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La visite de la vieille dame de Dürrenmatt

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Création Cie Têtes de Bois/ Jeu masqué et marionnettes/ Dès 12 ans/ Durée : 1h30/Du 7 au 31 juillet – Relâches : 12, 19, 26 juillet à 14h00 à l’ADRESSE 2, avenue de la Trillade 84000 – Avignon

Une visite au goût amer pour les habitants de Güllen

La compagnie les Têtes de Bois dont nous avions apprécié la variation autour du « Médecin Malgré lui » de Molière revient avec une version masquée de « la Visite de la Vieille Dame », une tragi-comédie savoureuse et implacable.

« Le monde a fait de moi une putain ; je veux faire du monde un bordel » Clara

S’appuyant sur un jeu expressionniste de type grotesque, maîtrisé par les comédiens de la troupe, cette création offre à voir un spectacle en haut en couleur avec ses personnages masqués, typés et typiques des édiles des petits villages.

Les costumes recherchés, aux coloris sombres, sont à l’image des personnages : le gendarme droit dans ses bottes et fanfaron, le juge parangon de la vertu judiciaire, le proviseur aux idéaux humanistes, le maire obséquieux et manipulateur, le pasteur à la soutane impeccable, raide comme la justice divine etc… Tous portent des masques aux yeux quasi-voilés, à l’exception des protagonistes, Clara et Hill incarnés par Valeria Emanuele et Jean Bard.

Les fêlures et bassesses de chacun se dévoileront au fil du récit avec une mention spéciale pour l’incarnation du proviseur dont la foi humaniste s’effrite douloureusement, lui causant bien des cas de conscience. Avec seulement cinq comédiens pour une vingtaine de personnages, c’est une belle performance d’acteurs à laquelle nous assistons.

La joyeuse troupe est dirigée par Medhi Benabdelouhab, également sur le plateau. Ce dernier mêle au jeu masqué la manipulation de marionnettes bouffonesques magnifiques : le duo des deux eunuques est à mourir de rire, les sœurs siamoises sont délicieusement drôles. Il intègre habilement de la musique en live -avec une réinterprétation originale et réussie à la guitare électrique de « Un año de amor » de Luz Casal- à sa mise en scène dépouillée collant au récit, également des morceaux de tango argentin réarrangés (Facundo Melillo, excellent).

Saluons ici la mise à la scène qui dans le respect du texte offre au spectateurs de jolis passages :  la scène des retrouvailles entre la vieille dame, Claire, et son ancien amoureux qui l’a trahie, Hill, dans les bois avec ses bruits d’oiseaux et bruissements d’arbre réalisés en direct ou encore la scène où Hill est encerclé par les habitants du village représentés par des têtes de marionnettes émergeant de derrière les palettes en bois formant la scénographie. Cette dernière, efficace et simple, est modulable au grès de l’histoire, devenant tour à tout prétoire, confessionnal, gare de train, intérieur de maison ou encore comptoir de magasin.  

Les jeux de lumière et  la création sonore délicate accompagnent avec justesse les moments forts du spectacle  (citons ici le bruit du train couvrant les voix à l’arrivée de Clara) pour des effets cinématographiques très réalistes…  

La création sert ici à merveille le propos du texte de Dürrenmatt : ce dernier nous interroge sur la justice corruptible, notre moralité qui n’est point infaillible, et notre appétit pour l’argent, cette avidité qui peut nous pousser au meurtre, au travers du deal proposé aux habitants du village par la vieille dame.

Cette dernière cherche à se venger de l’humiliation qu’elle a subi à l’aube de ses 18 ans, voilà fort longtemps, une vengeance qu’elle a concoctée pendant toutes ces années où elle parcourrait le monde, s’enrichissant au grès de ses épousailles, pour mieux acheter le petit village tout entier, ce village de son enfance qu’elle a volontairement laissé sombrer dans la misère afin de mieux exploiter la faiblesse de ses lâches habitants.

L’apparition de chaussures jaunes aux pieds des villageois qui viennent acheter à crédit chez Hill est à plusieurs titres symbolique, annonciatrice de leur capitulation face à l’appât du gain, également de la fin proche de Hill : par cupidité et barbarie, ils iront jusqu’à assassiner ensemble l’un des leurs, l’effet de groupe les absolvant de toute culpabilité dans cet acte atroce.

Cette création est une très belle réussite que nous vous encourageons à découvrir au Théâtre de l’Adresse, à 14h, jusqu’au 31 juillet (relâche le lundi) : ici, tout ce qui fait le spectacle – des lumières à la création sonore en passant par les costumes, la scénographie, la mise en scène, la manipulation des marionnettes et le jeu-, est précis, réfléchi et justifié.

Diane Vandermolina et Paola Lentini

Rmt News Int • 26 juillet 2021


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