RMTnews International

The culture beyond borders

En attendant J. Sebastian Bach 

Share Button

Quatre cordes en vibrations, par Odile Edouard, violon

Livre-disque, collection de l’oreille, aux éditions de la matrice.m

         Un joli petit livre, un tout petit livre, 13X17cm, d’à peine quelque vingt pages très aérées, certaines blanches, disons vides, de beau papier beige, texte café au lait, plus quelques illustrations, dessins et partitions qui lui donnent comme une agréable patine ancienne, et une belle couverture contrastante bleu nuit­ —malheureusement rendant illisible par manque de contraste la 4e de couverture, sorte d’aile sous laquelle, le Cd est inséré, enserré, lové : protégé.

Odile Edouard, avec trois violons, avait partagé avec Freddy Eichelberger et ses trois orgues, et trois lieux d’enregistrement, le magnifique disque, Trios pour clavier et violon de Johan Sebastian Bach, label L’Encelade. Ici, elle joue sur deux violons : le Violon 1, pour les compositeurs du XVIIe siècle, inspiré d’un instrument d’époque, le Violon 2, son violon fétiche depuis ses quatorze ans, un violon de 1757, restauré en 1988, qu’elle rêve avoir appartenu à Mozart. L’originalité de son propos, dans le livret, est de nous présenter amoureusement les instruments comme on donne en général la bio, des éléments biographiques sur les interprètes (interprètes qu’ils sont après tout sous sa main) : elle explique leurs qualités et même défauts, et n’oublie pas de mentionner les facteurs qui sont derrière ces merveilles instrumentales. Ce sont des partenaires vivants. Mais, également, et c’est sans doute pour beaucoup une découverte, elle nous présente sa collection de cinq archets baroques, d’époque ou copies, dont son premier, « fidèle compagnon depuis 1988 ».

Odile Edouard est professeure de violon au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon ; ce petit ouvrage est adressé à ses étudiants spécialistes du violon qui en apprécieront les subtilités et le vocabulaire souvent technique qui échappe au profane. On en goûtera néanmoins la poésie forestière des essences des bois des archets : en « bois de bocco », de « buis », de « mélèze », de « merisier », avec incrustations en « nacre d’ormeau » mais il y a un inquiétant et suspect « ivoire de mammouth » : on l’espère métaphorique et surtout pas d’éléphant. L’étrange et étrangère terminologie technique méritait sans doute une explication pour le lecteur innocent : si l’on entend, bien sûr, « la courbe concave de la baguette », en revanche « la hausse », la « hausse coincée », méritent une explication même si « en amourette franche » fait rêver, tandis que la « hausse coincée en amourette » fait un peu cauchemarder, si l’on ignore, bien sûr, que l’amourette est un rare bois exotique très dense.

Mais tenons-nous au rêve procuré par ce disque grâce auquel, à part Biber, Telemann, compositeurs connus, puis un Bach final en attente, elle nous manifeste, hors des chemins rebattus des enregistrements les plus nombreux, le courage de nous faire voyager dans l’Allemagne morcelée du temps avec des musiciens pratiquement inconnus aujourd’hui. Elle explore des ouvrages pour violon solo antérieurs ou contemporains de Jean-Sébastien Bach, brièvement mais clairement présentés. Ainsi, du premier, Thomas Baltzar (1631-1663). On est transporté par la Suite pour violon seul, une étourdissante courante, où, avec un seul archet sur seulement quatre cordes, on a le sentiment, la sensation de plusieurs archets, de deux violons qui se courent vélocement après, faisant assaut d’acrobatiques virtuosité (Plage 3). 

    De de compositeur mort à trente-deux ans, Odile Édouard dit brutalement : « il disparaît dans l’alcool ». Noyé de chagrin dans un alcool supposé conserver les matières organiques qu’on y plonge ? Gaucherie d’expression, mais, à travers les parcours de ces compositeurs entre Naples, Londres, Venise, Dresde, Weimar, Lübeck ou Salzbourg, paraître découvrir et démontrer « l’existence d’une Europe culturelle autour de la musique », une lapalissade, c’est enfoncer une porte ouverte, l’Europe ayant toujours eu une unité culturelle, et pas seulement dans le domaine musical mais dans tous les domaines, depuis l’Empire romain. Au XVIIe siècle le Baroque, parti d’Italie étant aussi un facteur commun culturel  européen que l’expansion coloniale espagnole et portugaise portera aux quatre coins du monde.

Mais voici un extrait de la 6e Partita pour violon seul de Johann Joseph Vilsmayr (1663-1722) où la violoniste est d’une agilité qu’on dirait diabolique, dont on ne sait pourquoi on l’a prêtée plus tard à Tartini et son fameux « trille du diable » puis à Paganini, alors que ces compositeurs antérieurs ne sont pas inférieurs en difficulté, témoin, cette gigue si polyphonique (Plage 17). 

Odile Édouard présente, bien emphatiquement, ce livre et CD comme « Un acte de résistance ». Elle en eut l’idée, je cite : « un jour où une nouvelle loi liberticide était votée. » Diable ! Était-elle en Syrie, en Turquie, en Biélorussie ou tout autre de ces dictatures qui prospèrent, hélas, même proches de nos démocraties ? Si elle était en dictature, pourrait-elle simplement dire et écrire ces mots sans danger ? Non, elle va tranquillement travailler au Conservatoire. On suppose qu’elle fait allusion aux contraintes sanitaires dont, apparemment, dans un confinement mental franco-français, clos dans ses frontières, elle ignore combien, dans une pandémie mondiale, elles furent bien plus sévères dans d’autres pays lointains ou voisins de cette Europe qu’elle nous fait visiter musicalement. Dans un ouvrage destiné aux jeunes, on peut déplorer les faciles clichés démagogiques qui relaient un complotisme, qui ne serait que ridicule s’il n’était dangereux. On doit être choqué, de nos jours de ces trop nombreux discours irresponsables au ton mélodramatique et déclamatoire, on doit refuser les ignorantes inflations de termes comme parler de « prise en otages » pour des simples grèves. Ce sont d’indécents abus de langage en une époque qui ne voit que trop la réalité meurtrière des otages et au moment où l’on commémore , aujourd’hui même, 27 mai,  le premier Conseil de la Résistance, terme qu’il est irrespectueux de galvauder.

Mais oublions la maladresse de certaines expressions au profit de ce bonheur musical que nous donne ce livre-disque, « quatre cordes en vibrations », que je dirais cordes vibrantes et cordiales, du cœur. Nous le quittons  avec Heinrich Franz von Biber (1644-1704) et son envoûtante et noble Passacaglia extraite des Sonates du Rosaire, plage 6.

Benito Pelegrín

https://rcf.fr/culture/livres/livre-disque-odile-edouard-et-la-collection-de-l-oreille-assemblagem

Rmt News Int • 3 juillet 2021


Previous Post

Next Post