UNE COMPOSITRICE RETROUVÉE
Hélène de Mongeroult : Complete piano sonatas (intégrale des sonates)
Nicolas Horvath, piano/Label Grand piano
Le pianiste Nicolas Horvath aime découvrir des partitions et nous aimons ses découvertes. Il nous avait révélé, en première mondiale, la pianiste et claveciniste Anne-Louise Brillon de Jouy (1744-1824) auteure de près de quatre-vingt-dix œuvres, oubliée injustement de l’histoire.
Voici qu’il renouvelle cette mission de réhabilitation de femmes méritant mieux de la mémoire collective avec, pratiquement, une contemporaine de la précédente, Hélène Antoinette Marie de Nervo de Montgeroult (1764-1836), née vingt ans après la première et morte dix ans après. Deux femmes à cheval sur deux siècles, ayant connu sûrement ce que Talleyrand, leur presque exact contemporain, appelait la « douceur de vivre » de l’Ancien Régime et ayant traversé, avec des sorts divers, les convulsions de la Révolution, le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Restauration. Mais, au-delà des vicissitudes de leurs existences dans la grande Histoire qu’elles vécurent, aristocrate favorable à une Révolution modérée pour la seconde, elles sont un brillant maillon et témoignage français de l’histoire de la musique entre classicisme et romantisme.
Saluons donc ce généreux chercheur Nicolas Horvath qui arrache à l’oubli ces femmes compositrices admirables, qu’il interprète et sert avec passion et un respect stylistique remarquables. Né à Monaco en 1977, Nicolas Horvath est un brillant produit de l’Académie de musique Prince Rainier III. Remarqué par le chef d’orchestre, Lawrence Foster, si cher à nos cœurs et à l’Opéra de Marseille, il est invité trois étés durant au fameux Festival d’Aspen au Colorado, dans les Rocheuses. Il se perfectionne à l’École Normale de Musique de Paris auprès des meilleurs maîtres. S’il nous découvre ces pans de musique du passé, au carrefour des époques et styles, comme ces deux compositrices et Czerny, peu gâté par le disque, la riche discographie de Nicolas Horvath prouve un bel éclectisme avec des pages rares de Liszt ou Debussy, de Germaine Tailleferre, une intégrale d’Erik Satie, de Jan Rääts, et de pas moins que les œuvres complètes du minimaliste Philip Glass auquel il a consacré des concerts de quelque douze heures. On trouve aussi dans son catalogue des contemporains, tels le Marseillais Régis Campo, etc.
C’est donc un bonheur de le suivre dans ses curiosités musicales qui avivent les nôtres, comme ce dernier Cd de cette musicienne dont seules quelques pièces ont été jusqu’ici enregistrées.
Compositrice, pianiste et pédagogue, dans son éducation musicale, Hélène de Montgeroult reçut les leçons de l’Autrichien Dussek et du Vénitien Clementi, alors à Paris, du violoniste Viotti dont elle sera partenaire. La bienséance interdisant aux femmes de la noblesse, en France du moins, de se produire en public dans des salles de concert, comme Anne-Louise Brillon de Jouy, la marquise de Montgeroult joue avec succès dans les salons. Mais si la Révolution, oubliant ingratement les femmes, manque pour peu de la conduire à la guillotine selon une légende, malgré des accointances politiques de son mari avec le régime, le Directoire en fait la première femme à enseigner dans une classe d’hommes du Conservatoire de Paris dès sa fondation en 1795 où elle en remporte le concours de recrutement. Formée à bonne école internationale, elle y fera découvrir les œuvres de Bach, Mozart et Haydn.
De cette même année où elle entre comme professeur au Conservatoire, voici cette sonate en fa majeur, à l’italienne pour la forme en deux parties rapides, sa première manière, avec un brillant très français qui semble se souvenir de sa consœur Brillon de Jouy. Écoutons un extrait du second mouvement « Prestissimo » qu’il faut toute la prestesse et prestidigitation du pianiste pour faire sonner son piano moderne comme un pianoforte ancien plus léger : DISQUE I, PLAGE 1
Hélène de Montgeroult abandonnera ce poste au Conservatoire deux ans et demi après, pour se consacrer à l’enseignement chez elle, plus rémunérateur. Elle passait pour une excellente improvisatrice, on l’estime « meilleure pianiste de son temps » et jouait toujours dans les salons. Elle compose de nombreuses pièces pour piano. Ainsi, elle laisse trois recueils, trois opus de trois sonates chacun, publiés en 1795, 1800, 1811, une pièce pour piano en mi bémol majeur, publiée en 1804, et un Cours complet pour l’enseignement du pianoforte monumental (972 exercices et 114 études progressives) qui reste une référence musicale en son temps.
Écoutons maintenant, comme une inflexion vers le style classique viennois la Sonate en sol mineur op. 2, de 1800 : DISQUE I, PLAGE 10
Rappelons le contexte instable et dangereux de l’époque : en 1784, on la marie au marquis Montgeroult, bien plus âgé qu’elle, naturellement. Partisans d’une monarchie constitutionnelle, ils sont acquis aux idées d’une Révolution modérée, et alors que le couple, le mari en mission officielle, en 1793, accompagnait l’ambassadeur de France à Naples, ils sont arrêtés violemment par les Autrichiens en guerre contre la France et le marquis mourra emprisonné par les Autrichiens. Avec difficulté, elle réussit à rentrer à Paris, mais c’est la Terreur et, injustement, ils ont été dénoncés comme émigrés et leurs biens risquent d’être saisis. Cependant, alors que l’on proscrit en province ou exile les nobles qui ne sont pas passés à l’échafaud, un décret la lave de toute accusation :
La « Citoyenne Gaultier-Montgeroult, artiste, dont le mari a été lâchement assassiné par les Autrichiens [peut demeurer à Paris] pour employer son talent aux fêtes patriotiques ».
La ci-devant marquise, reconnue artiste et utile à la République put donc rester à Paris. Ce ne sont pas de vaines anecdotes, mais un cadre souvent périlleux où put s’exercer un tel talent que nous révèle ce beau CD. La Révolution permet tout de même à des femmes de postuler à des postes comme ce Conservatoire qui la consacre professeur en 1795.
Cette année même, trait de caractère libre, elle a un fils hors mariage, que le père ne reconnaîtra que deux ans après. Encore mieux, la marquise, en 1820, beau retournement des habitudes matrimoniales de l’époque, belle audace, à 56 ans, épouse un jeune comte de 19 ans son cadet, qui mourra accidentellement bien avant elle.
Nous saluons ce pianiste défricheur qui nous révèle cette magnifique artiste que nous quittons avec la Troisième sonate op. 5 en fa dièse mineur où semble passer à l’horizon un vague souvenir de La Marseillaise : DISQUE II, PLAGE 11
Benito Pelegrín
Pour en savoir plus: RCF Émission N° 581 de Benito Pelegrín