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Un premier coup de cœur : Petto o Coscia de Tom Corradini et/avec Golden DinDin

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Derniers jours avant la fin du festival Avignon Off 2022

La dernière semaine de festival débute pour les artistes venus présenter leur création au public. En dépit de la fournaise avignonnaise, ils n’ont de cesse de tracter le badaud afin d’inciter les curieux à venir voir leur spectacle. Et ce depuis le 7 juillet sans faiblir. Pourtant, la covid19 est passée par là, s’invitant parmi les artistes : certains spectacles ont ainsi été remplacés par d’autres du même lieu suite à une contamination soudaine de la troupe.

Ce fut le cas de Petto o Coscia de la compagnie italienne Tom Corradini Teatro avec Golden DinDin. Présenté en fin de soirée, à 23h55 à la tâche d’encre, lieu de théâtre et de musique ouvert à l’année dans une petite rue perpendiculaire à la rue des teinturiers, jusqu’au 30 juillet (sauf le 26 juillet, relâche), la covid lui a permis de décaler pour quelques jours -du  22 au 24 juillet – l’horaire de représentation à midi ; ce qui pour le spectateur ou le professionnel en quête de nouveautés était une bonne nouvelle, voire une excellente chose !

Cette proposition théâtrale mêlant chansons jazzy et swing dans un esprit de cabaret burlesque fut une très belle découverte et bien qu’elle soit jouée en italien dans le texte, cette création vaut le coup d’œil, ayant le mérite d’être à la fois émouvante et drôle. Et tant pis, si certains mots échappent à la compréhension d’un non italianisant, le jeu de la comédienne-chanteuse est si expressif et visuel qu’on se laisse emporter aisément dans l’univers de Simona, dite Titi.

La cuisine, un art de vivre, arme de séduction à l’italienne

La jeune femme anime un blog à succès sur la cuisine vegan. Plus de deux millions de vues sur Youtube et des milliers de fans dont la zia Lina, une tatillonne de première classe qui traque dans les recettes proposées la moindre préparation qui n’est pas réalisée dans les règles de l’art. Il faut dire qu’en Italie, on vit pour manger plus qu’on ne mange pour vivre. Manger, c’est comme respirer, c’est primordial et qui plus est, c’est tout un art. Comme on dit en Sicile, « mangia assai, bivi picca » (mange beaucoup, bois peu) ! Et à nous remplir la panse avec leur cuisine et mets préparés avec amour, les mamma italiennes excellent.

Quoi de plus normal donc que pour parler de la condition de la femme en Italie, car c’est bien de cela dont il s’agit au fond, de parler de cuisine et gastronomie italienne associée bien évidemment à l’érotisme. L’un ne va pas sans l’autre…

© Beatrice Mancini

Pour plaire à son Eugenio, la grande mangeuse qu’elle était s’est convertie au veganisme : adieu le chocolat fondant comme un baiser langoureux, adieu les délicieuses viandes rôties avec amour.

Elle est devenue obsédée par la nourriture saine souhaitant – à défaut d’y parvenir – maigrir pour mieux séduire son amour d’avocat. Elle a réglé sa vie sur celle de l’homme qu’elle aime et lui concocte tous les jours des menus sains qu’elle filme pour son blog. Hélas, ce dernier ne vient que très rarement lui rendre visite : il faut dire qu’il est occupé entre ses séances de gym ou de trekking, ses dîners chez la mamma, son travail et ses autres activités, c’est tout juste s’il a un peu de temps à lui consacrer le dimanche.

De la libération de la femme italienne du carcan des traditions

Simona commence à en avoir marre de l’absence de son amant, ses excuses pour ne pas venir partager son repas avec elle, puis sur un coup de tête, après s’être désinhibée avec une bonne bouteille de vino rosso, un aphrodisiaque comme le piment (peperoncino) ou le chocolat : « le vin rouge améliore le désir et la satisfaction, en particulier chez les femmes » nous dit-elle, elle se décide à le quitter par téléphone.

Et là tout bascule : la gentille petite femme au foyer sage et obéissante qui taisait ses désirs les plus profonds dévoile sa véritable nature en goûtant à la jouissance enivrante, toute émoustillée qu’elle est par la lecture d’un glossaire de cuisine érotique découvert au hasard dont elle s’inspire pour ses créations culinaires, glossaire qui va lui faire vivre des expériences bouleversant sa vie et ses croyances imposées, et lui ouvrir les portes du plaisir… Car elle succombe peu à peu aux mets qu’elle s’interdisait, s’empiffrant jusqu’à l’extase.

A l’image de sa tante Maria, burlesque girl de métier -au grand damne de sa mère qui dans son enfance lui faisait la morale afin qu’elle ne devienne pas comme elle grassa-, elle fait son show dans sa cuisine. Elle ira même jusqu’à penser séduire son croulant de voisin aux mains baladeuses, le sournois Mario, qui vient tout le temps lui demander un service.

Adieu le poids du regard de l’autre, fini le carcan des traditions où il faut être comme ci ou comme ça. Adieu le destin tout tracé de femme au foyer se dédiant à son homme, voire à leurs futurs enfants. Vive la liberté. Vive l’amour de soi et l’acceptation de son corps, de ses formes. Vive l’assouvissement de ses désirs les plus fous.

Une interprète aux multiples talents

Dans une mise en scène au cordeau, signée Tom Corradini, où chaque scène suit la précédente dans un enchainement millimétré comme du papier à musique sans temps mort et allant crescendo, la comédienne brille avec une gestuelle fort juste. En l’occurrence au début du spectacle quand elle déballe les ingrédients virtuels de son repas du soir : des sushis végétariens, en mimant chaque ingrédient qu’elle pose sur un plan de travail imaginaire, voire encore quand elle nous fait imaginer un avocat délicatement déposé dans le creux de sa paume vide – un fruit connu depuis les aztèques pour augmenter la vigueur sexuelle, nous confie-t-elle- ou effeuille un artichaut invisible.

Un parti pris de mise en scène qui ne peut que ravir les amateurs de mime et de clown, d’autant plus que chaque numéro est exécuté avec finesse et précision tout en étant très comique. Un travail de direction d’acteur rondement bien mené que nous saluons.

Ce n’est pas le seul talent de la comédienne-chanteuse, Golden DinDin : non seulement, elle a une voix magnifique aux graves profonds et veloutés, d’une puissance et tessiture large, modulant le timbre de sa voix avec aisance et naturel, elle est d’une justesse incroyable dans ses mimiques quand elle imite le Mario ou sa mère lui interdisant de manger du Gorgonzola. On y trouve cette exubérance italienne naturelle et authentique, vraie – à ne pas confondre avec le sur-jeu ou l’exagération car ici l’expressivité de la comédienne est pertinente au regard du personnage interprété -, ce qui fait souvent défaut aux comédiens français trop sobres dans leur jeu.

Du rire, de l’émotion et de la sensualité

On apprécie l’émotion qu’elle nous offre en partage. On rit avec elle de ses imitations réussies et savoureuses.

Qui plus, elle nous délecte avec la sensualité qu’elle confère à son jeu sans pour autant tomber dans la vulgarité – ce qui de par le choix de l’angle d’attaque du spectacle où il est question de vocabulaire érotique dans la cuisine pouvait être un écueil-, notamment  lorsqu’elle parle de l’origine de l’appellation de l’avocat –cela on vous laisse le découvrir- ou encore nous raconte l’histoire de la nymphe transformée par Zeus -alors fou de rage qu’elle ne lui cède pas -en artichaut (carciofo), voire quand elle joue la femme ivre faisant l’apologie des bacchanales, ces orgies festives faites en l’honneur de Bacchus.

Golden Dindin a étudié la sexologie et quand elle parle d’érotisme et de plaisir féminin, le joue (la scène où Simona se fait plaisir avec son sextoy est très bien amenée), voire le chante, c’est avec une rare délicatesse tout comme son numéro de burlesque, simple au demeurant, mais très efficace : avec ses ailes en plumes, elle propose une petite saynète qui vient parachever le spectacle joliment avant le final. On peut saluer ici le jeu théâtral qu’elle propose dans cette incarnation d’une femme se rêvant meneuse de revue burlesque.

On y trouve la fragilité du personnage amateur du genre qui s’y essaie pour la première fois quand elle se pare de ses plumes et le professionnalisme de la comédienne dans l’exécution, un subtil mélange très justement amené. 

Et pour finir

In fine, sur fond de décor sommaire (une petite table sur laquelle repose une bouteille de vin et un verre- côté jardin ; un paravent, un micro et un chevalet pour partition- côté cour, une chaise recouverte d’un tissus blanc immaculé; au centre), accompagnée de quelques musiques préenregistrées et d’un jeu de lumière efficace, la comédienne-chanteuse seule en scène nous transporte littéralement dans l’appartement et le quotidien type d’une femme italienne affairée à sa cuisine, nous plongeant dans l’Italie d’hier et d’aujourd’hui, le tout avec une bonne dose d’humour.

La condition des femmes reste hélas encore trop souvent réduite à celle de mamma et ce, dès sa rencontre avec un homme qu’elle vive ou non avec lui, un rôle qui prend complètement le pas sur sa vie de femme, sa féminité et ses désirs, d’autant plus refoulés dès lors qu’elle se marie et a des enfants.

 

Un grand bravo à toute l’équipe pour cette proposition qui ne laissera personne indifférent, et qui n’est pas si légère qu’elle n’y parait – le vocabulaire culinaire érotique servant de prétexte pour parler du désir féminin et de la nécessaire émancipation de la femme italienne-, et ce même si on rit beaucoup. Golden Dindin y est émouvante et très convaincante. On ne s’ennuie pas une seconde. On en redemanderait… Diane Vandermolina 

En une, l’affiche du spectacle © BEATRICE MANCINI

Rmt News Int • 25 juillet 2022


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