Le Chevalier de Chavoye
Une soirée chez le Chevalier de Chavoye, marin de Louis XV
Les Chantres de Saint-Hilaire Sauternes, Label Hortus
Comme on aimerait connaître quelque chose de ce mystérieux et sympathique Chevalier de Chavoye, dont ce CD, à la spartiate présentation, nous dit seulement qu’il fut « officier dans les troupes de la Marine, lieutenant du Roi à Trois-Rivières », donc au Canada. Pour autre et unique élément biographique, on nous apprend qu’« en 1724, il hérite du fief de Chavoy, près d’Avranches, en Normandie. Ainsi, « de 1730 à 1731, Noyan séjourne en France. » On n’en saura pas plus : contrainte misère de cette époque où les livrets des disques se font, la plupart du temps à l’économie. On saluera, malgré tout que l’on nous offre, le texte des trois cantates, même sous forme prosifiée, c’est-à-dire, pour gagner de la place, les vers écrits horizontalement les uns après les autres sans coupure à la rime. Ce qui fait qu’on doit les lire pour en percevoir le mètre : en général des octosyllabes, vers courts de huit pieds avec quelques nobles alexandrins, nécessité lyrique d’user d’une métrique courte rapide, puisque la musique allonge toujours le débit de la parole.
Oui, on aimerait savoir davantage sur ce Pierre-Jacques Payen de Noyan et de Chavoye qui prit la peine de recopier soigneusement et de faire imprimer, nous dit-on, entre autres pièces des années 1720-1730, des cantates profanes. Les Chantres de Saint-Hilaire Sauternes, musiciens, spécialisés en musique baroque française en ont extrait trois cantates et trois morceaux instrumentaux pour en faire ce disque : un CD bien sobre et succinct dans son livret, mais fort réussi vocalement et musicalement.
Je suis donc allé me documenter un peu sur ce marin de métier, né dans la Nouvelle France, à Montréal en 1695, compilateur mystérieux, amateur éclairé de musique de la France métropolitaine qu’il ne semble découvrir qu’en 1730, appelé pour présenter un plan de politique à suivre dans les rapports avec les Amérindiens, les Indiens autochtones, ce qui nous fait rêver d’aventures du genre le Dernier des Mohicans, ou contre les Iroquois. Noyan participe aux guerres contre les Anglais, auxquels Louis XV cédera finalement cet immense Canada dans les années 1760, dans l’indifférence générale, Voltaire même se gausse dans Candide de cette guerre pour « quelques arpents de neige ». Notre Chevalier musicien sera même embastillé un an pour une négligence militaire, et mourra à Paris en 1771.
C’était notre petit hommage à ce marin qui, de loin, sur les flots ou entre les forêts et les neiges canadiennes, parmi les indigènes, n’ignorait rien de la musique la plus raffinée de la métropole et nous lègue en héritage un beau recueil, avec le luxe pour nous, de pièces peu connues et même inédites comme cette rare cantate profane de François Couperin, Ariane consolée par Bacchus, dans une version pour haute-contre et orchestre, interprétée d’un timbre au sombre velours dramatique par Guillaume Figiel Delpech. Le sujet méritait peut-être quelque éclaircissement, que je vous donne. Souvenez-vous de Racine, la plainte de Phèdre :
« Ariane, ma sœur, de quel amour blessée,
Vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée !»
En effet, Thésée est venu d’Athènes pour libérer sa ville du tribut annuel imposé par Minos, roi de Crète, de sept filles et sept garçons à offrir en pâture au Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau, enfermé dans le fameux labyrinthe. Il le tue mais ne se tire du labyrinthe inextricable que grâce à la pelote de fil qu’Ariane, fille du roi, qu’il avait séduite, lui avait donnée pour retrouver son chemin vers la sortie. Mais, trahissant sa promesse de mariage —il épousera sa sœur Phèdre et l’on sait la tragédie qui s’ensuit—Thésée enlève Ariane et l’abandonne sur une île déserte. On se rappelle le fondateur Lamento d’Ariane de Monteverdi, qui sera modèle à toutes les imprécations lyriques et lamentations d’héroïnes abandonnées, Didon, Alcina, Armide, qu’affectionne le Baroque. Mais en notre époque de Me too, nous préférons la version, reprise par Richard Strauss dans son Ariane à Naxos où le dieu Bacchus sauve et épouse Ariane. Comme dans cette optimiste cantate de Couperin. Nous en écoutons les mots consolateurs de Bacchus, dieu du vin : PLAGE 5
Une cantate était en fait un opéra de chambre, à une voix souvent, avec des récitatifs suivis d’air. La seconde cantate, de Louis-Nicolas Clérambault, pour dessus (soprano), traverso (flûte) et orchestre, a pour sujet Léandre et Héro, tragique histoire des deux amants chacun habitant une des deux rives de l’Hellespont, Europe et Asie. Toutes les nuits, Léandre traverse le détroit 1 à 6 km de large à la nage, guidé par une lampe qu’Héro allume en haut d’une tour qu’on vous montre encore si vous allez à Istanbul. Mais une nuit, le vent éteint la lampe et, sans repère, Léandre se perd dans les flots se noie et son amante, désespérée, se suicide, se jetant aussi dans la mer. Comme dans la forme italienne des arie di paragone, une comparaison —avec un oiseau, un papillon, un temps, beau ou mauvais— permet d’exprimer un sentiment, un affect et, naturellement un bateau dans la tempête, ou la tempête elle-même qui permet des effets impressionnants comme ici : PLAGE 14
Après l’air le récit et on entend avec quelle douce diction, accent baroque reconstitué, Cécile Larroche détaille le texte : PLAGE 15
Avec de très belles pages insrumentales, le CD se clôt sur la dernière cantate, de Baptistin Stuck (1680-1755), Italien d’origine allemande, qui fait carrière en France. Il met en scène, théâtralement, les antinomiques philosophes Héraclite et Démocrite, le premier qui voit dans le monde une raison de rire, et l’autre, de pleurer. Nous ne trancherons pas là-dessus et nous les quitterons sur ce « duo gay » final à propos d’une tempête que chacun peint sans doute aux couleurs, de son humeur, chantée avec virtuosité par Cécile Larroche et Guillaume Figiel Delpech : PLAGE 28
Benito Pelegrín
RCF ÉMISSION N°580 de Benito Pelegrín, 13/02/2022