La Bella Italia célèbre Falcone et Borsellino
« L’Ultima Estate. Falcone e Borsellino, 30 anni dopo » de Claudio Fava était présenté le 7 octobre à l’Institut Culturel Italien de Marseille devant un salle comble. Un spectacle touchant et de belle facture qui revient le temps d’une soirée sur une tragédie nationale italienne. A découvrir le 9 octobre à 16h au théâtre du Balcon (Avignon)
L’été 1992, le 11 septembre italien
1992 est l’année des massacres de la Cosa Nostra, plus particulièrement de la mort de Giovanni Falcone, le 23 mai, et Paolo Borsellino, le 19 juillet, le premier assassiné lors de l’attentat de Capaci, le second lors de celui de la Via D’Amelio.
Cette année dramatique et cruciale changea à jamais l’histoire de l’Italie. Simone Luglio, à l’origine du projet, incarne le juge Falcone : « c’est notre 11 septembre italien et il est nécessaire de perpétuer la mémoire de ces deux hommes » par lesquels la Cosa Nostra a été en très grande partie démantelée et l’arsenal législatif de lutte anti-mafia déjà en place largement renforcé.
Pourtant, aujourd’hui, la mafia continue de prévaloir en Italie : un jugement rendu le 23 septembre 2021 contredit celui qui avait été donné en première instance en 2018 où étaient mis en cause et avaient été condamnés les intermédiaires ayant protégé la mafia. Le procès portait sur la question de savoir si « entre 1992 et 1994, à travers des procédés terroristes ayant tué plus de deux douzaines de citoyens et ébranlé le pays, la mafia sicilienne avait fait chanter le gouvernement italien, et ce grâce à l’aide de certains fonctionnaires. Des hommes politiques de premier plan y compris le chef de l’État, Giorgio Napolitano » avaient été interrogés. Le nouveau jugement estime qu’il n’y a aucun délit et les intermédiaires ont été relaxés. Un pas en arrière inquiétant.
Une pièce sur l’humanité des deux magistrats
Ce fut à l’occasion du 20ème anniversaire des attentats de Capaci et de Via D’Amelio que « le journaliste Claudio Fava –dont le père également journaliste fut assassiné en 1984 par la mafia- a décidé de raconter les derniers mois de la vie des deux magistrats de Palerme » nous apprend Giovanni Santangelo, le second comédien, qui interprète Borsellino.
Dans la pièce présentée, ceux qui ont été encensés comme des héros du fait de leur acharnement à lutter contre la mafia et des martyrs du fait de leur tragique destin sont présentés comme deux êtres humains avec leurs qualités et défauts. Nous sommes face à deux hommes, deux hommes de loi qui croient en leur travail de représentants de l’État, qui doutent aussi de la réussite de leur travail, des fruits de leur labeur.
Ils ont peur de la mort dont ils en pressentent toute l’horreur, chacun à leur manière expriment leur angoisse. Et en même temps, instants de grâce où ils oublient le présent, ils se taquinent s’échangeant des quolibets du style « testa di minchia », s’amusant à se « chambrer ». Ce sont deux amis bons vivants que nous découvrons, deux amis au physique, l’un est enrobé, le second plus sec, et au caractère, l’un est plus jovial de tempérament, le second plus taciturne, très complémentaires. Des Laurel et Hardy palermitains.
Le présent du passé ou le passé au présent
La scène où Falcone, les doigts engourdis, demande à Borsellino -qui a du mal à suivre le débit de parole de son ami- de taper le rapport sous sa dictée ou encore celle où ils reçoivent la liste de leur dépense dans la prison de l’île où ils ont été mis en sécurité – s’interrogeant sur celui des deux qui paiera la note des 258 cafés, 46 bouteilles d’eau et 12 bouteilles de vin blanc consommés, maugréant que l’État ne leur offre le gîte et le couvert- offrent des respirations légères et drôles à l’image du moment où Falcone avec malice propose une baignade à Borsellino.
Car dès le début du spectacle, nous sommes plongés dans les attentats, les deux comédiens, face public, au micro et immobiles sur l’avant scène, incarnent les fantômes des deux magistrats et relatent l’organisation de leur assassinat, du vol de la voiture minée jusqu’à l’explosion finale et la découverte des corps aux « os brisés comme des biscuits ». On entend presque le bruit des centaines de kilos de TNT qui furent nécessaires à ces carnages. On imagine le buste dévasté de Falcone, de sa femme et de leur trois gardes du corps. Pourtant, seuls un jeu de lumière rougeoyant et une nappe musicale viennent accompagner ce récit.
Un aller-retour entre passé et présent, plusieurs sauts dans les moments clés de l’élaboration du méga-procès et ses suites – 1985, 1988, 1992, 2021- ponctuent le récit. De la constitution du pool-anti-mafia au procès fleuve (le maxi-procès de Palerme a débuté en 1986) en passant par les révélations des repentis et l’arrestation des membres de la Cosa Nostra (360 mafieux ont été condamnés au final du procès), tout est exposé en une heure de temps.
Un duo pour une pièce pour 5 acteurs
Les deux comédiens, sur le plateau, entourés d’un fatras de dossiers débordant d’un bureau et de meubles de rangements d’où ils sortent les quelques accessoires dont ils ont besoin, incarnent plusieurs personnages avec aisance.
Outre les deux magistrats, Giovanni devient Antonino Meli, chef du bureau d’instruction, nommé en lieu et place de Falcone au tribunal de Palerme, fervent opposant au pool anti mafia ; Simone, un des mafieux portant une enveloppe annonçant à Borsellino sa fin prochaine. Une voix off incarne Giovanni Brusca, celui qui a appuyé sur la télécommande, repenti, récemment libéré de prison.
La pièce avait été écrite pour cinq comédiens mais lorsque Simone Luglio a souhaité la présenter, avec Giovanni Santangelo, ils n’ont pu en faire qu’une lecture. Mais une lecture ô combien réussie puisque la fille de Borsellino, présente ce jour, a fondu en larme suite à leur lecture, leur disant qu’il « fallait absolument en faire un spectacle ». C’était il y a trois ans et depuis, aidés à la mise en scène par Chiara Callegari, ils ont finalisé la création.
Une mise en scène en tout point réussie
La mise en scène joue avec pertinence sur les époques, les temps et les espaces qui s’entremêlent. Notamment quand Borsellino, seul sur le devant de la scène, se met à discuter avec le fantôme de Falcone, placé derrière un voile aérien en fond de scène.
Borsellino lui parle de ses doutes au début de leur enquête, lui qui à l’image de ses compatriotes gardait honteux les yeux baissés devant les méfaits de la mafia – il avouera avoir même songé devenir comme leur fils-, alors que Falcone qui croyait dur comme du fer en la justice s’acharnait à convaincre son ami de l’importance de la cause qu’ils défendaient.
Puis, petit à petit, même empli de doutes, Borsellino s’est laissé pour une question de moralité à suivre son ami dans ce combat au mépris des représailles redoutées. On le voit faire les derniers préparatifs avant sa mort, le coeur empli d’espoir : « les siciliens ont changé de regard envers la mafia et les palermitains sont plus nombreux à défier la loi du silence imposée par la cosa nostra ».
On notera la sobriété de la mise en scène très cinématographique au plus près du jeu, utilisant tous les espaces du plateau avec intelligence, la justesse de l’incarnation des comédiens siciliens dont la présence scénique et la ressemblance avec les protagonistes du récit est étonnante, la finesse des jeux de lumières et des effets sonores qui accompagnent délicatement le tout.
Célébrer la mort, la mémoire et la résistance
La mort est célébrée à la Toussaint en Sicile, une fête traditionnelle et typique du pays où sont offerts en partage des gâteaux, les pupi di zucchero, réalisés à base d’une farine mêlée de sucre, ou les ossa dei morti, petits biscuits si durs qu’on s’y casserait les dents. Une fête qui vise à conserver vivant le souvenir des morts et transmettre leur mémoire aux descendants.
C’est un peu ce que propose ce spectacle mais sans le cérémonial qui accompagne la Fête des Morts. Sans fioritures mais avec beaucoup de tendresse et d’émotions, l’équipe nous immerge dans un morceau de vie de Falcone et Borsellino. Tel un biscuit rugueux aux saveurs douces amères.
Avec en prime un bel appel à la résistance quand Simone entonne les tous premiers mots de Bella Ciao. Oui, la lutte doit continuer, elle n’est pas achevée. Avec un mot d’ordre : ne pas oublier et rester vigilant, ce spectacle contribue à perpétuer la mémoire de ce combat.
De par la qualité de son écriture aussi théâtrale que littéraire et du jeu, ce spectacle mériterait d’être présenté dans tous les collèges/lycées et universités de France et d’ailleurs… Bravo pour cette proposition qui ne laisse personne indifférent. Diane Vandermolina
Avec Simone Luglio et Giovanni Santangelo/Mise en scène : Chiara Callegari/Traduction : Gérard Auburgan/En collaboration avec Les Ateliers de CriBeau/ Une production Teatro Metastasio di Prato en collaboration avec Chinnicchinnacchi Teatro et
Collegamenti Festival. Spectacle en italien surtitré en français/ Durée : 1h
A voir le dimanche 9 OCTOBRE 16h – Avignon
THÉÂTRE DU BALCON 38 Rue Guillaume Puy
Dans le cadre de LA BELLA ITALIA en AVIGNON
Réservation www.theatredubalcon.org tél 04 90 85 00 80 – Tarifs de 11€ à 23€
Crédit photos © DUCCIO BURBERI
Vu le 7 octobre 2022 à l’ISTITUTO ITALIANO DI CULTURA 6, rue Fernand Pauriol 13005 Marseille/ Plus d’infos sur la programmation : 04 91 48 51 94/ www.iicmarsiglia.esteri.it
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