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L’ENFANCE DE L’ART

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Honoré

Viviane Montagnon

L’Astre Bleu Éditions – 2020

         C’est le dernier ouvrage de Viviane Montagnon, comédienne, chanteuse, écrivaine, auteure de chansons et de théâtre. Depuis quatorze ans, elle est installée en Bresse, mais on l’a appréciée et regrette à Marseille, où elle s’est produite sur les planches, y a professé le théâtre et enseigné aux Ateliers Cinéma. On connaît d’elle L’Amour aux lèvres, un CD sur des poèmes écrits pour par Antoine Tudal sous l’égide de Francis Lalanne. On avait gouté la délicatesse de son livre Le Panier de Lucette, qui se réédite, devient livre audio et théâtre, sous le nom de Moi, l’osier, plume et soleil ! , où ce panier semble prendre la parole et devenir le narrateur poétique de ces chroniques paysannes. De Viviane Montagnon, Julos Beaucarne dira qu’elle est « bergère en poésie ». Jolie et souriante définition de son style, de sa main, de sa griffe douce, de sa tendre patte et pâte dirai-je, qui recoupe aussi une réalité biographique de Viviane, dont on apprend qu’elle fut également bergère dans les Cévennes, le temps de quelques saisons.

         Quelques saisons intenses sans doute dans cette région, mais qui condensent une vraie vie, semble-t-il, celle du moins qu’elle prête au héros cévenol de ce dernier livre, Honoré Descombes, auquel une chronologie finale donne une densité historique : né en ce fatal 2 août 1914 de la Grande Guerre, mort à cent ans en 2014, pour le centenaire dirait-on, avec trois années supplémentaires d’une survie, et encore deux autres qui sembleront perpétuer sa mémoire.

         On ne guérit jamais de l’enfance, et moins d’une enfance maltraitée, vite orpheline, sur une montagne des Cévennes, déjà en marge géographiquement. Illettré, taciturne, mutique, sans les mots pour s’expliquer, se défendre, pour se dire, Honoré se laisse médire par un village calomniateur, et son silence devient accusateur. Il n’a pas dit un seul mot sous la torture allemande et même s’il est sans doute celui qui a pourvu en nourriture les maquisards, il est la proie facile des faux, et vrais délateurs, qui se défaussent sur lui du massacre du maquis. On n’est plus innocent dès que l’on est suspect. Cet homme du silence innocent sera poursuivi par les paroles de la calomnie : de rien ne sert d’avoir raison avec un visage qui a tort, dirai-je aussi. Délit de faciès, « de sale gueule » qui condamne d’avance, lui dira un enfant rieur, visage d’ange sans doute, qui va être l’ange gardien miraculeux, renversant la hiérarchie des âges, du vieil homme désormais, faisant renaître en lui l’enfance qu’on lui a volée. Quand le gamin de dix ans le rencontre, Honoré semble un « vieil enfant égaré sous la neige de ses cheveux blancs ».

Honoré de Viviane Montagnon, est un roman que je qualifierais d’initiation, d’apprentissage, mais à rebours de la temporalité habituelle prêtée à ce genre, le bildungsroman des Allemands : un jeune homme qui apprend de la vie, de ses heurts et malheurs, qui s’initie, acquiert de l’expérience de l’existence : ici, c’est sur le tard de sa vie, que le septuagénaire Honoré a une révélation et, à partir de là, il va, non retomber en enfance comme l’on dit souvent avec mépris des vieux, qui perdraient a tête, des vieillards gâteux, mais cet homme, enfant guère gâté par la vie, par la révélation de l’art, sans même se ressentir comme artiste, replonge dans l’enfance, —l’enfance qui est pour moi la source de l’art intarissable, l’étincelle, la flamme, jusqu’à la fin de la vie : un artiste est toujours un grand enfant qui garde jusqu’à la fin en lui cette miraculeuse part d’enfance que rien ne peut assécher ni éteindre.

Et c’est justement le petit garçon qui va être l’instrument de la renaissance achevée du vieil homme, dont la vie jusque-là en blanc et noir devient une vie en technicolor.

« Dessine-moi un mouton » dit le Petit Prince de Saint-Exupéry. Ici, c’est ce petit prince de gentillesse, ce gamin de dix ans, plein d’humour sur son prénom, Brandon, de série télé imposé par le mauvais goût de ses parents, qui avec une humanité que n’ont pas les hommes du village, dessinera une chèvre, des chèvres, celles de ce Monsieur Seguin bourru, barricadé dans sa solitude imposée, amitié merveilleuse, miraculeuse, entre le vieil homme et l’enfant. Mais, hélas, dont la calomnie impose la cruelle séparation, sur soupçon inventé de pédophilie : les méchants voient le mal partout. Mais, ce petit elfe bienfaisant, aura d’abord, sans rire des dessins enfantins du vieil berger aux crayons de couleur, lui révélera les potentialités de l’aquarelle, puis de la gouache, le poussant à la puissance de la peinture. Il saura en faire un grand peintre qu’il s’emploiera à exposer après sa mort comme le « Cézanne des Cévennes. ».

Car ce roman est aussi un conte de fées : la méchante fée l’épicière, épiçant les calomnies contre Honoré. Mais il y eut la bonne fée Berthe, l’institutrice qui tenta vainement d’enseigner la lecture au petit Honoré, et, autre miracle, celui de sa petite-fille Sylvie, qui apprendra à lire et à écrire au très vieil Honoré et fera un livre de lecture pour enfants dyslexiques, comme le jeune Honoré, illustré des peintures de l’ancien illettré. Je disais, l’enfance de l’art, art de l’enfance, dans une écriture poétique de Viviane Montagnon, toute simple, comme coulant des sources pures de ces montagnes cévenoles.

Sans description lourdement réaliste, par ses évocations poétiques et les précisions topographiques, des noms de lieux en notes, « rochers du Trenze », mont Lozère, le Mont Aigoual, la rivière Gourdouze, le plateau de la Margeride, le pic Cassini, Alès, Nîmes, Montagnon nous dresse le périmètre géographiquement précis de son texte. Des précisions terminologiques, des explications légères, ne laissent pas le lecteur étranger à ces lieux, en personnalisent l’identité locale, ethnographique implicitement : « restanques, murs de pierres sèches », « bories, cabanes en pierres sèches », « pelousses, bogues de châtaignes », « le Mérens, petit cheval montagnard. »

Mais il y a toute sa propre tendresse et douceur qui nous fait goûter les saveurs du miel, des fromages, l’espiègle joliesse des petites chèvres, de la petite chienne. Les observations graphiques sont frappantes de justesse descriptive, ainsi, Honoré, déjà âgé mais solide :

 « un ruisseau de rides contourne ses yeux d’un vert intense » ; « lignes fortifiées du menton », c’est un « vieil enfant égaré sous la neige de ses cheveux blancs » (p. 21).

Mais ce sont surtout des bonheurs d’expression poétiques, sans recherche de mignardise poétique, qui font le bonheur de cette écriture :

         « le manteau de silence jeté sur les épaules de la montagne » (p. 15) Les terrils des mines au fond des puits desquelles les Allemands ont jeté les maquisards, deviennent « pyramides endeuillées des soldats de l’ombre » (p. 24) ; les « hardes de silence », « les hautes solitudes du deuil » (p. 33),  un « sombre habit de silence », (p. 35) ;  « L ’automne avançait à pas de loups »  et, sous le vent d’hiver, « les genêts prirent le maquis en attendant des jours meilleurs » (p. 71), et, comme déjà la révélation de la peinture, c’est l’éblouissement de la « blancheur du paysage comme une feuille blanche » (p. 74), qui va prendre sens par la couleur : la goutte d’aquarelle sur la feuille qui la buvarde, « tache bleu pâle, flocon de neige qui s’étoile sur la feuille avant de s’estomper » (p. 75)…

Terre de résistance, on ne peut parler de ces poétiques Cévennes sans l’évocation des camisards, parpaillots, les maquisards protestants insurgés contre la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Très discrètement, Viviane Montagnon en évoque le douloureux souvenir. Je donne ici le lien des couplets de La Cévenole de Ruben Saillens (musique L. Roucaute), hymne chanté à l’Assemblée du Désert chaque premier dimanche de septembre :

https://www.youtube.com/watch?v=oXlexk-Vx1s

 

Autre document touchant que j’ai trouvé sur Youtube, ce vieil homme anonyme en qui je vois Honoré, récitant tout droit, simplement, naïvement, un poème en cévenol, que nous saluons :

 

 https://www.youtube.com/watch?v=UJziAEcH5Ws 

 

Benito Pelegrín

 

Honoré de Viviane Montagnon L’Astre Bleu Éditions, 139 pages

 

 

 

 

Rmt News Int • 10 janvier 2021


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