la routine de les entendre au piano moderne. Composée entre 1794 et 1796, dédiée à son maître Haydn, baignant tout encore dans une gracieuse ambiance XVIIIe siècle, avec même un menuet dans le troisième mouvement.

         Même avec ce ton mineur sombre, qui annonce des œuvres plus tourmentées, on sent presque passer ici l’ombre soyeuse et joyeuse de Mozart, le grand maître du majeur.

Le quatrième mouvement de la sonate, « Prestissimo » passionné, avec son déferlement de petites notes crépitantes, des gerbes de triolets comme égrenés, effeuillés et répandus vivement dans l’air avec désespoir est déjà dans un sombre avenir dès cette première sonate. L’âme s’éclaire mais le cœur se serre quand on connaît la vie de ce Beethoven douloureux.

         Notre second disque, sorti le 6 novembre, du Quatuor féminin Zaide, tout en étant encore un hommage à Beethoven, nous offre la surprise d’un œuvre emblématique du compositeur, la célébrissime Sonate à Kreutzer, à l’origine pour piano et violon, N° 9, mais ici dans une transcription d’auteur inconnu, éditée à Vienne dans une version arrangée pour quintette à deux violoncelles, à peine quatre ans après le décès de son auteur. Cette réécriture avec un violoncelle de plus a donc invité les souriantes dames du quatuor Zaide à inviter Bruno Delepelaire, premier violoncelle de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, à les rejoindre pour cette version insolite et magistrale. On les retrouve ensuite entre elles, pour le lumineux Quartette N°3 op. 18

         Le livret, fourni et passionnant, nous fait le plaisir d’intelligence de placer ces deux œuvres de caractère aussi contrasté, sous le signe de Nietzsche, cher à ma première thèse de doctorat. Nietzsche, féru d’antiquité et de mythologie grecque, distinguait deux pôles esthétiques et philosophique, l’apollinien clair comme le dieu solaire, Phébus pour les Grecs, Apollon pour les Romains, harmonieux et équilibré, et le dionysiaque, orgiaque, sous le patronage du dieu nocturne Dionysos, du vin, du désordre, ce Bacchus des Romains, avec son cortège hystérique de bacchantes aux danses érotiques déchaînées, déchaînées contre les hommes : Orphée en fit les frais puisqu’on dit qu’elles le dévorèrent, vexées de le voir inconsolable de la perte de son Eurydice, il n’aimait plus les femmes et se tournait vers les garçons. De ces deux catégories emblématisées par Nietzsche sous couvert d’Apollon et Dionysos, nous avons fait le classicisme, apollinien, et le baroque, dionysiaque. Tolstoï tirera un petit roman, la Sonate à Kreutzer en 1889, où la musique, le violoncelliste en fait, est le déclencheur du drame d’adultère et du crime passionnel : un féminicide. Mais nous quittons ces sombres ondes misogynes sur les lumineuses ondes musicales que nous apportent ce quatuor de talentueuses dames. Benito Pelegrín

Quatuor Zaide et Bruno Delepelaire, Ludwig. L. van Beethoven, Sonate à Kreutzer (arr.) Quartette N°3 op. 18, label NoMadMusic

 

Rmt News Int • 6 janvier 2021


Previous Post

Next Post