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Cigalon par le Funny Musical à Maison Blanche
Le Funny Musical de Fred Muhl Valentin donne une autre vie, un autre souffle, au Cigalon de Marcel Pagnol.
Le Funny Musical présente une version foraine et chantée, adaptation théâtrale et musicale de haute volée de la BD Cigalon de Serge Scotto, Eric Stoffel, Eric Hubsch, d’après le film Cigalon de Marcel Pagnol, 1935.
Le Parc de la Maison Blanche est un parc de 5 hectares, situé dans le 9ème arrondissement de Marseille, un lac, des espaces boisés aux arbres centenaires, une bastide abritant la Mairie des 10ème et 11ème arrondissements de Marseille. Un espace forain, théâtre en forme de cirque, est placé face à l’imposante bastide de 1840. Cette arène conviviale sera déterminante pour la proximité avec le public et le jeu des comédiens. Anne-Marie d’Estienne d’Orves, Maire de secteur, au nom du député Lionel Royer-Perreault, salue la première édition de cette belle semaine provençale, tableaux prestigieux issus de la collection du Musée Regards de Provence exposés dans les salons de la bastide, animations musicales, merveilleusement prolongées par le feu d’artifice du Funny Musical et ce Cigalon décapant.
Du film à la BD
Le film de Marcel Pagnol de 1935, au succès médiocre, faisait pourtant beaucoup rire l’auteur-réalisateur qui était plutôt sévère avec ses propres œuvres : Voilà un film qui me fait rire aux larmes… Nous étions donc sûrs que le public, dans une grande salle, nous réserverait un véritable triomphe… Ce fut un four sinistre… Projeté dans une douzaine de salles, avec le même résultat, je décidai d’en arrêter l’exploitation » (Préface de la pièce éditions De Fallois). Cette pièce caustique fera l’objet de plusieurs adaptations théâtrales, avec beaucoup plus de succès. Georges Folgoas en fera aussi un film en 1975 avec le truculent Michel Galabru et la craquante Andrea Ferreol. Le même Galabru reprendra le scénario de Pagnol au théâtre, en 1980.
Cigalon fut tourné au restaurant du même nom, à la Treille, où repose Marcel Pagnol. Restaurant de spécialités provençales qui existe toujours. Une troupe amicale, un lieu magique si cher à Pagnol (son merveilleux Manon des Sources y fut tourné en 1952), les odeurs, la lumière de la Provence, les joutes littéraires, plus comiques, les recettes de Blavette (Ma Provence en cuisine, Charles Blavette, édité chez Jeanne Laffitte), les blagues, les apéros généreux, les parties de boules entre deux séquences de tournage… ont-ils, ont-elles grisé les acteurs de cette époque insouciante?
L’histoire de ce restaurateur irascible qui ne veut plus servir les clients, était quand même très cocasse :« Savez-vous, ce que c’est, monsieur, de manger des pieds et paquets, au milieu d’une bande d’imbéciles… Eh bien, c’est un supplice intolérable! Je ne me dérange pas pour une omelette! ». Farce provençale, autodérision? L’amateur de pétanque et de jeu à la longue qu’était Pagnol avait peut-être poussé le bouchon un peu loin? Un restaurateur, autoproclamé chef qui tient un restaurant mais décide de ne plus servir aucun client: osé comme trame dramaturgique!
Seul Pagnol pouvait trouver, inventer, une narration, avec son talent de conteur, de peintre des caractères : les forts personnages du film initial donnaient le ton (Arnaudy, Henri Poupon, Alida Rouffe, Charles Blavette, Jean Castan...). La magnifique BD apportait un éclairage très intéressant aussi. Comment Fred Muhl Valentin allait-il relever le défi, jouant le restaurateur méprisant, irascible qui campe sur ses positions ridicules tout en mettant en scène sa troupe de comédiens-chanteurs?
Le défi relevé par la troupe du Funny Musical
Le public, proche, se délecte: Le Funny Musical habite la scène, table de bars au centre, le chant est omniprésent, la qualité des interprétations séduit les spectateurs: Quand je quitte la capitale, je retourne vers mon beau pays… C’est un gai refrain du Midi, trio chant/piano; le trio devient quintette, les ensembles vocaux bougent sans cesse, c’est brillant : C’est un refrain de Provence. Tout s’enchaîne à merveille. Le ton est donné.
Isa Fleur, musicienne, chanteuse d’opérettes talentueuse, adapte les chansons de Vincent Scotto et surtout met en musique les recettes énoncées dans la pièce car dans la version originale, Cigalon les récite. Le compositeur aux 4000 chansons, mélodiste intarissable avec La Petite Tonkinoise, Sous les ponts de Paris, La Java bleue, J’ai deux amours, Prosper, Le Plus Beau Tango du inonde, Adieu, Venise provençale, avait composé la musique du film Cigalon comme celle de huit autres films de Pagnol, citons en 1933: Le Gendre de Monsieur Poirier/1934: Jofroi/1934: Angèle/1935: Cigalon/1935:Merlusse/1936: César/1936: Topaze/1938: La Femme du Boulanger/1940: La Fille du Puisatier. Vincent Scotto sert de fil conducteur, mais le talent d’Isa Fleur fait le reste.
On joue, on chante, les changements de costumes, devant public, sont très énergiques, sans casser le déroulement de l’intrigue, toujours très fluide. Les chansons de Vincent Scotto sont des moments de bonheur absolu : qualité vocale, qualité des arrangements, alternance des voix, jeux vocaux: Un refrain de Provence, Zou, zou un peu d’aïoli, les Enfrémineurs, Au pays du soleil et la Bouillabaisse de Lucchesi, Sablon, Giraud pour ce florilège de mélodies provençales.
Dans ce théâtre forain où le spectateur semble être acteur de la pièce, nous sommes émerveillés par la justesse de ton, l’énergie, la rigueur joviale, le dynamisme, l’engagement sans failles. Rompu à la virtuosité de la Commedia dell Arte depuis la fin des années 80 et sa rencontre à Venise avec Carlo Bosso puis développant un théâtre populaire, exigeant avec la troupe des Carboni, dans le quartier du Panier, Fred Muhl Valentin, donne un nouveau tournant à sa carrière avec ce Funny Musical, où théâtre et musique ne feront plus qu’un. Très connaisseur des opérettes marseillaises, Un de la Canebière, (Prix des Tréteaux de l’Adami en 2008!), le directeur-comédien-chanteur est comme un poisson dans l’eau dans cette scène-arène où l’on ne peut tricher.
Pupitres, mini-concert, comédie-musicale
Les comédiens sont excellents: postures, intonations, expressions, projection vocale, costumes, entrées, sorties, relais, respirations, silences, écoute, polyphonie vibrante, la proximité du piano, magique: les comédiens-chanteurs Fred Muhl Valentin, Marie Laurila-Lili, Yann Prévot, Maëva Verlhiac, Greg Amsis, Amandine Flé sont tous excellents.
Cette mise en espace pertinente avec les pupitres devant les spectateurs, permet un rapport très intelligent à la BD où chaque personnage a son rôle mais interagit avec les répliques piquantes du voisin, de la voisine, comme dans les bulles d’une BD. Les personnages de Pagnol sont hauts en couleurs; les didascalies sont un éclairage souvent très humoristique, que la magnifique BD de Scotto, Stoffel, Hubsch, traduit par des traits vifs, vigoureux et cinglants. La première scène dit tout du contraste et de la terrible rencontre entre ces promeneurs de la Treille et Cigalon (Fred Muhl Valentin, voix et présence magistrales) qui ne veut donc pas servir ces clients!
Ludovic, le chef de famille, gros monsieur épanoui, Chalumeau, le fils, quinze ans; il a l’air du condamné à la promenade dominicale, Adèle, la femme du monsieur, elle n’est pas maigre, Coralie, elle est grande, mince, vieille et folle. Et le chien! Du pur Pagnol dont on se délecte, avant les dialogues. Le Funny Musical donne un relief particulier à tous ces personnages par une interprétation très méditerranéenne, humoristique, sous-tendue par une dimension théâtrale proche de la Commedia dell’Arte ou d’un Carlo Goldoni (1707-1793) qui transforma la comédie italienne par son réalisme dans la représentation des comportements.
La sœur de Cigalon, Sidonie, essaie de sauver son frère: C’est une âme d’artiste, il est trop fier pour travailler! De véritables sketches loufoques: Ils veulent manger? Je m’en doutais…! Ici, ce n’est pas un restaurant, c’est un paysage, les clients mangent des yeux! Le Funny Musical s’amuse brillamment de ces contrastes entre des clients, promeneurs du dimanche à la Treille, attablés, impatients de découvrir ces plats vantés par Cigalon, et ces odeurs qui viennent de la cuisine mais n’arrivent jamais aux tables… Cigalon se promène avec sa casserole de pieds et paquets; Fred Muhl Valentin joue, chante, illumine, habite l’espace: « C’est le petit bouillonnement…» « Pour faire une bonne bouillabaisse, il faut se lever de bon matin ».
L’arrivée de Mme Toffi, blanchisseuse du village, qui décide d’ouvrir un restaurant en face de celui de Cigalon, est une véritable déclaration de guerre, surtout à l’heure des pieds et paquets! La condition de Mme Toffi est géniale: « Je dirai aux clients, je ne veux pas vous servir tant que vous n’aurez pas été refusés par Cigalon! ». Les costumes très colorés, brésiliens, la présence décalée du perroquet, donnent une touche burlesque rappelant les opérettes de Francis Lopez (La Belle de Cadix, le Chanteur de Mexico, Andalousie…) La cohabitation des deux restaurants est trop drôle, judicieuse. Guerre des frontières! Les interprétations vocales toujours de qualité avec inversion des couplets/refrains. «Nous sommes les rois des blagueurs», alternance: Oui, oui, non, non, passant des hommes aux femmes avec beaucoup d’agilité.
L’arrivée du Comte comme client potentiel de Cigalon, est le second moment dramatique de la pièce. Pour un final ébouriffant. Moi, j’ai mon truc, c’est la grivèlerie! Poursuivi par des gangsters de Marseille, ce Comte n’a qu’une envie: se faire un super restaurant sans payer et être au chaud, en prison, en sécurité…! Un spectateur sert de taxi, pas d’effets vidéos, d’artifices, tout est là devant nous, on est dans la pièce et c’est fort. Virgile, affolé, surveille, pour sa tante Mme Toffi, les agitations soudaines du grand chef! Fred Muhl Valentin, dans un show hallucinant de Samba, sur un rythme de bossa nova, entonne un chant endiablé; il présente les plats dans une féerie musicale colorée, alternance chanté/parlé comme dans les opérettes. Le perroquet devient fou aussi: je repars au Brésil! La recette chantée des cannelloni est virtuose, comme un slam vigoureux, alternance de genres musicaux pertinents. Arrivée des gendarmes qui viennent arrêter le Comte, scène du fusil étonnante, déclaration de mariage Cigalon/Toffi; on passe de scènes humoristiques à des scènes plus tendues avec beaucoup de plaisir.
Une savoureuse réussite
La force du Funny Musical sont les apports vocaux magnifiques qui donnent une lisibilité et densité remarquables à cette représentation. Sidonie: Sainte Bonne Mère, protégez-nous! Effet saisissant, du haut des gradins! Le coup de fil n’est pas parti, dommage! Scènes parallèles, théâtre dans le théâtre. Réconciliation finale, tango entre le gendarme masqué (clin d’œil à la Commedia dell’Arte!) et le Comte, séduction Cigalon/Toffi…, le public est debout, ravi! Triomphe. On finit en chanson. « Au pays du soleil, dans notre belle Provence où le ciel plus vermeil met au cœur tant d’espérance… ».
Saluons cette performance théâtrale et musicale majeure, réussite totale et jubilatoire, et ce lien avec le public, dans le prolongement des Masters Class, ateliers pro, enseignements, partenariats avec les établissements scolaires de proximité que propose sans cesse le Funny Musical. Un désir toujours innovant de partage et de nouveauté. Yves Bergé
- Cigalon par le Funny Musical, Fred Muhl Valentin
- Mise en scène: Fred Muhl Valentin
- Mis en musique: Isa Fleur
- D’après la BD Cigalon
Vu au Parc de la Maison Blanche, Marseille 13009, le vendredi 23 09 2022
Crédit photo ©Funny Musical/DR
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