« Sur le sentier d’Antigone » par l’Agence de Voyages imaginaires
En Tournée dans les Bouches-du-Rhône/Spectacle gratuit
Proposé dans le cadre des tournées théâtrales du département des Bouches du Rhône (infos https://www.departement13.fr/les-tournees-theatrales-departementales/ )
ANTIGONE ou le choix assumé de la résistance à l’autorité
L’agence de Voyages imaginaires, dirigée par Philippe Car, a posé ses bagages au théâtre de l’Odéon, ce dimanche 19 septembre avant de partir en tournée dans le département pour une série de représentations. Créé en 2011, ce spectacle n’a pas pris une ride et reste d’actualité.
Les lumières s’éteignent, une douce musique s’élève dans la salle, une voix enfantine se fait entendre dans le public : Séraphin – le clown de Valérie Bournet-, accompagné de ses deux anges gardiens, Cupidon et Gabriel, incarnés par deux femmes – les musiciennes et comédiennes Lucie Botiveau et Anaïs Delmas-, est venu nous entretenir du récit de la tragique histoire d’Antigone, fille d’Œdipe et nièce du terrible Créon.
Séraphin, enfant clown à la démarche malaisée, engoncé qu’il est dans sa culotte bouffante, nous parle de résistance. Qu’est-ce que résister ? « Résister, étymologiquement parlant, c’est se tenir debout. On résiste à la tentation de manger un chou à la crème, à une tempête ou encore au fascisme » nous dit-il de sa douce voix. Résister, c’est être fidèle à ses valeurs, à ses idées, à soi. « C’est désobéir à l’autorité, ne pas céder face à l’injustice » et être capable de mourir pour ses idées, aussi, à l’image d’Antigone. Le ton est ici donné par ce préambule aux saveurs tragi-comiques…
Antigone résistera au dictat de Créon qui, pour asseoir sa tyrannie, condamne à mort quiconque tente d’enterrer Polynice, abandonné aux vautours quand son frère Étéocle reçoit des funérailles dignes d’un roi. Antigone -qui se suicidera dans sa cellule- refuse de laisser un de ses frères en pâture aux vautours. Accompagné par deux acolytes accordéonistes, Séraphin revêtira successivement la couronne et le nez rouge d’Antigone ; la couronne, le gros nez moustachu et les lunettes de Créon – attributs lui conférant un air de ressemblance avec Hitler. Les deux musiciennes interprètent les gardes de Créon et le futur époux d’Antigone, fils de Créon, l’homme sans tête – une trouvaille fort amusante-, également la sœur d’Antigone avec sa perruque blond platine.
Allant du burlesque à la tragédie, du ludique au sérieux, mêlant le récit au jeu et vice versa, la mise en scène de Philippe Car permet aux spectateurs les plus jeunes de suivre pas à pas les questionnements d’Antigone, la belle entêtée, et de Créon, l’aspirant tyran au cœur d’artichaut ; et c’est là que réside un des intérêts du spectacle : aucun des personnages ne tombe dans le manichéisme – la scène des trois Créon est par ailleurs fort judicieuse. Cette création d’une durée de 1h15 ne se perd pas en digressions inutiles, le propos ne se dissout pas en réflexions stériles, chaque scène a son utilité et sa vertu. Qui plus est, les traits d’humour de Séraphin qui ne sont pas gratuits permettent d’alléger le tragique de certaines scènes même si la tragédie semble au final avoir pris le dessus sur le clown.
Le public ne peut que s’attacher à suivre les aventures d’Antigone jusqu’à sa fin fatale avec intérêt et plaisir. Plaisir car le jeu de Valérie, notamment quand elle interprète tour à tour Créon et Antigone lorsque ce dernier tente de l’empêcher de courir à sa perte, est excellent. Elle passe d’un personnage à l’autre avec une aisance incroyable, modelant et son jeu corporel et sa voix, le temps d’un éclair. L’imaginaire décalé du metteur en scène fourmille d’idées – le jeu en miroir des deux sœurs séparées par un cadre de tableau par exemple ou la danse d’Antigone et de son bien aimé ayant perdu la tête pour elle- et d’inventivité –notamment, la scène du garde géant qui, quand Antigone dicte sa lettre au second garde, reprend sa taille humaine.
La scénographie composée d’un lit en fer servant de canapé, de trône ou de geôle et d’un gigantesque tissu rouge aux multiples usages est fort ingénieuse ; de même le ciel peint en fond de scène rappelle que la scène de ce récit est le monde. Il ouvre le récit vers une autre dimension bien plus actuelle. Le tout bien entendu à la sauce cartoon, avec des scènes fort drôles et légères – la bataille de polochons des frères qui se battent pour le trône- ; des effets de magie – le livre qui se met à bruler – ; des effets de lumières et de sons allégeant ou appuyant les moments tragiques ; l’entêtante mélodie omniprésente qui fait corps avec le spectacle. Il est remarquable de noter le souci du détail et une finesse certaine dans la réalisation et interprétation, notamment la scène très poétique où l’on voit tanguer en ombre chinoise la prison d’Antigone prise dans une valse hésitation. Les certitudes des héros peuvent vaciller, même temporairement, comme celles des tyrans.
Ce spectacle est une belle réussite pleine de drôlerie, de poésie et d’humanité à voir ou à revoir. Le public est conquis et on ne se lasse pas de le revoir tant le propos est si juste et d’actualité en ces temps troublés par une crise sanitaire ayant restreint nos libertés : « il faut résister et pas que face à un chou à la crème » conclurait Séraphin. Diane Vandermolina
Distribution
Mise en scène : Philippe Car
Avec : Valérie Bournet, Lucie Botiveau et Anaïs Delmas
Adaptation et écriture : Valérie Bournet, Philippe Car d’après Sophocle
Traducteur de Sophocle : Paul Mazon
Assistanat à la mise en scène : Laurence Bournet
Scénographie : Valérie Bournet
Composition musicale : Vincent Trouble
Création lumière : Julo Etiévant
Costumes et accessoires : Magali Leportier et Christian Burle
Décor et accessoires : Jean-Luc Tourne
Régie générale son et lumière : Julo Etiévant, Vincent Trouble
Régie plateau : Valérie Pocreau
Dates de la Tournée
JEUDI 23 SEPTEMBRE — 20h00 Théâtre Arles | Arles (13) Spectacle gratuit. Réserver de 9h à 12h au 04 13 31 25 60
VENDREDI 8 OCTOBRE — 20h Maison du peuple Pierre Bénite | Pierre-Bénite (69) 04 78 86 62 90
MERCREDI 13 OCTOBRE — 20h30 Roudelet Felibren Château Gombert | Marseille (13) Spectacle gratuit. Réserver au 04 91 05 15 65
VENDREDI 15 OCTOBRE — 20h Espace de la Confluence | Auriol (13) Spectacle gratuit. Réserver sur https://espacedelaconfluence.notre-billetterie.fr/billets?spec=29
Crédit photos Elian Bachini© Agence voyages imaginaires 2011
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