Marie-Ange Nguci: Mozart sublimé.
Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. Grâce à Pierre Corneille (Le Cid), on peut ériger en devise cette citation de Rodrigue.
Le talent de la jeune pianiste franco-albanaise Marie-Ange Nguci force le respect: technique remarquable, sensibilité, clarté des thèmes mélodiques, puissance, équilibre sur la totalité du clavier, complicité avec l’orchestre. A 21 ans, sa maturité est étonnante. Marie-Ange Nguci, est une enfant prodige. Après avoir quitté son Albanie natale, elle arrive à Paris, à 13 ans et décroche, quelques années plus tard, de nombreux diplômes, en technique instrumentale (Piano, Ondes Martenot), étant aussi violoncelliste et organiste! Son premier disque, à 18 ans, est salué par la presse internationale. Diplômée d’un Master d’analyse musicale et Musicologie, et d’un Master de Pédagogie, elle prend la carrière qui s’ouvre devant elle avec un bagage exceptionnel, aimant jouer Jean-Sébastien Bach (musique baroque) comme Thierry Escaich (musique contemporaine). Ce soir, dans ce lieu qu’elle admire:«La Roque d’Anthéron est un lieu chargé d’universalité, de rencontres, d’esthétiques diverses, on sent tous ces bruissements qui changent, évoluent, se métamorphosent, au cours de la nuit, comme nous, comme la musique; on fait partie intégrante de ce décor naturel très exceptionnel, si touchant; c’est si émouvant de jouer ici..», l’artiste propose un programme qui ne comporte qu’un seul compositeur, ce qui est souvent un risque, car il faut trouver une unité, mais aussi une certaine diversité dans l’interprétation, les couleurs, les nuances, les trois mouvements si opposés, la virtuosité, les rapports avec l’orchestre. Le Concerto pour piano et orchestre n°20 en ré mineur K. 466 est en trois mouvements, forme immuable de ce genre musical, deux mouvements rapides encadrent un mouvement lent. Pour le N°20: 1. Allegro/ 2. Larghetto/ 3. Allegretto.
Arie Van Beek, chef d’orchestre néerlandais, contribue, depuis trente ans, au rayonnement artistique de sa ville natale, Rotterdam. Il dirige, ce soir, le Sinfonia Varsovia, composé de 18 cordes frottées, 9 vents (Bois et Cuivres) et une timbale; cet orchestre joue dans le monde entier et a participé à la Folle Journée de Varsovie, créée par le Directeur du Festival de piano de la Roque d’Anthéron, René Martin, créateur infatigable (cf La Folle Journée de Nantes!)
Le Concerto N° 20 est le premier de Mozart, dans une tonalité mineure, Ré mineur, comme son opéra Don Giovanni ou le Requiem, sa dernière œuvre, inachevée!
Arie van Beek imprime un équilibre majestueux dans les divers mouvements, thèmes, reprises et développements: amples, tragiques, nostalgiques, élégants, remarquablement interprétés par Marie-Ange Nguci: technique exceptionnelle au service d’une grande musicalité. Tout est concis, de la douleur du début à la péroraison finale (Ré Majeur, comme Don Giovanni!). L’instabilité des syncopes du début confère une troublante touche, annonçant le Romantisme. Superbe legato des cordes du Sinfonia Varsovia et l’entrée du piano, dans une magique écoute réciproque. Arie Van Beek propose un tempo allant, sans emphase; le chef et la pianiste respirent ensemble. Le Larghetto ressemble à l’Adagio du concerto pour clarinette de Mozart: suspendu, impression de pas hésitants avant une fin plus orageuse, plus tumultueuse, contre-chant des vents avec les cordes, reprise du thème sur la pointe des pieds; la jeune pianiste joue avec un raffinement exquis.
Composition majeure de Mozart, à la fois pour le clavier et l’orchestre que Beethoven adorait, y ajoutant des cadences endiablées, la connivence entre la pianiste et le Sinfonia Varsovia est superbe.
Les cadences ont été jouées par Mozart lors de la première à Vienne, très improvisées, comme il le faisait souvent, car non écrites! Wolfgang-Amadeus, toujours pris par le temps! On sent chez Marie-Ange Nguci cette nervosité, cette rapidité d’esprit que devait avoir évidemment, le génial salzbourgeois! Quelques heures avant la création, le dernier mouvement de forme Rondo (alternance Refrain/Couplets, typique des troisièmes mouvements des concertos.) n’était pas terminé et les copistes s’affairaient à copier, pour chaque pupitre, les parties des instruments correspondants. Il y a, à la Roque, cette nervosité dans l’air, un esprit pétillant, bondissant, comme un hommage au compositeur.
Il est de coutume, aujourd’hui, de jouer les cadences de Beethoven. Marie-Ange Nguci promène ses doigts agiles sur toute la longueur du clavier, la timbale amène plus de drame, mais une fin en Ré majeur triomphale, où le style galant du XVIIIème siècle se mêle aux frémissements du Romantisme qui semble naître déjà. La pianiste, comme l’orchestre, savent retenir les sons sur les moments de méditations puis les libérer dans les moments d’exubérance.
Quelques mois après, Mozart livre ce second chef-d’œuvre: Le Concerto pour piano et orchestre n°21 en ut majeur K. 467. Ce concerto frappe par le contraste de tonalité, du ré mineur au do majeur, bascule importante, de la passion préromantique à la majesté d’un style galant plus affirmé. L’Allegro est d’une richesse prodigieuse, avec des élans tragiques aussi que la pianiste transcrit par un jeu dépouillé, très clair mais avec une tension palpable. Thème de marche, solennel, et des modulations en tonalités mineures. On reconnaît des passages qui annoncent la 40ème symphonie en sol mineur que Mozart composera en 1788. Les brillantes interventions des vents du Sinfonia sont de vraies parties solistes. Le deuxième est le magique Andante, mélodie accompagnée par un rythme obsédant et soutenu, d’une beauté inouïe. Le chef Arie Van Beek maintient une pulsation indispensable, accompagnement en noires régulières sur la mélodie qui semble planer.
Bo Widerberg, réalisateur suédois, l’utilisa comme bande son de son film Elvira Madigan en 1967. L’entrée du piano, sur les pizzicatti des cordes, est irréelle, le legato des violons et altos comme une caresse continue: aérien et pulsé, tout le génie de Mozart et l’intelligence des interprètes.
Ces lignes suspendues, ce chant permanent, rappellent le prodigieux mélodiste qu’était Mozart (Porgi amor, air de la Comtesse, Voi che sapete, air de Chérubin des Noces de Figaro, Ruhe sanft, mein holdes Leben, air de Zaïde et des dizaines d’autres dont on retrouve, ici, la grâce). Les lignes vocales ou les phrases des instruments à vent, témoignent de cette grande richesse expressive, comme des portraits de vie.
L’Allegretto montre une cohésion des cordes et des vents (Bois-cuivres) parfaite. Le Sinfonia Varsovia sonne remarquablement, forme Rondo habituelle, avec une inspiration moindre que les mouvements précédents. D’un esprit plus festif, burlesque, Mozart est allé très vite.
Triomphe de cette jeune pianiste dont l’avenir paraît radieux tant elle dégage une intelligence de jeu et une grande sensibilité; sa double culture, son ouverture aux autres, son écoute de l’orchestre pour s’y fondre, confirme la phrase de Rodrigue. Son entente avec son aîné néerlandais, le fringant septuagénaire Arie Van Beek, était très émouvante.
Un très beau concert dans une nuit extrêmement silencieuse, où les pianissimi se posaient, par magie, dans l’auditorium.
En bis, piano seul, son amour pour la France certainement: une remarquable interprétation de: Une barque sur l’océan (extrait de Miroirs, 1905) de Maurice Ravel, vrai orchestre devant nous; fluidité des doigts, grandes vagues impressionnistes, arpèges virtuoses de la main droite sur le thème main gauche si clair: quel toucher! Et, en feu d’artifice, la Toccata opus 111 N°6 de Camille Saint-Saëns. Un tourbillon de sons prodigieux! Un final éblouissant.
Une pianiste albanaise, un chef néerlandais, un orchestre polonais, un compositeur autrichien, la Roque d’Anthéron frappait un grand coup, encore… dans cette belle harmonie artistique très européenne.
Yves Bergé
Jeudi 5 août 2021/ 21h00
Festival International de piano de La Roque d’Anthéron
Auditorium du Parc Florans
Piano: Marie-Ange Nguci
Direction: Arie Van Beek
Orchestre: Sinfonia Varsovia
Mozart : Concerto pour piano et orchestre n°20 en ré mineur K. 466
Mozart : Concerto pour piano et orchestre n°21 en ut majeur K. 467
Crédits photos: Valentine Chauvin ©
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