Exploser le plafond : Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture
Autrice : Reine Prat/ Éditeur : Rue de l’échiquier/ Collection : Les Incisives
ISBN : 978-2-37425-310-7/ EAN : 9782374253107/ Prix : 12€
Format : 110 x 190 mm/ Nombre de pages : 112/ Date de parution : 14/10/2021
Un ouvrage revigorant à conserver à portée de main
Avec les mouvements #MeToo et #balancetonporc, ont éclaté au grand jour, dans les médias et sur les réseaux sociaux, avec une puissance inédite, les inégalités et discriminations, violences et harcèlements (sexistes, sexuels, raciaux, environnementaux…) qui existent depuis la nuit des temps dans le monde de la culture (édition, musique, théâtre, cinéma, etc.) et de la communication.
Les nombreux témoignages à charge des femmes victimes de ces conduites mettent en lumière l’impunité des artistes masculins : ces derniers sont très largement protégés par le système dans la mesure où est opposée, aux critiques, leur liberté de création, alibi bien utile qui nous interroge sur l’éternelle question de la séparation de l’homme et de l’artiste. De plus, leurs comportements inappropriés font l’objet d’un consensus persistant et de nombreuses tolérances, liés à la construction sociale des représentations des rapports entre les hommes et les femmes. Ce que Sartre a par ailleurs théorisé dans l’Etre et le Néant, plus particulièrement dans son passage sur la Mauvaise Foi féminine.
Dans cet ouvrage écrit à la façon d’un essai, Reine Prat, inspectrice générale de la création, des enseignements artistiques et de l’action culturelle, revient sur le fonctionnement interne du secteur et ses caractéristiques structurelles : usant d’un style incisif revendiqué où la contradiction assumée permet de révéler une réflexion longuement murie par l’autrice, cette dernière nous éclaire sur une réalité que nous ne pouvons ignorer. Sous couvert de promouvoir l’ouverture et la diversité, le monde de la culture reste dans un entre soi dominé par un bastion d’hommes blancs, cis-hétéros, issus des classes moyennes et supérieures, y compris dans des professions fortement féminisées comme le livre. Reine analyse ainsi avec acuité et finesse, précisant chaque source à laquelle elle se réfère, comment s’articulent les représentations proposées au public, l’organisation du travail artistique et culturel et la vie privée de celles et ceux qui le font, partant du constat que la scène, l’intime et l’espace public sont les trois leviers d’un système qui alimente et reproduit une culture patriarcale, dominatrice, inégalitaire et pire, antidémocratique à l’instar et/ou héritée de la démocratie grecque réservée aux seuls citoyens masculins.
La pensée féministe de Reine Prat s’est radicalisée « à son corps défendant » (dixit G. Fraisse, en préface), à la suite des rapports qu’elle a rendus sur la question des inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts du spectacle parus en 2006 et 2009.
Dans son livre, elle tente de proposer des pistes de réflexion et d’action au monde de la culture pour lutter contre les discriminations et inégalités. Ces dernières sont inscrites dans la langue française elle-même « où le masculin l’emporte sur le féminin » dans les accords, règle aujourd’hui remise en question par les féministes, à laquelle on peut substituer celle de l’accord avec le genre majoritaire. De plus, le français ne connaît pas le neutre au contraire de l’allemand par exemple et seuls certains métiers ont des noms masculins épicènes c’est-à-dire qui se terminent en ‘e’ et peuvent également désigner une femme : photographe, peintre ou encore poète. A la question non tranchée du langage inclusif, celle qui dit préférer utiliser des majuscules pour plus de lisibilité explique qu’il n’y a aucune règle. Il est vrai que la question divise et que la notion d’inclusivité peut être excluante. Par ailleurs, à la fraternité ou à la sororité, elle oppose la solidarité, terme plus adéquat permettant de sortir d’une pensée binaire, et s’inquiète des discriminations positives dont les effets pervers sont pléthores.
Ainsi, l’histoire même de la langue française permet de comprendre comment la société a été bâtie sur un système patriarcal qu’il est difficile de « (dé)gommer » dans les représentations du monde et par conséquent dans l’organisation, hiérarchisation, et structuration même du monde. Ce constat âpre nous questionne et même si Reine Prat ne donne pas de réponse à la manière dont nous pouvons rééquilibrer la donne, elle nous offre des pistes de réflexion passionnantes, à commencer par sa définition du féminisme : « par féministes, j’entends toute femme ou tout homme ayant vécu ou étant conscient.e des violences exercées quotidiennement contre des femmes, des gays, des lesbiennes, des trans et luttant contre ces violences et contre toute forme d’inégalité ». Cette définition large a pour mérite d’inclure des situations bien plus complexes que ce que le terme de base peut recouvrir dans les esprits, une façon d’ouvrir les êtres à une vision plus globale des problématiques et nous réveiller de notre sommeil dogmatique. En ce sens, cet essai est un guide offrant au monde de la culture des outils de réflexions pour des actions à venir.
In fine, Reine Prat, en nous éveillant à des problématiques que nous ressentons sans pourtant toujours en saisir les tenants et les aboutissants, incite les femmes à exploser ce plafond de verre qui encore trop souvent aujourd’hui les empêche inconsciemment ou non de se projeter dans des métiers par peur qu’ils ne soient pas pour elles ou encore par crainte de subir ces paroles et propos, agissements et comportements, harcèlements et agressions sexistes et discriminatoires existant dans le monde culturel : on ne juge pas le travail d’une femme de la même façon que celui d’un homme, la première sera déconsidérée là où le second sera encensé. Il nous faut donc inverser la vapeur, en commençant par s’attaquer à ce chantier de construction d’un monde culturel véritablement représentatif des diversités existantes à l’image de la culture populaire.
Osez Joséphine chantait Bashung, je terminerais en disant : osez, amies féministes, femmes, cis ou LGBTQI, racisé.e.s ou non ! Diane Vandermolina