Tannhäuser au Festival de Bayreuth: manifeste politique et performance vocale
Le metteur en scène Tobias Kratzer, quadragénaire bavarois, auréolé d’une belle réputation de créateur exigeant mais sans filtre, nous propose un Tannhäuser décapant! Il va confronter deux mondes: celui de la vie, de la chair, de la liberté, de la différence, des différences, de l’amour grivois, contre celui du cadre, de l’ordre, de l’amour courtois.
Amour grivois de la team Vénusberg où Tannhäuser, ancien Minnesänger (cf Troubadour), roule des jours de moins en moins heureux dans les bras de la déesse Vénus, dans cette Grotte d’amour qui n’a plus de sens pour lui. Une Vénus déjantée, Tannhäuser déguisé en clown, le Nain Oskar, et Chocolat Noir en Drag Queen forment un quatuor attachant aux revendications affirmées. Merveilleux costumes de Rainer Sellmaier. Amour courtois de la team Wartburg: Elisabeth, l’ex de Tannhäuser et les Minnesänger, poètes et musiciens, comme nos Troubadours et Trouvères de jadis.
Ah l’ouverture de Tannhäuser! Cet Andante maestoso en mi majeur, sublime, thème legato aux trombones, repris par les cordes si veloutées: quelle acoustique merveilleuse! Quel orchestre! Après les élans du Vaisseau Fantôme (1843), 1er grand opéra d’une série de 13, hormis Les Fées, Défense d’aimer, Rienzi, d’une écriture encore conventionnelle. (On ne compte pas Les Noces, inachevé), Tannhäuser (1845) est un grand opéra romantique, aux audaces harmoniques déjà perceptibles. Le chef d’orchestre, Axel Kober imprime cette souplesse indispensable mais il sait aussi libérer cet orchestre fabuleux de ses palettes si puissantes.
Sur l’Ouverture, le ton est donné : la première équipe, saltimbanques, vagabonds désœuvrés, parcourt les routes. Des vidéos sont projetées sur le rideau de scène, paysages spacieux de la Wartburg, d’Eisenach et toute la région de Thuringe, chère à Jean-Sébastien Bach, qu’on découvre, émerveillés. Et, soudainement apparaît, un fourgon Citroën conduit avec nos quatre marginaux, qui vont faire de cette production, le moment fort de la programmation! Babas cool très «seventies» qui n’ont rien à bouffer et s’arrêtent au Burger King de Bamberg. Osé! Le Nain Oskar, qui, évidemment, n’existe pas chez Wagner, est le très percutant Manni Laudenbach, clin d’œil au film de Völker Schlöndorff: Le Tambour (Die Blechtrommel), d’après le roman de Günter Grass.
Le Gâteau Chocolat, qui n’existe pas non plus, chez Wagner, de son vrai nom George Ikediashi, est né dans l’ouest de Londres et a grandi au Nigeria. Chanteur de cabaret, il a longtemps caché son homosexualité à sa famille religieuse, et a trouvé sa force sur scène: cabarets, théâtres, opéras et depuis, s’engage contre toutes les discriminations, sur les questions sociales, la justice sociale, les droits des femmes, le féminisme, les droits des trans et la communauté LGBTQ, combat l’homophobie, la misogynie, le racisme et l’agression masculine sur les réseaux sociaux…«Parce que tous ces gens sont qui je suis »…«J’ai toujours été noir, même au Sénégal» (Le Gâteau Chocolat).
Imaginons le public traditionnel de Bayreuth devant ces quatre personnages, dont deux seulement sont dans le livret original! Mais quelle merveilleuse trouvaille de Tobias Kratzer qui donnera tout son sens au drame! Rappelons ces mots lumineux de Marina Abramović (artiste serbe performeuse, Académie des Beaux-Arts de Belgrade…): « L’art vital = pas de domicile fixe, constamment en mouvement, contact direct, rapports sociaux, auto-sélection, passer les frontières, risquer quelque chose, énergie mobile…» (in Relation Work and Detour, 1980). Et Wagner lui-même: «La Révolution est le plus bel art!» (Wagner, La Révolution, 1849) ou «Qui ne rit pas avec nous sera transpercé par nos coups!» (Wagner, La Défense d’aimer, 1836).
La dualité si chère à Wagner prend ici une dimension plastique, cinématographique très moderne et très pertinente. Tannhäuser, après s’être perdu dans les bras de Vénus, va tenter de retrouver ses amis poètes: du Venusberg à la Wartburg, quel périple! Et tout le cheminement de Wagner lui-même, sans cesse torturé entre modernité, esprit révolutionnaire et confort bourgeois. Le drame de Wagner sera toujours de faire cohabiter la conception révolutionnaire de sa vie et sa volonté artistique grandiose d’un art total, mêlant composition, écriture des livrets, mise en scène, costumes.
«Königing, lass mich ziehen!» (Reine, laisse-moi partir!) implore le ténor Stephen Gould (Tannhäuser): voix puissante, Heldentenor engagé. Vénus, au volant de la fourgonnette, est la reine de cette escapade loufoque. Le Chocolat Noir est une Drag Queen aux costumes étincelants: magique. Vénus est l’extraordinaire Ekaterina Gubanova, très aguicheuse, vocalement et scéniquement magnifique. Voix percutante, intense.
Mais comment Tannhäuser va-t-il quitter cette bande de potes si sympathique pour retrouver les chevaliers, ses amis Ménestrels (Minnesänger) moins joyeux: Wolfram Von Eschenbach et le Landgrave Hermann qu’il avait abandonnés sans raison justifiée? La luxure contre la noblesse de la poésie? La nièce du Landgrave, Elisabeth se languit, elle-aussi, au château et rêve du retour de son amoureux, qu’elle admire.
Tannhäuser, pris de remords, veut partir et rejoindre ses amis poètes à la Wartburg «Königing, lass mich ziehn» (Reine, laisse-moi partir! La voix de Stephen Gould est sonore, mais semble toujours à la limite de la cassure, c’est un rôle si éprouvant vocalement. Scène pétillante, conflit de couple moderne, mari qui veut fuir vers un ailleurs…qu’il connaît, lassé des baisers lascifs de la possessive Vénus! Lassé par cette vie oisive, il veut retrouver l’inspiration par l’écriture. Vénus, finalement, le jette de la voiture et un berger s’arrête à vélo, jolie voix de Tuuli Takala, soprano finlandaise qui chante a cappella un hymne à la nature, au mois de mai qui arrive et qu’il célèbre avec un chalumeau, instrument de la famille des Bois, de tuyau conique, qui donnera la chalemie à anche double: Spiel ich lustig die Schalmei der Mai ist da/Je joue joyeusement du chalumeau, le mois de mai est arrivé.
Tout l’attachement pour Wagner d’une Allemagne médiévale, est là aussi, beauté simple que l’on retrouvera évidemment dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. L’arrivée des pèlerins est un moment magique de la mise en scène; l’extérieur de Bayreuth est en vidéo sur le fond de scène, les pèlerins (les propres choristes de l’opéra!) arrivant de Rome, s’approchent de la colline, du théâtre et entrent par les coulisses dans un effet bouleversant de collage virtualité/réalité et toutes les statuettes de Wagner s’animent, comme on en voit partout dans Bayreuth, dont une se met à diriger ce Choral qui pourrait être signé Jean-Sébastien Bach! Alternance de blanches et de noires, comme une marche très soutenue: «Zu dir wall’ ich, mein Jesu-Christ, der Du des Pilgers Hoffnung bist»/C’est vers toi que je pleure, mon Jésus-Christ, toi qui es l’espérance du pèlerin. Vocalement et scéniquement, c’est extrêmement impressionnant! En entendant ce chant, Tannhäuser est pris du souvenir insupportable de ses faits passés et un grand désir de rédemption semble renaître en lui.
Le joli timbre de Markus Eiche, Wolfram Von Eschenbach, ne fait pas oublier les grands barytons wagnériens qui ont fait la gloire de Bayreuth. Chanteur élégant plus que percutant. Si l’équipe Vénus est colorée, l’équipe des Minnesänger est plus sombre: le noir domine. Le Landgrave Hermann est la très belle basse Albert Dohmen, voix sombre, ronde, imposante.
Le retour de Tannhäuser à la Warturg est accueilli par le chant exalté d’Elisabeth: « Dich teure Halle grüss ich wieder/Je te salue à nouveau, chère salle; terrible piège vocal car c’est la première intervention de la soprano. L’exceptionnelle Lise Davidsen est sublime! Quelle voix mordante! On la découvre dans sa loge, se faisant maquiller, dans les coulisses et enfin sur scène grâce à une caméra qui la suit et projette les images sur le plateau: effet grandiose, tellement humain! Ce qui exige une immense concentration, car le public voit, en direct, les chanteurs avant de rentrer en scène, Stephen Gould se signant avant d’entrer! Elisabeth est si heureuse de retrouver son cher Tannhäuser qu’il n’y a pas de préliminaires pour Wagner: un grand air de soprano dramatique d’entrée! Elle salue la salle des Minnesänger, ces poètes lyriques germaniques du Moyen-Âge. La voix de Davidsen est somptueuse pendant tout l’air, les aigus éclatants d’une Birgit Nilsson mêlés au mordant velouté d’une Léonie Rysanek!
Dans la salle du concours de chant, alors que ses confrères font l’éloge de l’amour noble, l’amour courtois, Tannhäuser réplique par une ode à l’amour charnel devant le public horrifié par tant d’audaces. La voix de Stephen Gould est très vaillante, pour ce rôle éprouvant, sans cesse sur des «sol», «la» aigus. Des remords sans cesse tiraillés. Pendant ce temps, les trois compères: Vénus, Le Gâteau Chocolat et le nain Oskar sont venus encourager leur collègue d’infortune et le dissuader de rester à la Wartburg. On les voit escalader le balcon du Festspielhaus dans une nouvelle trouvaille géniale de collage cinématographique. Une caméra filme en direct. Vénus arrive par les coulisses surexcitée, bien décidée à foutre le bordel! Déguisée en fille des chœurs, elle se fond dans l’ensemble mais ne cesse de gesticuler pour faire capoter ce concours de chant!
Wolfram, au milieu de la grande table centrale, avec sa harpe médiévale, offre un chant plein de tendresse. Ce combat sera celui de Wagner toute sa vie, cette dualité entre amour courtois, amour enflammé (ses nombreuses conquêtes, les Lettres à Mathilde Wesendonck, les merveilleux Wesendonck Lieder, son escapade avec Cosima, avec l’accord du mari de celle-ci, Hans Von Bülow, admirateur de Wagner…), son besoin de liberté (sa fuite en Suisse, ses prises de position très révolutionnaires, années 1840-1850…), sa modernité (Wagner était contre la vivisection, adepte un temps du végétarisme (lire le magnifique bouquin de Pascal Bouteldja: Un patient nommé Wagner, ed. Symétrie. On apprend que Wagner faisait des cures, ne buvant que de l’eau pendant des mois, s’astreignant aussi à des jeûnes alimentaires stricts. Et cette phrase qu’il répète, en longueur de journée à ses enfants, ses amis: «Faites du nouveau, toujours du nouveau!».
La police arrive de l’extérieur par les effets géniaux de vidéo, énoncés précédemment, met les menottes à Tannhäuser, Vénus, Oskar, Chocolat Noir, comme à de vulgaires délinquants. C’est le monde des clowns, des saltimbanques, de la liberté qui est bâillonnée arbitrairement, autoritairement, par le monde de la force.
Sur la harpe de Wolfram, Vénus étale le drapeau LGBT! L’effet est saisissant. Ce drapeau arc-en-ciel, symbole de diversité et de tolérance, flotte en plein Bayreuth, pendant un concours de chant de troubadours, dans un opéra de Wagner! Qui l’aurait imaginé? Le partage de valeurs que prônent Tannhäuser et ses compagnons d’infortune, dans la lecture de Tobias Kratzer, rappelle les actions des Femen, quand un drapeau ukrainien est, à son tour, brandi, étalé sur le balcon de la salle du concours de chant!! Ce mouvement féministe, né justement en Ukraine, en 2008, ne détone pas avec cette défense des droits, les actions provocatrices de Vénus, dans cette production iconoclaste! Mais pas de seins nus ici…
Le Festspielhaus devient électrique, on sent une certaine tension, mais on ne sait pas, à ce moment-là, ce que sera la réaction du public. Le scandale du Sacre du Printemps avait déjà eu lieu en 1976, quand Pierre Boulez et Patrice Chéreau, s’emparèrent du Ring pour le centenaire! Cris, huées, insultes, puis triomphe absolu. Quelle chance d’avoir pu être présent! (cf le scandale à la Création du Sacre de Stravinsky, dans la chorégraphie de Nijinsky (Ballets russes de Diaghilev) au Théâtre des Champs Elysées, le 29 05 1913!! Cette œuvre-rupture marquera les débuts du ballet moderne.
Dans ce manifeste politique, humaniste, de revendications et d’orientations sexuelles assumées, le chant de Tannhäuser, prend une dimension incroyable. Emporté par son ivresse, il chante sa passion brûlante vécue avec Vénus. Le public des participants au concours, horrifié par ses audaces de langage, est sur le point de le tuer! L’assemblée des chevaliers se heurte à Elisabeth qui défend Tannhaüser et s’interpose. Banni, il devra se rendre au Vatican pour y obtenir le pardon du Pape. Musicalement, c’est exceptionnel.
Au IIIème acte, on se retrouve dans un parking d’une zone commerçante, c’est sombre et glauque. Le nain est désespéré, il attend, comme Elisabeth, le retour de Tannhäuser. Les pèlerins, de nouveau, sont là, à genoux, magnifique déploration polyphonique. Wolfram, amoureux platonique d’Elisabeth, chante sa Romance à l’étoile, merveilleuse ligne de chant, mais une voix un peu trop claire pour cet air majeur du répertoire wagnérien: «O Du, mein holder Abendstern»,«O toi, mon étoile du soir». Il implore l’Etoile du soir pour faire d’Elisabeth un ange du ciel. Chant chromatique d’une immense beauté: après le saut de quinte sol-ré, une descente ré, do#, do bécarre, si, si bémol, la, sol; courbe mélodique ascendante puis descendante sur un rythme ternaire 6/8 très chaloupé et des modulations prenantes. La musique doit sonner comme de la musique de chambre/ Die Musik muss wie Kammermusik klingen (Richard Wagner in Ma Vie). Wagner, admirateur de Bellini et Chopin, ce qu’on ignore souvent.
Tannhäuser, dans la pénombre désertique du fond de scène, est de retour, comme un mendiant, pèlerin solitaire et dépenaillé. Tessiture toujours très tendue et performance de Gould qui donne tout ce qu’il lui reste. Chanteur au tempérament, généreux. Le Romerzählung (Le Récit de Rome) est encore un chant de révolte contre le Pape qui ne l’a pas absous, alors qu’il demandait le pardon de ses péchés. Gould est prodigieux, et même s’il a chanté plus de 100 fois le rôle, il doit s’adapter à ce nouveau personnage de clown triste, désabusé, amoureux, une fureur de vivre sans cesse torturée par des questionnements contradictoires, sans fin.
Tannhäuser est un personnage instable, comme l’était Wagner, bipolaire? Il vit, comme le compositeur, l’instant présent et peut changer brutalement de comportement. Il est intéressant de constater que l’écriture des Leitmotive qui va permettre à Wagner (Dans Le Ring) de reconnaître des personnages, des sentiments, des lieux…n’existe pas encore dans Tannhäuser, dont la vie est pour lui-même incompréhensible, ne parvenant jamais à réconcilier les contraires, toujours insatisfait; Elisabeth ou Vénus, la Wartburg ou le Vénusberg? Il est aux abois, pris dans ses ses luttes internes. Déçu, il veut retourner à Vénusberg, Mais Wolfram lui conjure de rester pour l’amour d’Elisabeth; mais il est trop tard, Elisabeth, en sang, tombe dans les bras de Tannhäuser, comme la Pietà de Michel-Ange. Une immense statue de vierge semble condamner Tannhäuser définitivement. Effet magique.
Vénus, elle, restera fidèle à ses idées anarchistes: elle déploie les banderoles, la craquante Ekaterina Gubanova, est merveilleuse dans sa passion, son engagement. Tandis que Le Gâteau Chocolat se laisse pervertir, devenant l’ambassadeur de montres de luxe!
Le titre complet de l’opéra: Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg (Tannhäuser et le tournoi des chanteurs à la Wartburg) pourrait être le résumé de cette magistrale production; une opposition, un tournoi entre amour sacré et amour profane, et la rédemption par l’amour, thème qui traverse l’ensemble de l’œuvre de Wagner.
Saluons la proposition géniale de Tobias Kratzer de faire du premier entracte (une heure!) un lieu de divertissement, de représentation libre, semi-improvisée pour le public et les habitants de Bayreuth: il nous donne rendez-vous devant l’étang, au pied de la mythique colline avec les protagonistes! Des scènes loufoques dans des barques sont organisées, Vénus est toujours aussi hystérique, Le Gâteau Chocolat chanter Summertime de Gershwin avec micro et sono, très belle voix de baryton, un monde qui existe non seulement sur scène, mais s’épanouit lors de son cadre. Un moment d’une grande intensité qui rapproche encore plus le public de la représentation scénique, communion salutaire avec les gens, dans l’esprit de la mise en scène si humaine.
Une drag queen sur la scène de Bayreuth! Abondamment sifflée aux premières représentations, ce sont maintenant des applaudissements fournis et chaleureux qui accompagnent le salut des artistes: la pari, osé de Kratzer, s’avère une immense réussite, politique, artistique, humaine; il voulait même faire chanter «La Romance à l’étoile» à George Ikediashi, Le Gâteau Chocolat!! Comme un usurpateur qui serait venu perturber le concours de chant! «J’ai chanté l’air d’Elisabeth, mais mon rêve serait de chanter l’air de la mort d’Isolde, une musique vraiment divine». (Le Gâteau Chocolat).
Le metteur en scène avait déjà largement défié les institutions bayreuthiennes pour ne pas aller plus loin! Cette mise en scènes flamboyante n’altère en rien les extraordinaires performances vocales des rôles principaux. Quand on pense que Stephen Gould est aussi le Siegfried du Crépuscule des Dieux! Georg Zeppenfeld (Daland du Vaisseau) chante aussi Hunding dans la Walkyrie, la sublime Lise Davidsen (Elisabeth de Tannhäuser) chante Sieglinde (La Walkyrie) et Klaus Florian Vogt (Lohengrin) alterne avec Siegmund (La Walkyrie), tout cela dans la même semaine!
Kratzer a amené un souffle de liberté. C’est haletant, bouleversant, du début à la fin, message de liberté, d’engagement, une soif de vivre, jubilatoire, un état d’esprit ouvert et torturé à l’image du compositeur. Une représentation très politique, très positive, pétillante, Romance aux étoiles, celle des libertés et des différences. Une année d’engagement: une remarquable exposition, dans le parc, devant l’entrée du théâtre, met en lumière, Les Voix Étouffées (Verstummte Stimmen) par le IIIème Reich: les artistes juifs qui ont chanté, joué à Bayreuth, puis déportés à Auschwitz, Dachau, Buchenwald, Theresienstadt, sont là, en photos, sur de beaux panneaux, devant l’entrée mythique de Fespielhaus!
Une prise de conscience poignante, émouvante de la quatrième génération des «Wagner» pour remettre de la clarté et gommer un passé sulfureux: Nike Wagner, née en 1945, fille de Wieland Wagner, dramaturge, auteure, règle aussi ses comptes dans son livre remarquable: «Les Wagner, une histoire de famille Wagner» (Gallimard), sa fille Louise Wagner née 1981, représente la relève. Les deux sœurs, arrières petites-filles de Richard Wagner, dirigent la maison-mère: Katharina Wagner, née en 1978, fille de Wolfgang Wagner, fils de Siegfried, fils de Richard/ Eva Wagner, née en 1945, fille de Wolfgang Wagner… Antoine Wagner, fils d’Eva, né en 1982, est présent aussi… Si depuis 1876, la direction est dans les mains d’un Wagner, saluons la présence aujourd’hui de ces 2 femmes qui participent à ce souffle nouveau.
Lorsque Vénus fixera une banderole sur la scène, pendant le concours de chant, au IIème acte, avec les mots mêmes de Wagner, ce sera un clin d’œil génial au compositeur, jouissance par procuration. Le public, médusé, ne peut rien dire. Tobias Kratzer utilise Wagner comme slogan pour amener les plus réticents dans son univers: Frei im Wollen. Frei im thun, Frei im geniessen/Libre de vouloir. Libre de faire, libre de jouir. (Richard Wagner, in L’Art et la Révolution, Die Kunst und die Revolution, 1849).
45 minutes d’applaudissements déchaînés couvriront quelques huées à peine audibles. Le pari est gagné. Une représentation prodigieuse. Yves Bergé, envoyé spécial au Festival de Bayreuth
Crédit photos © Enrico Nawrath, Bayreuther Festspiele
Tannhäuser: Festival de Bayreuth: 8 08 2022
Tobias Kratzer Metteur en scène
Axel Kober Chef d’orchestre
Stephen Gould Tannhäuser
Lise Davidsen Elisabeth
Ekaterina Gubanova Venus
Markus Eiche Wolfram von Eschenbach
Albert Dohmen Landgraf Hermann
Olafur Sigurdarson Biterolf
Jorge Rodríguez-Norton Heinrich der Schreiber
Jens-Erik Aasbø Reinmar von Zweter
Tuuli Takala Ein junger Hirt (un jeune berger)
Le Gâteau Chocolat: Le Gâteau Chocolat (rôle muet)
Oskar: Manni Laudenbach (rôle muet)
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