CHALEUREUX HIVER
Les Itinérantes Voyages d’hiver, Noëls du monde a cappella (Label Ambronay)
Ce n’est pas le mélancolique ‘Voyage d’hiver’, Winter Reise de Schubert, dans une Allemagne enneigée, sorte d’adieu à l’amour et peut-être à la vie. Ici, il s’agit d’un chaleureux voyage d’hiver auquel nous invite un trio, trois dames qui pourraient être les mozartiennes dames d’une rêveuse et ravissante Flûte enchantée, qui nous tracent un intimiste itinéraire enchanteur à travers des Noëls du monde, dans un mois de décembre dont la froidure varie selon la latitude puisque l’hiver chez nous est le plein été dans le continent austral. Ainsi, de la lointaine Russie, avec la tasse de thé de la Fée Dragée du ballet Casse-Noisettes de Tchaïkovski, des Pays baltes, la Lettonie, de la Suède à l’Angleterre et l’Irlande, de la France à la Roumanie en passant par l’Espagne catalane, d’un étrange Sahèl africain à la langue inventée dans une chimère de glace, au Brésil, plus d’autres morceaux, tiré d’un film ou filés par l’imagination, nous avons un éventail de musiques élargies aux rivages du rêve.
Les Itinérantes sont trois artistes, trois femmes issues de la même école de comédie musicale qui ont uni leurs talents en 2017 pour ce qui devait être un unique concert. Ce concert s’est perpétué en projet concrétisé depuis, dont ce disque est un aboutissement. Trois musiciennes aux horizons variés : de la musique classique et ancienne (Pauline Langlois de Swarte) au jazz et à la chanson (Manon Cousin), en passant par la musique du monde (Élodie Pont, initiée au chant diphonique, émettant deux notes différentes en même temps). De leurs multiples univers singuliers, elles ont fait leur projet pluriel, et commun. D’abord, création de leur groupe, Les Itinérantes : un trio a cappella, sans autre instrument, du moins ici, que la percussion de Thierry Gomar. Leur riche répertoire couvre actuellement 11 styles musicaux, 9 siècles et 30 langues différentes.
Mais voici une langue, certes différente, mais l’ancien français aux charmants diminutifs que nous avons malheureusement perdus, dans ce chant qui nous vient du XVIe siècle : Noël nouvelet, pour le « Roi nouvelet, » l’Enfant Jésus, chantera « l’oiselet » qui guidera les pasteurs vers Bethléem où ils trouveront cet « agnelet », c’est accompagné d’un vibraphone à archet, conservant cette saveur archaïque :
1) PLAGE 1
Chaque morceau est simplement mais joliment commenté, situé par l’une des interprètes, souvent de manière affective en s’impliquant dans la découverte d’un de ces chants qu’elles nous font presque tous découvrir. Cela fait partie du charme intimiste de ce CD universel mais très chaudement personnel.
Nous passons à un Noël anglais, ces « carols » traditionnels, agrémenté de ces clochettes scintillantes et bols tibétains, God rest you merry, gentlemen, ’Que Dieu vous accorde paix et bonheur’ dit le Cd, qu’on traduirait plutôt par : ‘Dieu vous garde en joie, messieurs’ » :
2) PLAGE 2
Nous faisons un bond vers le sud, vers la Catalogne avec El noi de la mare, ‘l’Enfant de la Mère’, l’enfant de Marie, Jésus, auquel on va donner ce qui lui plaît : des raisins secs, des figues, des olives, du miel. Pauline Langlois de Swarte nous dit qu’elle chantait cet air à Perpignan lorsqu’elle était enfant. Moi, je le chantais à Barcelone, d’où il est issu :
3) PLAGE 4
Là, c’est un grand saut que nous faisons vers le sud estival de décembre au Brésil avec cette ravissante Borboleta, le papillon multicolore, fleur ailée, voletant parmi les fleurs au rythme capricieux d’une bossa nova contemporaine :
4) PLAGE 6
Les Itinérantes se jouent donc des frontières terrestres et du temps, passant de musiques d’autrefois à d’aujourd’hui, faisant des transcriptions et arrangements d’airs traditionnels ou classiques. Le Cd est agrémenté de belles photos des trois dames, une seule, sous deux angles en couleurs, de dos, jupes longues de style XIXe siècle, une autre dans un paysage de forêt devant un toit d’une chaumière qui fume, en châles pour deux d’entre elles, couronnées de fleurs pour on ne sait quelle fête ancienne. Les autres photos, dans une ambiance toujours d’autrefois, contre un troc d’arbre qui semble magique, ou en confortable intérieur, en plongée étrange.
Elles font explicitement référence par leur tenue, à celle des premières exploratrices aventurières d’entre la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle auxquelles, à leur façons, elles rendent hommage, femmes audacieuses qui ont non seulement découvert le monde mais ouvert cette voie aux autres femmes : ainsi, la britannique Isabella Bird (1831-1904), première femme à entrer à la Royal Geographical Society, la l’américaine Nellie Bly (1864-1922) qui se fit interner dix jours dans un hôpital psychiatrique pour en dénoncer les méthodes brutales, laissant un témoignage encore dans toutes les librairies, ou encore la Française Alexandra David-Néel (1878-1969), première femme à atteindre la cité tibétaine sacrée de Lhassa, que dans le jeu de la « panthéonisation » affective, France-Culture propose pour le Panthéon. Et je signale qu’elle était cantatrice, ayant chanté de grands rôles, compositrice, féministe et anarchiste.
S’il n’y a pas de frontières, jugeons-en par cette célèbre chanson napolitaine, Santa Lucia, devenue, en Suède, un célèbre noël national local, Sankta Lucia :
5 ) PLAGE 14
Des trente langues qu’elles chantent, en voici une, inédite, l’Eldali, poétique langue inventée par Élodie Pont, presque anagramme de son prénom dans et air étrange, Sahèl, qui nous évoque les sables africains, mais où une mystérieuse voix en vocalise semble attirer la vaillante exploratrice vers un paradoxal palais d’une sorte d’Atlantide enfouie sous les glaces. Et nous finissons ainsi notre itinéraire des itinérantes :
6) PLAGE 11
Benito Pelegrín
Les Itinérantes
Voyages d’hiver, Noëls du monde a cappella
Label Ambronay
RCF : émission N°576 Benito Pelegrín