Alma Mahler, Muse de Vienne présenté par Lyricopéra
« Moi, Alma, j’ai traversé toute ma vie les êtres »
Un spectacle d’Oranne Moretti
Dimanche 22 janvier, 17 h, Temple Grignan? 15, rue Grignan
06 32 94 65 40, PAF 20, 17, 15 euros, gratuit moins de15 ans
Un spectacle d’Orianne Moretti inspiré librement du Journal intime, des Mémoires et Correspondances et de Ma vie d’Alma Schindler-Mahler-Gropius-Werfel (1879-1964). Lieder d’Alma Mahler et pièces pour piano d’Alexander Zemlinski (1871-1942).
Orianne Moretti soprano, dramaturge, comédienne, Frédéric Isoletta piano
Orianne Moretti : auteure, autrice, metteure ou metteuse en scène et artiste lyrique, soprano et actrice. J’avais beaucoup apprécié son opéra de chambre À travers Clara, spectacle vocal et épistolaire, d’après la correspondance et le journal intime de Clara et Robert Schumann, qu’elle avait conçu et mis en scène le 30 avril 2019 au Temple Grignan, et nous l’avions reçue pour le beau disque qui en était issu.
Elle mettait magnifiquement en lumière cette femme, pianiste célèbre de son temps, compositrice, dont on ne se souvient aujourd’hui qu’à travers le nom de son prestigieux mari (à la célébrité duquel elle avait grandement contribué). Sort banal des femmes, même les plus talentueuses, Clara avait été sacrifiée à Robert.
Aujourd’hui, c’est à une autre femme extraordinaire, sacrifiée —ou sacrificatrice— qu’Oriane, au beau prénom proustien de la duchesse de Guermantes, rend hommage, ou justice : Alma Malher. Dramaturge, elle lui avait déjà consacré un opéra en 2016, créé à Reims : AMOK (acronyme des initiales des prénoms d’Alma Mahler et d’Oskar Kokoschka, le fameux peintre expressionniste, son cadet de sept ans, centré sur leur liaison tumultueuse), Oriane avait réalisé le livret et la mise en scène, François Cattin en signait la musique. La critique lui réserva un excellent accueil. Plus tard, dans le cadre du XIVe Festival des Musiques Interdites, dans la crypte de Saint-Victor, Orianne Moretti, lui avait consacré son Récital Alma Mahler : Lieder 1910 – 1924, avec Vladik Polionov, piano, que nous avons déjà reçu sur nos ondes. Aujourd’hui c’est notre ami Frédéric Isoletta qui sera son partenaire accompagnateur dans ce qui est devenu un véritable spectacle avec des textes d’Alma Mahler elle-même qui, à ses talents frustrés de peintre et musicienne, on peut ajouter celui d’écrivaine. Et Oriane Moretti est une lectrice passionnée de textes sur lesquels reposent ses spectacles complets qui nourrissent ainsi l’esprit par la lecture, l’interprétation de texte et de la musique, du chant.
Mais revenons à cette vraie muse que fut Alma Mahler. Encore une fois, son identité propre, Alma Schindler (1879 -1964), le patronyme, le nom du père, est cachée sous le patronyme du mari : patriarcat, père ou mari., trois noms e maris pur une seule femme. Née à Vienne (Autriche) le 31 août 1879, décédée à New York le 11 décembre 1964.
Mais écoutons par Angelika Kirchschlager, un lied très bref d’Alma, Ich wandle unter Blumen , « Je vais parmi les fleurs », sur un poème d’Heinrich Heine:
1) https://www.youtube.com/watch?v=k9uTqq4cg_g&list=PLtWPJjsR5HrJ_3VWwHhcazgy6Z6fWKAH0&index=2
Alma est fille d’un peintre célèbre, elle est élevée dans un milieu où se rencontrent les membres de l’élite et de l’avant-garde dans la Vienne de la fin de l’Empire austro-hongrois, à la fois décadente et créatrice, bouillonnante, de la Sécession, l’Art Nouveau, le Modern style, le Jugendstill : Freud, Richard Strauss, Schönberg, Berg sont un échantillon de ces talents qui poussent sur la lente putréfaction d’un empire en déliquescence, qui vit son brillant crépuscule avant de disparaître avec la fin de la Grande Guerre… Toute jeune, elle fascine Zemlinsky et Klimt. Dès l’âge de dix ans, Alma suit des cours de composition et de piano et, devenant son élève, se perfectionne avec le compositeur Alexander von Zemlinsky (1871-1952) avec lequel elle a une liaison. Elle compose déjà des Lieder, sur des poèmes de Rainer Maria Rilke, Heinrich Heine ou Novalis ce qui prouve son bon goût. Elle écrit aussi des pièces instrumentales. Elle avait même commencé à travailler sur un opéra. Elle est également excellente pianiste et elle peint, comme son père.
En 1901 elle fait la connaissance de Gustav Mahler, compositeur renommé, nommé chef d’orchestre arrivé à Vienne depuis peu, mais il y est malmené car il est juif. Elle laisse tomber son professeur Zemlinsky, protégé de Mahler, et en devient l’épouse. Comme Schumann estimant que deux compositeurs dans un foyer c’était un de trop, naturellement, la femme, Mahler pose brutalement ses conditions à sa jeune et talentueuse fiancée, sa cadette de dix-sept ans, dans une longue lettre. Elle doit renoncer à ses ambitions artistiques :
« Tu n’as désormais qu’une profession : me rendre heureux… »
Les lieder d’Alma Schindler-Mahler ont été composés entre 1888 et 1901, date de sa rencontre avec celui qui lui donnera son nom, Mahler, lui enlevant son goût de composer apparemment, par ce contrat patriarcal. On en a juste retrouvé seize.
Ils ont deux enfants, dont Maria qui meurt à cinq ans. Accablé de douleur, Mahler compose (Kindertotenlier). L’autre fille, Anna, sera plus heureuse que sa mère dans sa vocation artistique, deviendra sculptrice. Alma, qui a tant de talents est sans doute une Madame Bovary, qui n’en a aucun, femme au foyer qui s’ennuie. Elle a une liaison avec Walter Gropius, architecte, le futur créateur du Bauhaus, dont l’architecture fonctionnelle marque tout le XXe siècle.
Elle avoue : « Je suis trop multiple pour pouvoir poser mon âme sur un seul cœur. »
Cette multiplicité honnêtement revendiquée lui colle à la peau, participe de sa légende noire, bien excessive, et on lui accole tranquillement les qualificatifs de « séductrice », perverse, même « monstrueuse » (Arte), de Pandora (en référence on imagine à la femme fatale jouée par Ava Gardner). Pourtant, trois maris et trois amants ne me semblent pas mériter cet excès d’indignité mais je dirai d’honneur quand on connaît leur gloire : à la liste des grands hommes qu’elle séduit, on mesure sa séduction et c’est les estimer bien peu que les imaginer épris d’une femme guère estimable. C’est faire peu de cas, chez un homme de talent, de l’amour d’une femme, surtout plus jeune, inspiratrice : muse en somme. Alma est loin d’être la délétère Lola-Lola de l’Ange bleu, malicieusement incarnée par Marlène Dietrich, fatale héroïne aussi de La Femme et le pantin d’après Pierre Louys, ces deux films de Sternberg qui prouvent aussi tout ce que peut, artistiquement, l’amour entre un créateur et sa muse, une réciproque création. Les d’Alma sur son fougueux amant cadet Kokoschka sont peut-être de bienheueuses blessures pmur son art.
Par la même interprète, écoutons Bei dir ist es traut, ‘Près de toi, tout est doux ‘, poème de Rilke.
2) https://www.youtube.com/watch?v=O1qovNKtUKQ
Cette douceur, Alma semble l’avoir cherchée auprès de nombreux hommes, tous talentueux, célèbres. Veuve de Mahler qui meurt en 1911, sans rompre avec Gropius, elle subit et fuit la passion dévorante de Kokoschka, épouse enfin Gropius en 1915. De leur union naît leur fille Manon qui va mourir de la poliomyélite en 1935, à l’âge de 18 ans. Le compositeur Alban Berg, grand ami d’Alma et qui aimait beaucoup Manon, lui dédiera le Concerto à la mémoire d’un ange.
Pendant ce mariage, elle a une liaison avec l’écrivain autrichien Franz Werfel puis l’épouse après avoir divorcé de Gropius : un mari, un amant qu’elle épouse après avoir évacué le premier, bref, en musique, on dirait un « tuilage » des accords, ou des désaccords, un glissement d’amant à époux.
Le couple fuit les nazis après l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par les nazis. En France, occupée par les Allemands, ils passent chez la Comtesse Pastré à Marseille, qui accueille et protège tant d’artistes poursuivis, ils s’installent à Sanary, et sont sauvés par le journaliste Varian Fry qui leur procure des passeports ; ils partent pour les États-Unis où ils finissent leur vie.
Nous la quittons sur ce lied, par Sabine Ritterbusch, poème de Leo Greiner :
Kennst du meine Nächte? , ‘Connais-tu mes nuits’ où nous imaginons la belle Alma rêvant peut-être de ses rêves d’artiste frustrés par la vie.
3) Kennst du meine Nächte
Benito Pelegrín
PROGRAMME MUSICAL
Mit Wärme Alexander Zemlinski. Ländliche Tänze* opus 1 n°1 Avec fougue.
Leise weht ein erstes Blühn. Alma Mahler/A.M Rilke Doucement éclot un premier bourgeon.
Ich wandle unter Blumen. Alma Mahler/H. Heine Je vais parmi les fleurs.
Hinträumend Alexander Zemlinski. Ländliche Tänze opus 1 n°5 Comme dans un rêve
In meines Vaters Garten. Alma Mahler/Hartleben Dans le jardin de mon père.
Bei dir ist es traut. Alma Mahler/R.M Rilke Avec toi c’est bon.
Flüchtig Alexander Zemlinski. Ländliche Tänze opus 1 n°2 Furtivement.
Licht in der Nacht. Alma Mahler/Bierbaum Lumière dans la nuit.
Laue Sommernacht. Alma Mahler/Falke. Douce nuit d’été.
Sehr schnell und leicht Alexander Zemlinski Très vite et léger.
Kennst-du meine Nächste ? Alma Mahler/L. Greiner. Connais-tu mes nuits ?
Liebe. Alexander Zemlinski. Fantaisie d’après le poème Amour de R. Dehmel.
Mit Wärme Alexander Zemlinski Ländliche Tänze opus 1 n°1 Avec fougue.
Hymne an die Nacht. Alma Mahler/Novalis. Hymne à la nuit.
Der Erkennende. Alma Mahler/F. Werfel. Celui qui sait.
*Ländliche Tänze : Danses champêtres
Les lieder d’Alma Schindler-Mahler ont été composés entre 1888 et 1901. Parmi les 16 lieder retrouvés d’Alma Mahler, 5 ont été publiés en 1910 chez Universal Music avec une couverture d’Oskar Koksochka, 4 en 1915 chez Universal Music, 3 en 1924 chez Josef Weinberger Vienne, les autres d’après manuscrits plus tardivement dont 2 en 2000 chez Hildegard Publishing Company.
Émission N° 652 de Benito Pelegrín, 19/01/2023