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Voyage symphonique à l’opéra de Marseille pour un faiseur de rêves

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Musiques de films d’Henri Verneuil à l’Opéra de Marseille le 22 octobre 2022

Marseille honorait, dans un Opéra comble et un public comblé, les musiques de films d’Henri Verneuil, né Achod Malakian, réalisateur et scénariste de cinéma. Un Français d’origine arménienne, né en 1920, à Rodosto (Tekirdağ, Turquie) qui fuit la Turquie avec sa famille, traumatisée par le Génocide Arménien de 1915, perpétré par le gouvernement Jeunes Turcs de l’Empire Ottoman. Achod et sa famille débarquent à Marseille, sur les quais de la Joliette, en 1924. Destin en marche: la mer, les bateaux, les voyages, le rêve, l’envie effrénée de réussir, de repartir. La maturité d’un gamin de quatre ans, se forge ici, dans la cité phocéenne, emblème des croisements multi-ethniques. Il mourra à Paris en 2002, autre ville lumière de ses réalisations: trente-quatre longs métrages, quatre-vingt-dix millions d’entrées, chiffres qui feraient rêver tous les producteurs de cinéma actuels.

Jean-Marc Coppola, adjoint au Maire de Marseille, en charge de la Culture, est fier de présenter ce concert-hommage, en présence de Patrick Malakian, fils du réalisateur. Après avoir salué la présence d’une forte communauté arménienne, toujours très impliquée Marseille, « Communauté qui fait partie de la richesse de la ville, à laquelle nous sommes très attachés», il insiste sur la solidarité et la fraternité qu’on doit au peuple arménien dans ces temps troublés, la guerre terrible entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan étant repartie, pour le contrôle du Haut-Karabakh. L’élu politique salue aussi le rapprochement entre le Maire Benoît Payan et Robert Guédiguian, autre personnalité marseillaise d’origine arménienne, figure remarquable du 7ème Art, ses films réalisés à l’Estaque, à Marseille, ayant fait le tour du monde.

Les musiques des films d’Henri Verneuil ©DR

Patrick Malakian est heureux de rappeler que pour le centenaire de la naissance de son père, en 2020, l’Ambassade d’Arménie à l’Unesco avait déjà monté ce projet de concert des musiques de films d’Henri Verneuil, à Erevan. Mais il fallait l’organiser aussi ici, dans sa ville d’adoption, à Marseille. Il sollicita le grand compositeur Jean-Claude Petit, qui avait composé les musiques de deux films de Verneuil: Mayrig (1991) et 588, rue Paradis(1992), dernière réalisation de Verneuil. Mayrig (Maman, en arménien, est l’adaptation du roman de Verneuil, 1985, racontant son enfance). Patrick Malakian parle des moteurs de vie de son père: «Créer, raconter, partager», le carburant de son énergie. Des films populaires, exigeants, dynamiques, Michel Audiard étant souvent aux manettes des dialogues savoureux. Reconnu en France et accueilli et sollicité à Hollywood, qui ne lui ménage pas les moyens. Et des castings exceptionnels : Viviane Romance, Michèle Morgan, Marie Laforêt, Fernandel, Gabin, Ventura, Belmondo, Delon, Montand, Mondy, Noiret, Yul Brynner, Charles Bronson, Anthony Quinn, Claudia, Cardinale… Les plus grands acteurs tourneront avec Verneuil dans des succès planétaires : La Vache et le prisonnier, Le Président, Un Singe en hiver, Mélodie en sous-sol, Le Clan des Siciliens, Peur sur la ville, Mille milliards de dollars... et tellement d’autres : une veine à la fois épique et intimiste.

Devant l’orchestre, sur la scène de l’Opéra de Marseille, le magnifique César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière (1996). Il fallait un Maître de cérémonie, une pointure internationale, un musicien hors-pair pour faire le lien entre Verneuil et les musiques choisies, pour assembler le matériel d’orchestre introuvable. Le travail de Jean-Claude Petit fut gigantesque, en l’absence de matériel full score, verrouillé par les ayant-droit et autres contraintes. Jean-Claude Petit entreprit de tout réécrire à l’oreille, à partir de morceaux en ligne sur Youtube! Puis de tout arranger! Saluons aussi le travail remarquable de copiste réalisé par son confrère Marc Bercovitz. On connaît le CV musical impressionnant du chef d’orchestre invité: de multiples prix et diplômes au CNSM de Paris. Pianiste de Jazz, avec Dexter Gordon, Kenny Clarke, Johnny Griffin, arrangeur de tout le Show-Biz, Claude François, Julien Clerc et des dizaines d’autres, compositeur de musiques de films à succès: Jean de Florette, Manon des Sources (Claude Berri, l’incroyable thème à l’harmonica de La Force du destin de Verdi: géniale trouvaille!), Cyrano de Bergerac, de Jean-Claude Rappeneau; cette composition, lui valut une Victoire de la Musique en 1991, un British Award des mains de la Princesse Anne, des nominations aux Oscars.

En 2014, il signe son premier opéra, Colomba, adapté de la Nouvelle de Prosper Mérimée qu’il crée à Marseille, en première mondiale. Avec les paroles de Benito Pelegrín qui façonne un remarquable livret, apportant un éclairage nouveau dans cette histoire de vendetta familiale corse entre les Durazzo et les Carabelli, devenant, ici, une tragédie grecque puissante, merveilleusement interprétée par Marie-Ange Todorovitch. Jean-Claude Petit est donc comme un poisson dans l’eau, ici, à Marseille pour honorer Verneuil et ses confrères compositeurs. Si la musique peut être classée par une appellation stylistique: Renaissance, Baroque, Classicisme, Romantisme, Impressionnisme, Expressionnisme, Contemporaine, Jazz, Musiques du monde, Musiques actuelles…, la musique de film englobe, à elle seule, tous ces courants! Un film peut inviter des écritures musicales diverses, croisant plusieurs des styles précités. D’où une extraordinaire liberté et palette de compositions possibles. Les compositeurs d’Henri Verneuil, conviés aujourd’hui, sont tous d’immenses musiciens «classiques», à l’écriture ciselée, passionnée, symphonique, acoustique dans la majorité des cas.

Maurice JARRE (1924-2009) : Week-end à Zuitcoote. Juin 1940, Bataille de DunkerqueSuperbe idée de projeter quelques extraits des films au programme, souvent une scène différente de la musique jouée en direct, juste après. Double plaisir de ce concert: cinématographique et musical. La musique de Jarre est d’un grand lyrisme, legato des cordes, puis un thème ternaire contrasté, xylophone, cuivres, d’écriture polytonale; harpe et piano soutenus par les cordes enchaînent un motif planant et une fin tragique, martelée, militaire. Jean-Claude Petit est d’une précision diabolique, sans emphase, départs, choix des nuances, crescendo, decrescendo remarquablement maîtrisés.

Concert à l’Opéra : les musiques des films de Verneuil à l’honneur ©DR

Joseph KOSMA (1905 1969): Des gens sans importance. Magnifiques images noir et blanc de Jean Gabin (Viard, le routier) et Françoise Arnoul (Clo, la serveuse), scènes émouvantes de gens ordinaires, déshumanisation des conditions de travail et critique de la course au rendement excessif. La musique de Kosma est un assemblage de thèmes simples et prenants, comme tous ces gens à l’image: solo du premier violon, repris par les trémolos mélancoliques des autres cordes, ligne chromatique, puis tutti et reprise du thème aux bois, comme un prolongement plaintif; le hautbois solo, superbe et la flûte donnent des couleurs particulières, plus intenses. Le Philarmonique de Marseille imprime sa très belle palette sonore. Georges DELERUE (1925 1992): Les Morfalous. Encore une panoplie de comédiens exceptionnels: Jean-Paul Belmondo, Michel Creton, Marie Laforêt, Jacques Villeret. Puis ce thème joué par l’orchestre, solo de cor anglais, un enchaînement de trompette pour un thème plus militaire, binaire, soutenu par les accents de caisse claire, staccato; une phrase plus souple, legato, tonale, peu audacieuse harmoniquement cependant, annonce un crescendo très emphatique des cordes.

Ennio MORRICONE (1928 2020) : Le Clan des Siciliens. Pour la première fois à l’écran, ensemble: Delon, Gabin, Ventura! Beauté des images. Thème comme une marche militaire avec les accents saccadés de la grosse caisse. Cordes et bois annoncent une phrase dynamique en crescendo puis les cors sur les balais des cymbales pulsés, accompagnent la ligne legato de l’ensemble; il s’agit d’un thème et variations qui se développe remarquablement, sous une apparente simplicité, toujours appuyé par cet ostinato rythmique: -demi-soupir,croche, 2 croches, noire- qui ne nous lâche jamais. La Bataille de San Sebastian (Guns for San Sebastian). Cette coproduction entre la France, l’Italie et le Mexique permet à Verneuil de tourner en anglais, au Mexique, dans les décors du film: Les Sept Mercenaires de John Sturges (1962). Un Western dont l’action se situe au XVIIIème s. (1743, au Mexique, durant la domination espagnole): Anthony Quinn, Charles Bronson. Un grand thème symphonique, alternance majeur, mineur, beau duo clavier, hautbois; solo de violon, pages intimistes puis des pages plus grandioses dessinent merveilleusement les diverses intrigues du film: la défense de ce village rançonné par les bandits, un héros opposé au pouvoir et refusant l’autorité; un prêtre défiant ses supérieurs; Morricone saisit cette matière pour ciseler, une nouvelle fois, une musique très impressionnante. Le Casse: encore un énorme casting pour le casse d’un homme richissime, à Athènes: Belmondo, Omar Sharif, Robert Hossein, Nicole Calfan, José Luis de Vilallonga. On se délecte des images somptueuses, de cette scène projetée; puis l’extrait joué par le Philarmonique de Marseille, toujours aussi expressif et engagé. Un thème très marqué, piano, timbale, contraste avec une phrase des cordes, legato, puis contre-chant des vents, grande fresque symphonique, puzzle de timbres qui s’ajoutent. Jean-Claude Petit impulse le souffle nécessaire. Saluons aussi le travail précieux, essentiel aux claviers de Nicolas Mazmanian, qui alterne piano acoustique et célesta pour des sonorités encore plus subtiles. Le Serpent. Un colonel du KGB transfuge qui voyage en France pour obtenir l’asile, avec l’aide de l’Ambassade américaine. Cocasse, car nous sommes en 1973, en pleine Guerre Froide! Musique aérienne, scènes vibrantes, des acteurs incroyables encore: Yul Brynner, Henry Fonda, Dirk Bogarde, Philipe Noiret, Michel Bouquet, Virna Lisi. Après quelques mots au public, Jean-Claude Petit reprend la baguette et nous tombons sous le charme de la magnifique voix de Roselyne Minassian, mezzo-soprano, grandes envolées, souffle prodigieux, superbe ligne vocale très ondulée sur des sons vocalisés, soutenue par un remarquable hautbois soliste; le serpent semble charmé, le public aussi.

J-C Petit et R. Minassian ©DR

Nino ROTA (1911-1979): L’ennemi public N°1. Le jeune Verneuil, trente trois ans, trouve en Fernandel l’acteur idéal pour Joé Calvet, représentant américain en matériel camping, gros myope, qui emporte par erreur le pardessus d’un gangster dans un cinéma! Le génie de Nino Rota fera le reste; l’action se passant aux Etats-Unis, on retrouve des couleurs jazzy, trompette bouchée, piano, balais de cymbales, des clins d’œil au Concerto en fa de Gershwin. Le romain Nino Rota, surdoué, composa cent soixante et dix musiques de films notamment pour Fellini, mais aussi quatre symphonies, onze opéras, neuf concertos, de la musique de chambre, un Oratorio à douze ans! A Philadelphie, il perfectionne sa direction d’orchestre auprès du génial Fritz Reiner et écrit une thèse d’état sur Zarlino, compositeur et théoricien de la Renaissance! Jean-Claude Petit, partageant avec son confrère italien, un CV aussi glorieux, rend toute la variété de la musique de Rota dans cet extrait offert au public marseillais.

Paul DURAND (Paul Vautricourt 1907-1977): La Vache et le Prisonnier. Entre burlesque et drame; scènes touchantes et très drôles. En 1943, Fernandel, prisonnier de guerre en Allemagne décide de s’évader de la ferme où il est employé, avec sa vache Marguerite! L’orchestre reprend, dans une tuilage parfait, un thème en pizzicato aux violoncelles, contrebasses sur un solo de violon, relayé par un solo de trompette très prenant; magnifique le pupitre des cuivres, très inspiré par ce programme original. Michel MAGNE (1930 1984) :Un singe en hiver. Gabin, Belmondo à l’écran, Michel Audiard aux dialogues., toujours exquis: «Si la connerie n’est pas remboursée par la Sécu, vous finirez sur la paille!». Verneuil soignait ses castings! C’est dans ce film qu’on entend a cappella la célèbre chanson de 1922 «Nuits de Chine» (Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d’amour...», on s’évade par l’ivresse, Chine, Espagne…Musique très pentatonique pour imprimer cette couleur asiatique. Cordes mêlées au Glockenspiel, et le gong pour voyager.

J-C Petit et L. Minassian ©DR

Jean-Claude PETIT : Dele Yaman/Mayrig. Jean-Claude Petit prend le temps de parler au public, de sa rencontre avec l’Arménie, des paroles du petit Arménien Achod Malakian qui deviendra le grand Verneuil: «Depuis ce quai, je n’ai rien oublié», le quai de la Joliette, à quelques pas de la scène de l’opéra. «La musique m’a permis de voyager, je ne connaissais pas grand chose de l’Arménie; avec Mayrig, je suis devenu un petit peu arménien moi-même»(JC Petit). Le compositeur a dessiné, avec passion, cette fresque musicale sur l’histoire tragique et sensible de l’Arménie. Un très beau thème ample, d’une magnifique densité d’écriture prolonge la magie du duduk de Levon Minassian. Cet instrument de la famille du hautbois, anche double de perce cylindrique, joué essentiellement dans le Caucase, est devenu l’instrument emblématique de l’Arménie dont Lévon Minassian est l’un des plus beaux ambassadeurs. Il n’est plus question, ici, de musique folklorique, mais d’un mélange savant de musiques issues de sources différentes. Minassian a posé la sonorité touchante de son instrument dans de nombreux films; il a même participé à l’album Us de Peter Gabriel. Toujours ses passerelles qu’adorait Malakian/Verneuil. Et que magnifie, ce soir Jean-Claude Petit, dans ses arrangements magistraux avec les belles couleurs de l’orchestre de l’opéra. On retrouve la chaude voix de Roselyne Minassian en duo fraternel. La beauté troublante sur les vidéos des chaînes de montagnes arméniennes et de paysages grandioses, le mythique et biblique Mont Ararat, rajoutent à la grandeur de la musique; le chant orné, plaintif, puissant du duduk se marie merveilleusement avec le timbre, ici, de contralto; les graves ronds et brûlants d’amour de la soliste. Dle Yaman est une ancienne mélodie arménienne recueillie par le Révérend Père Komitas (1869-1935). Théologien et musicologue qui rassembla, les modes et les rythmes de la liturgie arménienne. Chanson d’amour tragique: «Dle Yaman, le soleil s’est levé sur la mer de Van, Dle Yaman, je t’ai aimée au vent d’automne…».Tutti en crescendo: magique. Le chef d’orchestre fit un boulot gigantesque en écrivant ces partitions symphoniques pour Mayrig et 588, rue Paradis.

Levon Minassian au duduk ©DR

Francis LAI (1932-2018): Le corps de mon mon meilleur ennemi. Audiard unique: «A votre âge, les gros mots ne peuvent être que des citations». Une grande page symphonique, des cuivres, très intenses, les cordes soutenant merveilleusement ce thème en triolets. On retrouve, pour clore cette riche soirée, Michel MAGNE Mélodie en sous-sol: Gabin, Delon. Thème aux cuivres très martial, jeu de questions-réponses entre les cordes, les grands accords de piano; une fin triomphale, l’orchestre et le chef en parfaite harmonie.

En bis, Dle Yaman et les photos de Verneuil, projetées, de son enfance à sa maturité, pour une communion totale avec le public, debout. Triomphe total et mérité. Jean-Claude Petit, maître de cérémonie, chef bien vivant, rend hommage à des confrères décédés dans ce bouquet magistral de musiques de films. Verneuil qu’on redécouvre avec étonnement dans le résumé tourbillonnant de son œuvre. Homme de passages, de transmissions, de voyages, qui fit le pont entre l’Arménie et la France pour fuir cette Turquie génocidaire et offrir à sa terre d’adoption les plus belles lettres du 7èmeArt. «Arménien, je suis, plus français que moi, tu meurs». Une leçon de vie, une leçon de vivre et de créer, accompagnée par des compositeurs de génie, relais de ses rêves les plus intenses. Un vrai concert—spectacle qui mériterait de tourner. Yves Bergé

Concert de musiques de films d’Henri Verneuil par l’Orchestre Philharmonique de Marseille. Samedi 22 10 2022 à 20h à l’Opéra de Marseille

Direction musicale et arrangements : Jean-Claude PETIT/ Copiste pour les partitions d’orchestre : Marc Bercovitz / Duduk: Levon MINASSIAN / Chant : Roselyne MINASSIAN

Rmt News Int • 26 octobre 2022


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