XXIe FESTIVAL MARS EN BAROQUE (4/31 mars 2023)
Vingt et un ans déjà que notre festival local et international, on a du mal a le croire. Fondé par nos amis Jean-Marc Aymes, habitant Marseille, professeur de clavecin au Conservatoire de Lyon, et la soprano Argentine María-Cristina Kiehr, sur les ailes de leur ensemble baroque Concerto soave, doux concert en effet, ce festival de musique baroque s’est forgé une réputation internationale. À part l’éclipse de la pandémie, qui le déplaça de mars en juin, c’est donc avec le renouveau de la belle saison, que nous arrive chaque année sa nouvelle floraison musicale, lyrique, chorégraphique, etc. Enrichi d’expositions, de conférences, de master classes, le plus simple est d’en retrouver les information complètes, la riche programmation dans les lieux les plus divers de la ville, la billetterie, sur le site, très bien fait et facile d’accès :
Je me contenterai, en spécialiste du Baroque, « Par ma voix… », la mienne donc sur les ondes et cette transcription écrite, d’en commenter et présenter la thématique qui, cette année, est justement « Par ma voix… », avec des points de suspension qui suspendent le pan sans doute le plus caractéristique de la musique baroque qui s’inaugure, justement encore par la révolution de l’art vocal dont nous sommes encore les héritiers.
Nous sommes à la frontière des XVIe et XVIIe siècles. Musicalement, c’est l’apogée de la polyphonie, le chant à plusieurs voix. Cette efflorescence de lignes de plus en plus virtuoses qui s’entrecroisent est un peu à la musique ce que la croisée d’ogives démultipliée est à l’architecture gothique flamboyante qui vit aussi son fastueux crépuscule. Cette pure virtuosité vocale, surtout en musique religieuse, ne manquait pas d’être critiquée, et depuis longtemps. Une bulle du pape Jean XXII la condamne en 1322 :
« Certains disciples d’une nouvelle école, mettant toute leur attention à mesurer les temps, s’appliquent par des notes nouvelles à exprimer des airs qui ne sont qu’à eux. Ils coupent les mélodies, les efféminent par le déchant [c’est les ornements, les broderies vocales par des diminutions de notes longues décomposées], les fourrent quelquefois de triples et de motets vulgaires, en sorte qu’ils vont souvent jusqu’à dédaigner les principes fondamentaux de l’Antiphonaire et du Graduel [les recueils fondamentaux des antiennes et de tous les chants de l’office], ignorant le fonds même sur lequel ils bâtissent, ne discernant pas les tons, les confondant même, faute de les connaître. Ils courent et ne font jamais de repos, enivrent les oreilles, et ne guérissent point les âmes. »
On croirait déjà entendre Rousseau au XVIIIe siècle condamnant la célérité, la virtuosité gratuite de la musique « baroque », au sens négatif qu’il lui inflige.
En ce XVIe siècle, l’Europe chrétienne, s’est déchirée entre catholiques et les protestants de la Réforme. Luthérienne. Le Concile de Trente (1545-1563) voulu par Charles Quint, qui n’en verra pas la fin, faute de pouvoir réconcilier les frères ennemis de son empire, lance la contre-offensive contre le protestantisme et devient la Contre-Réforme catholique. C’est un puissant mouvement qui renouvelle et régente minutieusement la vie religieuse du chrétien, du baptême à la mort en passant par le mariage qui est strictement codifié, qui est celui, règle par droit canon encore aujourd’hui le mariage catholique. La vie culturelle, les arts sont également réglementés, de l’architecture des nouvelles églises à la peinture nouvelle et confirme que le culte des images sacrées est licite. L’Europe catholique qui les accepte assimile lentement les décrets impérieux du Concile qui vont régenter pointilleusement la vie du chrétien et son entourage.
Pour ce qui est de la musique, le Concile dénonce les excès de la polyphonie de la musique religieuse de la Renaissance, qui, tout à la « délectation de l’ouïe », en oublie le sens religieux de paroles devenues incompréhensibles à force d’entrecroisement de lignes vocales savantes et d’entrées décalées des voix sur le même texte de la sorte brouillé.
Sinon tirée du registre religieux (mais une même musique pouvait servir un texte pour l’intérieur de l’église et un autre, pour l’extérieur) voici un bel exemple, une chanson d’amour profane, polyphonique, composée par Maddalena Casulana (c.1544 – c.1590), une compositrice pratiquement inconnue aujourd’hui, que le Festival fera renaître :Morir non puo il mio cuore, ‘Mon cœur ne peut mourir’ :
https://www.youtube.com/watch?v=pMTEXI1rdH8
Ce type de chant polyphonique sera appelé la Prima prattica, le premier style, le style ancien. La musique religieuse, pour des raisons éthiques exige donc une simplification, que l’on confie à Palestrina. La musique profane, pour des raisons esthétiques, suivra aussi ce chemin :
Or, à Florence, en cette fin de XVIe siècle qui rêve et instaure un siècle et un art nouveaux, dans la Camerata de’ Bardi’, le salon du Comte Bardi, un groupe d’artistes et d’érudits, de savants, (dont le père de Galilée, musicien), cherchent à recréer la tragédie antique dont on savait qu’elle avait des parties chantées sans qu’on sache comment. Au théâtre, évidemment, la compréhension du texte est essentielle : la musica rappresentativa, la musique scénique, pour le théâtre exige un retour à la monodie, au chant d’une seule voix avec des paroles compréhensibles. Et un accompagnement simplifié pour qu’on en puisse suivre aisément l’action, ce sera la basse continue. C’est ce qu’on appellera la Seconda prattica, la seconde pratique, le style nouveau, dont voici un exemple, le luth accompagnant discrètement, rivalisant avec la voix par des diminutions des valeurs longues, cet air de la vénitienne Barbara Strozzi, mise aussi à l’honneur par le festival, chanté ici par Raquel Andueza ; L’amante segreto, ‘l’amant secret’ de la tradition troubadouresque :
https://www.youtube.com/watch?v=cvDfCy6Wk7E 1’54’’
La musique, ne noyant plus le texte, devient serve de la parole : prima la parola, dopo la musica, ‘d’abord la parole, ensuite la musique’ : c’est le « recitar cantando », « favellare in armonia », ‘réciter, jouer en chantant’, ‘parler en musique’, la longue ondulation d’une parole dont la musique suit les accents, les articulations, les « affetti », les sentiments exprimés.
Ce qu’on n’appelle pas encore « opéra » (‘œuvre’ en italien) naît donc des recherches à Florence de ces artistes érudits avec Peri, Cesti et autres, puis Monteverdi, dont l’Orfeo (1607), sa ‘fable en musique’ semble l’aboutissement le plus accompli qui ouvre grand la porte du théâtre lyrique, le futur opéra.
Pour l’heure, ce sont de fastueux spectacles inspirés de la mythologie antique qui permettait des effets de merveilleux. Ainsi, dès 1608, la Dafne de Marco da Gagliano, la nymphe harcelée par le dieu Apollon et qui, pour échapper au divin prédateur, se métamorphose en laurier contre lequel même un dieu libidineux se casse le nez, et s’en mord les doigts. Pas grave : le dieu Soleil ira se consoler avec con chouchou Jacinthe. Pas grave ? Dramatique puisque le bel Apollon, jouant au discobole avec son beau favori, lui tranche malencontreusement la gorge avec son disque solaire trop aiguisé. Du sang de l’amant mort, ce dieu décidément végétal et floral, fera naître la fleur appelé Jacinthe en l’honneur du bel amoureux sacrifié. C’étaient les métamorphoses traduites scéniquement et musicalement qui faisaient frémir et se pâmer les spectateurs privilégiés de ces merveilleux opéras baroques.
Mais ce n’est pas cette première version de Galiano que donnera notre festival. C’est celle plus tardive d’un siècle, d’Antonio Caldara (1670-1736), grand musicien italien installé à Vienne, que nous entendrons à la Criée le 21 mars à 20h. Nous aurons le plaisir d’y retrouver notre amie María Cristina Kiehr, la soprano argentine, fondatrice avec Jean-Marc Aymes de ce festival, que nous coutons ici dans un air contemporain d’Alesandro Scarlatti, Bella madre de’ fiori à partir de 7’16’’ pour l’ai ravissant de la tourterelle :
Dans la même Criée, nous aurons de la danse d’une de ses compatriotes établie en Belgique, Agostina D’Alessandro.
Sortant de la mythologie, le Baroque met en scène des personnages romanesques des romans de chevalerie, dont des magiciennes. C’est à elles que la mezzo Lucile Richardot consacrera tout un programme que l’on prévoit envoûtant à écouter sa voix, ici en rien maléfique, puisqu’il s’agit du Psaume de Vivaldi Nisi Domiuns , « Cum dederit… », accompagnée par le Collegium 1704 – Vaclav Luks
Nisi Dominus (Vivaldi) par lequel nous nous quittons :
https://www.youtube.com/watch?v=Etcoz289X0
Benito Pelegrín
XXIe FESTIVAL MARS EN BAROQUE
Du 4 au 31 mars 2023
Billetterie et information complètes
Emission N°660 de Benito Pelegrín, 16/02/2023 sur RCF
En une, Concert Membra Jesu Nostri / Dietrich Buxtehude 14 mars 2023 Ens. Correspondances
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