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GÉNÉROSITÉ DES VOIX

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NOS VOIX POUR L’UKRAINE au Temple Grignan, Dimanche 24 avril 2002

            D’un concert prévu, annulé par la pandémie, ces jeunes chanteurs ont fait un prévisible concert de solidarité au bénéfice de l’Ukraine, tant leur générosité juvénile répond à celle de Marthe Sebag, fondatrice, Présidente, âme infatigable de Lyricopéra. Dans cet espace apprécié du joli Temple de la rue Grignan, où son propre piano est gracieusement à demeure, toujours prêt pour la grâce d’un envol musical d’un concert, depuis les déjà anciens débuts de Lyricopéra, elle a permis à un grand nombre de jeunes artistes internationaux, issus du regretté CNIPAL (Centre National d’Insertion Professionnelle d’Artistes Lyriques), de faire leurs premières armes publiques, dont certains, découverts ici il y a longtemps, font  aujourd’hui une remarquable carrière sur les scènes du monde.

         Cette fois-ci, elle a réuni sept jeunes talents du Conservatoire de Marseille, dont on se réjouit de voir que, fidèle à son identité de ville ouverte sur les quatre horizons, ils viennent des quatre continents, du monde entier. Le facteur commun entre eux (factrice, fée fédératrice de beau chant) est une professeure d’ici, très appréciée à Marseille mais rayonnant très loin, à preuve puisque ces jeunes disciples du concert, pour travailler avec elle, bénéficier de ses leçons et conseils, viennent du Caméroun, du Vénézuela, de Chine, du Guatemala, de Syrie, et enfin, de cette Ukraine martyre pour laquelle saigne notre cœur. Remarquable concert dont le bénéfice a été reversée, sur scène, à l’association franco-ukrainienne Victor Orly. 

         À la qualité des élèves, on reconnait l’excellence des maîtres. En l’occurrence, Magali Damonte. Très jeune mezzo colorature, vite célèbre, elle a chanté les grands rôles rossiniens et mozartiens d’Aix à l’Amérique sur de grandes scènes mondiales, pour se retirer dans sa ville natale, trop tôt pour les amoureux de sa voix et son talent, mais un atout pour ce Conservatoire et ses aspirants chanteurs. Une remarquable pianiste Anne Guidi, accompagnatrice du cours et professant aussi, soliste chambriste internationale, a montré de manière sensible, sa complicité artistique affectueuse avec ces jeunes accompagnés au succès, enfin devant un public, sous l’œil vigilant et l’oreille attentive de la professeure présente. À juste titre, au-delà de la bonne action de la cause, toutes deux pouvaient être fière de leurs poulains, qui ont charmé les spectateurs —et le critique ému, mais dont la tête n’est pas la dupe du cœur.

         On salue d’abord le choix excellent du répertoire, partant du chant baroque, qui est la vraie gymnastique vocale et stylistique nécessaire, la santé de la voix exercée, l’absolue maîtrise technique qui seule permet la virtuosité et le raffinement : le vrai bel canto, au sens historique et premier du mot. Mozart, même tendant vers le classicisme, en est encore l’héritier acrobatique vocal. La seconde partie était dévolue à l’opéra du XIXe siècle, avec le beau cadeau original, précieuse découverte, d’un air local offert par ces jeunes venus de diverses cultures du monde.

Hommage à l’Ukraine, c’est le baryton ukrainien Dmytro Voronov, physique clair de jeune premier slave, qui ouvre le concert avec un passage de l’acte III d’Orlando (1733), inspiré de l’Arioste, d’un Haendel au sommet, chanté par Zoroastre, « Sorge infausta una procella ». C’est une « aria di paragone », air rhétorique qu’on dirait « classique » dans l’économie de l’opéra baroque, construit sur une comparaison traduisant un état d’âme, ici la tempête funeste de la passion et ses infortunes, mais qui annonce l’étoile paisible du bonheur. C’est pour une basse mais, avec la liberté baroque de tessiture, le jeune baryton au timbre rayonnant le sert avec une vaillance sans faille, déroulant impeccablement les implacables vocalises volubiles, tempétueuses, belle tenue de ligne, variations bien venues dans les ornements du da capo.

Dans le fameux duettino avec Zerlina du Don Giovanni de Mozart, « Là ci darem la mano… », on comprend qu’il soit pressé de déguster le ravissant fruit exotique, à voix joliment fruitée, de la brune de blanc vêtue, Katherine Serrano ; mais vocalement autoritaire, il est séduisant sans être séducteur, sûr d’un charme physique qui le dispense des séductions cauteleuses, insinuantes, des couleurs vocales pour embarquer une fiévreuse et fragile Zerline finalement plus à emporter qu’importer à séduire.

Sous l’émouvante image des bourgeons verts des clochetons poussés autour du dôme doré du clocher de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev (autant que je me souvienne), le jeune baryton fermera le concert avec deux chansons de son pays, dont la valse lente Kyieve miy ‘ Kyiv, ma ville,’ du grand compositeur Ihor Shamo (1925 -1982). À l’heure où son pays est martyrisé, où cette ville jardin de Kiev est bombardée, menacée de destruction, on sent toute l’émotion du jeune chanteur : il arrive à la maîtriser, à nous la communiquer, à nous la communier et je suis sûr de n’avoir pas été le seul spectateur à en avoir eu les larmes aux yeux.

    Entre ce début et cette clôture du concert hommage, délicatement confié à ce jeune Ukrainien, une palette de talents solidaires nous était judicieusement présentée.

La soprano vénézuélienne Katherine Serrano, voix large, aisée, avec aisance passe du jeu ou double jeu faussement innocent de la gracieuse et astucieuse Zerline avec Don Juan pour être une crédible Illia, prisonnière troyenne en Crète, victime de guerre, arrachée à sa famille, et leur disant un  déchirant adieu déchiré de vocalises : « Padre, germani, addio » de l’Idomeneo, re di Creta (1781) de Mozart. Aussi facilement, elle sera une brillante Juliette de Gounod dans sa jubilante valse. Accompagnée à la guitare par Grégoire Gérin, elle nous régalera d’un air du folklore vénézuélien, El curruchá de Juan Bautista Plaza Alfonso (1898 – 1965), au texte malicieux de Vicente Emilio Sojo, au dernier vers métaphoriquement érotique, les effets physiques sur l’amoureux de la danse lascive de sa belle : un fameux joropo, héritage du fandango espagnol, qui exige flexibilité, agilité, volubilité, avec des accélérations diaboliques de zapateado dont se souviendra Rossini, marié à une espagnole et collaborant avec son interprète Manuel García, non seulement dans son Barbier  mais aussi ses chansonnettes espagnoles.

Auparavant, elle aura été la triomphale, pour l’heure, mais proche victime de Néron dans « Pur ti miro », le duo final de Ferrari rajouté à la version de Naples de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi, tout d’étreintes de vocalises voluptueuses enlacées mais teintées de mélancolie, sans doute du pressentiment du dramatique futur de ce couple. Timbre tout de léger velours sensuel, son amoureux empereur est la Guatémaltèque Nicole Franco, qui dans le feu de sa robe rouge devient une figure tragique célébrée par le Baroque, la reine de Carthage Didon, abandonnée par Énée. Dans le désespoir de sa dignité blessée et de son amour bafoué, elle prépare son suicide, disant adieu à la vie et à sa sœur Belinda, dans le bouleversant lamento en gammes descendantes mineures que lui prête Purcell, avec le cri déchirant sur l’aigu « Remember me ! » Sans peine, elle sera la désinvolte Carmen de Bizet, dans la séguedille, pimentée d’un délicieux accent hispanique. Avec pour partenaire à la guitare encore Grégoire Gérin qui semble tisser et distiller la dentelle de ses notes, elle propose une touchante interprétation de la célèbre chanson, rythme de zamba (la danse argentine non brésilienne) de la chanson Alfonsina y el mar d’Ariel Ramirez et Félix Luna sur le suicide, en 1938, dans la mer, de la poétesse argentine Alfonsina Storni.

Chevelure noire sur velours noir, la soprano chinoise Wenhua Yuan, voix puissante et tragique remue le public par son incarnation de la Wally (1892) de Catalani dans l’air très connu, le seul qui ait survécu de l’opéra, « Ebben?Ne andrò lontana », quand l’héroïne brave les neiges des Alpes pour fuir courageusement la tyrannique maison familiale, inspiré d’une chanson groenlandaise sur un texte, semble-t-il, de Jules Verne. Une autre soprano asiatique, Shan Guo, illustre encore l’opéra italien vériste du XIXe siècle, coiffure et tenue japonaises, elle incarne une autre forte héroïne, une très crédible et sensible Madama Butterfly de Puccini, interprétant avec tendresse et vaillance son grand air, « Un bel di vedremo », son rêve du retour de l’abandonneur époux frivole, vision pleine d’espoir qui sera cruellement avérée, il revient, mais pas pour elle, la conduisant au suicide. Puis, parée d’un fin foulard, avec une autre émission de voix et une autre douce émotion, aigus haut perché, elle nous régale d’un air du folklore chinois, « Fleur de poirier », avec des gestes pleins de grâce fleurie.

Face au quatuor des dames, deux autres remarquables chanteurs complétaient le trio masculin. Le baryton camerounais Maurel Endong, baryton-basse, élégante présence, campe un Figaro plein d’allant et d’allure, dans la martiale ironie de l’air « Non piu andrai, farfallone amoroso… » terminant en parodique marche militaire, extrait des Nozze di Figaro de Mozart. La voix est puissante, sombre, riche et moelleuse. Il se glisse avec aisance dans la sarcastique sérénade, « Vous qui faites l’endormie » de Méphisto du Faust de Gounod, avec ses cascades de rires infernaux. Enfin, il interprète avec ferveur un célèbre negro spiritual de 1927, qui chante la toute-puissance de Dieu qui « tient le monde entier dans ses mains », He’s got the whole world in His hands, dont la fin de chaque strophe répétée, « hands » est l’empreinte chorale homophonique du chant africain.

Un ténor ne pouvait manquer, Hassan Memmou : il vient de Syrie, déjà autre pays martyr des Russes. Présence puissante, il déploie l’airain éclatant d’un timbre qui sait se faire plainte pour exprimer l’absence de lumière, doux gémissement dans « Total eclipse », l’air de supplique de Samson aveugle de l’oratorio Samson de Hændel. Il nous fera la surprise, en arabe, d’un chant d’amour populaire en Syrie, insolite pour nous, sur la musique du pseudo Adagio d’Albinoni, envoûtant avec ses mélismes guère éloignés des vocalises baroques qui, au fond, sont un patrimoine commun à toute la vocalité méditerranéenne des trois religions du Livre, quelles que soient les stupides frontières que leur impose arbitrairement la bêtise et l’ignorance humaines. Il mena ensuite la voix soliste de l’Hallelujah de Léonard Cohen, un chant d’espoir en l’humanité, par-delà les différences que ces jeunes artistes, venus de continents différents, de cultures diverse,  mais unis dans la fraternité universelle de la musique, assurèrent le chœur, de tout cœur, et nous avec eux.

Un bon et beau concert pour une bonne et belle cause. B.P.

On peut retrouver le plaisir du concert filmé par Gérard Monchablon sur son compte Youtube : monchamcb

C’est Marthe Sebag qui assure les projections qui illustrent en textes et images les morceaux chantés.

Le visuel ci-dessus, affiche du concert, illustrant aussi cet article, est la photo autorisée que le photographe JR a déployée sur la place de Lviv, sur une toile géante. La petite fille s’appelle Valeria, elle a cinq ans, sa photo a fait, justement, le tour du monde, celui qui ne se bouche pas les yeux devant le drame ukrainien

Réservations Lyricopéra pour les futurs concerts : 06 32 94 65 40

Rmt News Int • 3 mai 2022


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