Entretien avec Philippe Car, metteur en scène
« Sur le sentier d’Antigone » par l’Agence de Voyages imaginaires
En Tournée dans les Bouches-du-Rhône/Spectacle gratuit
L’agence de Voyages imaginaires, dirigée par Philippe Car, pose ses bagages au théâtre de l’Odéon à Marseille, ce dimanche 19 septembre à 18h avant de partir en tournée dans le département pour une longue série de représentations de leur création « Sur le sentier d’Antigone ».
« Vivre sans résister n’est pas une vie ».
Créé en 2011, ce spectacle traite de la question de la résistance au travers de la figure mythique, universelle et intemporelle d’Antigone. Il se présente également comme une ode à la vie, nous questionnant sur le sens de la vie. En effet, Antigone en choisissant d’enterrer son frère selon les rites en usage au risque de mourir ne fait pas qu’obéir à la coutume, au contraire, c’est un acte de résistance qu’elle opère face au Roi Créon, son oncle tyran. Ce sujet est d’autant plus d’actualité aujourd’hui que nos libertés sont bridées de toute part et qu’il y a urgence à résister. Nous nous sommes entretenus avec Philippe Car au sujet de la reprise de cette création que nous vous recommandons chaudement.
Diane Vandermolina : Vous reprenez votre création autour du personnage d’Antigone, une figure emblématique de la mythologie grecque. Qu’est ce qui a motivé le choix de ce récit ?
Philippe Car : C’est une histoire, un mythe, que nous avons tous découverts quand nous étions adolescents : nous l’étudions à l’école et nous avons tous vécus quelque chose de cet ordre-là dans nos vies, nous avons tout jeunes déjà des valeurs. D’ailleurs, quand nous jouons pour les enfants, nous leur expliquons qu’Antigone a le même âge qu’eux, entre 14 et 17 ans : Sophocle, le premier à avoir écrit l’histoire d’Antigone, parlait d’une très jeune fille. Elle dit non à l’autorité car elle défend des valeurs et préfère mourir plutôt que trahir ses valeurs. Ce message est important pour nous parce que dans la société actuelle, nous sommes en perte de valeurs, nous ne savons pas le sens de la vie : on nous parle de travailler, gagner de l’argent, pour vivre. Nous, nous défendons autre chose. Nous avons créé ce spectacle en brousse au Burkina Faso devant des spectateurs qui ne connaissaient pas le théâtre. On les prenait à partie pour savoir s’ils voulaient qu’elle soit punie pour son acte et le public répondait : « non, il faut sauver son frère ». La défense des valeurs est un message universel porté par tout le monde, au-delà même de l’histoire d’Antigone.
Diane Vandermolina : Vous proposez une adaptation clownesque et burlesque d’une tragédie avec l’omniprésence de la musique et une mise en scène qui joue sur différents types de narrations, entre comédie et tragédie. Vous faites également participer le public. C’est votre marque de fabrique.
Philippe Car : Effectivement, nous ne savons pas faire du théâtre autrement même si je ne suis pas le seul à défendre cette pratique. Pour moi, pour qu’il y ait tragédie, il faut de la comédie : le théâtre doit se vivre du rire aux larmes. C’est cet ensemble d’émotions qui fait théâtre. Sophocle lui-même a introduit des personnages comiques dans son Antigone : les gardes sont peints de façon clownesque. Plus récemment, Anouilh et Brecht appuient également sur ce caractère comique. Chez Shakespeare, il y a toujours un personnage qui vient détendre l’atmosphère. Dans notre création, on pousse plus loin le comique chez Créon : quand il arrive, il commence par nous faire rire et le public se prend d’empathie pour lui puis quand il devient tyrannique et condamne Antigone, il nous interroge. On se remet en question : « n’a-t-il pas raison quelque part ? » Car, à la fin Créon regrette son acte. Proposer cette ouverture des émotions est très important pour nous, nous devons faire attention au public, ne pas l’ennuyer avec seulement une tragédie. C’est d’autant plus important qu’en le créant en brousse devant un public qui ne parlait pas français, il fallait fabriquer des images et l’amuser pour l’attirer, le conquérir. Une fois conquis, on peut commencer.
Diane Vandermolina : c’est une démarche très pédagogique…
Philippe Car : oui, le théâtre est par essence pédagogique : quand les grecs l’ont inventé, c’était pour que les spectateurs passent un moment de paix avec eux-mêmes, notamment au regard de notre tragédie humaine car nous allons tous mourir un jour et le théâtre sert à ça, nous soulager. Et puis le théâtre se transmet : Sophocle a couché le premier le mythe sur le papier mais il y a de grandes chances qu’il ait été rapporté par des conteurs comme Homère. Nous nous situons à un endroit de la chaine en racontant cette histoire à notre manière.
Diane Vandermolina : Dans le spectacle, Valérie Bournet incarne plusieurs personnages dont le clown Séraphin qui porte les mêmes valeurs d’engagement et de pureté qu’Antigone.
Philippe Car : Valérie a eu envie de traverser cette histoire avec un personnage qu’elle transporte de spectacles en spectacles : Sépharin est né avec la création de Tristan et Yseult. C’était le narrateur, innocent face au monde, et, comme un enfant, il se questionnait sur l’amour dans le spectacle. Il a également raconté l’histoire de Roméo et Juliette avec deux anges gardiens. C’est la même chose dans Antigone où il est accompagné de deux femmes accordéonistes. Le fait d’être toute seule et de jouer à la fois Créon et Antigone renforce le fait que nous avons tous une Antigone et un Créon en nous. Nous avons tous l’innocence et les valeurs d’Antigone et un tyran qui veut écraser l’autre : ça raconte l’ambivalence de l’être humain. Mais effectivement, sur l’innocence, entre Séraphin et Antigone, il y a une vraie ressemblance, on peut dire qu’on a mis un nez rouge à Antigone.
Diane Vandermolina : justement, pour en revenir à la mise en scène, il y un aspect fantaisiste mais également un côté très poétique dans ce spectacle.
Philippe Car : oui, on retrouve la fantaisie dans le personnage du fiancé d’Antigone, auquel elle fait perdre la tête : nous avons imaginé un personnage sans tête. Chez le garde qui devient un géant lorsqu’elle se retrouve emprisonnée par Créon dans une minuscule cage, on est comme dans un cauchemar. On est aussi dans le conte. Le conte est un ingrédient indispensable dans le théâtre qui pour moi doit satisfaire les yeux, les oreilles… tous les sens. La poésie est la base du théâtre. Quand on crée un spectacle, on se pose toujours la question de savoir comment remplir chaque centimètre carré du plateau et chaque seconde de temps. Cette boite noire qu’est le plateau, on la rentabilise. C’est l’essence de notre travail car nous n’avons pas de gros budget, nous sommes une compagnie d’artisans qui aime fabriquer du rêve avec peu. Cela laisse la place au spectateur de fabriquer lui-même son rêve, développer son imaginaire. Si on met une chaise et qu’on dit « c’est un arbre », il voit une forêt.
Diane Vandermolina : Il est rare de voir la compagnie jouer à Marseille dont elle est originaire pourtant.
Philippe Car : On est très content de cette petite tournée mais il est vrai que nul n’est prophète en son pays. Il y a deux raisons à cela : d’une, il faut être très reconnu sur son territoire et de deux, le théâtre du Gymnase qui nous a énormément suivi programmait nos créations, les autres lieux ne programmant pas de reprise, ils ne nous programmaient pas. On créait nos spectacles à Marseille, on les jouait puis on partait en tournée. On rêve de jouer notre répertoire à Marseille et en ce moment, avec la nouvelle municipalité, on essaie d’imaginer à l’Odéon une grande série où on pourrait jouer tous les spectacles de la compagnie. Beaucoup de gens aimeraient les voir et les revoir et nous serions heureux de le faire à l’Odéon : cet ancien cinéma été très bien réaménagé en théâtre avec une belle jauge, un bon rapport au public et un magnifique plateau.
Propos recueillis par Diane Vandermolina
Calendrier de la tournée théâtrale départementale des Bouches du Rhône du spectacle « Sur le sentier d’Antigone » : http://www.voyagesimaginaires.fr/les-spectacles/dates-tournee/
Crédit photos Elian Bachini© Agence voyages imaginaires 2011
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