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l’Analphabète d’Agota Kristof

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En ce premier week-end de février, quel ne fut pas mon plaisir de retrouver le chemin du théâtre en allant voir un seul en scène, l’Analphabète d’Agota Kristof, porté par une comédienne du Français, Catherine Salviat, généreuse, sincère et humble, dans un petit théâtre cher à mon cœur, le Divaldo, dirigé par Bernard Fabrizio, situé dans le 5ème arrondissement de Marseille.

Grande comédienne pour petit théâtre dans un seul en scène surprenant

J’aime le théâtre où la mise en scène fait la part belle au jeu du comédien. Hormis quelques jeux de lumières succincts, jouant sur le clair-obscur et ponctuant de quelques noirs le seul en scène afin d’apporter de justes ruptures, l’analphabète est un spectacle minimaliste. Sans fioritures inutiles pour mieux en savourer le texte et l’interprétation.

La comédienne, vêtue d’un tailleur en coton cramoisi, se tient debout, devant la salle, sur une scène entièrement nue. Point de chaise ni de table, ici. Pendant une heure, avec passion et sans pathos, elle nous offre à entendre un texte émouvant et beau, poignant qui raconte l’histoire d’Agota Kristof, hongroise lettrée et amoureuse des livres qui dut s’exiler en 1956 en terre suisse pour des raisons politiques, laissant toute sa famille derrière elle, le communisme et Staline ayant détruit la vie de ses parents, également la culture de son pays.

Réfugiée à 21 ans, elle ira travailler à l’usine pour gagner son pain et élever sa fille. Cette dernière à l’âge de 6 ans maitrise déjà la lecture et l’écriture en français alors qu’elle, elle est totalement analphabète dans cette langue qu’elle ne reconnait pas. Un comble pour cette femme de lettres dont le goût pour l’écriture l’a amené à écrire de nombreux poèmes de jeunesse. Elle ira prendre des cours de FLE comme on dirait aujourd’hui et quel bonheur pour elle que de pouvoir lire les auteurs classiques de Sade à Sartre en passant par Ponge ou encore Hugo.

Elle écrira en français des pièces de théâtre jouées par des amateurs, des pièces radiophoniques interprétées par des professionnels puis sera publiée par le Seuil pour son roman. Un texte puissant sur les difficultés qu’un étranger déraciné ne connaissant pas la langue de son pays d’accueil rencontre au quotidien. Des anecdotes dans lesquelles tout primo arrivant peut se reconnaître. La langue maternelle chassée par cette langue d’adoption non désirée, le recours systématique au dictionnaire pour être sûr de la justesse de son écrit, également les difficultés de prononciation, les liaisons si chères à la langue française qu’on oublie de faire.

Une jolie leçon de théâtre

Et là réside la justesse du spectacle : sans forcer ni caricaturer, la comédienne se glisse dans la peau d’une étrangère, à l’accent hongrois léger, devant articuler soigneusement les mots afin de se faire comprendre des habitants du pays, en oubliant les liaisons. Car la langue française est épineuse, elle ne se laisse pas domestiquer si aisément. Interpréter une étrangère sans tomber dans le stéréotype ou le cliché relève d’une prouesse d’autant plus que le texte ne lui laisse aucun répit mais la comédienne se joue des trous et des pièges d’un texte à l’apparente simplicité avec aisance et malice.

Dans une mise en scène sobre, Catherine Salviat offre ici une belle performance de comédienne, toute en finesse et délicatesse, en nuances, tant dans l’incarnation de cette femme dure que la vie n’a pas épargnée, que lorsqu’elle raconte son enfance et les plaisanteries douteuses qu’elle faisait à son petit frère avec la complicité du grand. Elle se métamorphose tantôt en femme d’âge mûr revêche, en petite fille roublarde et joyeuse, ou encore en jeune femme solitaire perdue dans ses livres, passionnée par les mots… Ses mains et son visage changent à chaque évocation tantôt drôle, tantôt cruelle d’un souvenir, joyeux ou triste, nostalgique ou porteur d’espoir. Le plaisir du jeu de la comédienne est palpable tant elle vit ce récit offert en partage avec le public.

J’avoue avoir été séduite par ce seul en scène tant la mise en scène avec ses déplacements réduits à l’essentiel et le jeu d’actrice à la justesse implacable concourent à montrer que le théâtre, ce n’est pas une jolie scénographie accompagnée d’un travail sonore et vidéo complexes, souvent invasifs, mais qu’avant tout, il repose sur l’artiste, le comédien ou la comédienne qui incarne le personnage, et qui se met à nu face au spectateur interpellé, sans artifice quelconque, si ce n’est son talent. Et quand c’est réussi, on ne peut que dire bravo. Diane Vandermolina

Pour celles et ceux qui ne l’ont pas vu, il sera repris à Avignon pendant le off cet été. A suivre!

Crédit photo Marion Duhamel

Rmt News Int • 6 février 2023


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