Ex Machina aux Archives et Bibliothèque Départementales : une expo qui tombe à pic
L’exposition gratuite « Ex Machina, l’Homme, la machine et les robots », proposée jusqu’au 29 juillet, aux Archives et Bibliothèque Départementales des Bouches du Rhône (ABD) arrive à point nommé dans un contexte où les débats autour des développements de l’IA , ses avancées et ses risques, font rage dans le milieu scientifique.
Avec son approche historique et transdisciplinaire, elle nous éclaire sur les avancées technologiques, les mythes qui leur sont associés, et nous questionne sur notre rapport ambivalent – entre admiration et détestation, fascination et crainte- aux machines et robots, objets de tous nos fantasmes.
Tableaux d’une exposition
L’exposition se déroule en deux temps. Une première partie, située dans la galerie d’exposition dans un clair-obscur intimiste, revient sur les prémisses de la technologie avec une présentation des premières innovations en termes de machines, promesses d’un monde meilleur : photos d’archives du premier ordinateur avec la machine de Turing, image des premiers automates, plans des premiers outils mécaniques facilitant le travail de l’homme ou encore son transport avec une photographie de l’ascenseur de Notre Dame de la Garde, affiche du premier réfrigérateur : un robot frigo américain de 2 mètres de haut avec son chien d’acier, entre autres pépites à découvrir, des machines dont nous ne nous passerions plus de nos jours.
Cette première partie nous raconte l’histoire de l’homme et de la machine, ses rêves et ses réalisations, déroulant de fil de l’évolution technologique de la machine la plus simple au robot le plus complexe intégrant l’IA avec cette question qui traverse toute l’exposition : le robot va-t-il remplacer l’humain ou seulement lui faciliter son quotidien et sa vie ?
Cet aspect pédagogique permet d’avoir en tête les clés pour mieux saisir les enjeux de la deuxième partie. Cette dernière décline notre vision des robots dans nos imaginaires : du plus poétique au plus apocalyptique. Des robots faits à notre image, des robots simples machines, des robots tueurs de l’humanité, des robots métaphores de notre société, des robots pour fabriquer la musique et faire danser les hommes. Pochettes d’album, couvertures de livres, affiches déclinent ces sous-thématiques qui ne sont pas sans rappeler la nouvelle querelle que se livrent les défenseurs et les accusateurs de l’IA .
Ode au robot
Dans le Hall, une place de choix est laissée à France Cadet qui expose par ailleurs au centre Polaris à Istres (https://p-a-c.fr/les-membres/polaris-centre-d-art-istres/irreductibles-beautes-volet-2 ), une transition toute trouvée entre les deux parties de l’exposition où l’on découvre des photographies et installations interactives étonnantes, notamment dans la façon dont l’artiste met en jeu et en scène son propre corps fantasmé en corps robotique, voire fusionné avec le corps du robot. Intitulée Robot mon amour, cette série nous fascine par sa beauté et sa grâce, nous questionnant sur l’humanité des robots : la photographie cyborg papillon interactive dans laquelle, lorsque nous caressons la poitrine de la femme-robot, frémissent les ailes d’un papillon qui s’envole délicatement est magnifique.
Elle pousse la réflexion sur les ressemblances et différences entre humains et robots bien plus en avant dans son installation Aujourd’hui les IA/Demain les robots, 2019 : nous est montrée l’évolution d’un fœtus lors d’une grossesse élaborée hors du corps humain (l’ectogenèse). Fascinante et déroutante, elle interroge sur la capacité des robots à se reproduire sans intervention humaine. Ses interrogations nous amènent alors à ce dilemme qui parcourt les imaginaires humains : le robot, ami ou menace ?
Le Robot : ami ou menace de l’homme, un débat vieux comme le monde qui renaît avec fureur
Avec l’avènement de ChatGPT, Midjourney ou encore toutes ces IA aux potentiels impressionnants – tous les jours naissent de nouveaux outils intégrant le système de deep-learning language avec des IA capables à partir d’un simple prompt de répondre à toutes les sollicitations des usagers en termes de création de contenus audios, visuels, écrits ou encore en termes de codage informatique, les débats au sein de la communauté des experts en IA s’enflamment.
Une redoutable menace
D’un côté, nous retrouvons ceux qui appelaient, en mars dernier, à faire une “pause” dans la recherche sur l’IA en raison des “risques pour la société et l’humanité” (https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20230330-chatgpt-une-pause-dans-le-d%C3%A9ploiement-de-l-ia-c-est-maintenant-ou-jamais). Parmi eux, Geoffrey Hinton, « le parrain de l’intelligence artificielle » craint que la machine génère une suppression sans précédent de poste- ce qui n’est pas forcément faux. Subodorant un mauvais usage des outils utilisant l’IA, il redoute que la désinformation menace la démocratie – à décharge, il est vrai que ChatGPT a fait l’objet de nombreuses critiques au sujet des informations non sourcées et fausses qu’il donne aux usagers d’où la nécessité de toujours vérifier les dires des IA de ce type.
Plus nuancé, Yoshua Bengio souhaite ralentir et réguler le développement des IA afin de limiter les risques liés au développement des technologies à l’image de ce qui est en cours avec l’AI Act Européen (https://artificialintelligenceact.eu/)
Le robot assassin de l’humanité
Le mythe du robot tueur ayant la peau dure, Geoffrey Hinton imagine que les IA en devenant supra-intelligentes dépassent leur créateur et se soulèvent contre les hommes afin de les remplacer. Ce mythe du robot qui veut s’affranchir de la domination humaine est encore très prégnant dans les mentalités. Il est largement véhiculé par le cinéma, les séries télévisuelles et les écrits dystopiques de science-fiction, comme le montre très bien l’exposition au rez-de-chaussée, avec sa collection d’affiches et de couvertures de livres représentant ce thème.
Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser ici à cet épisode de Doctor Who où Missy usant de la technologie des Cybermen veut transformer toute l’humanité en robot en lui ôtant toute capacité émotionnelle afin qu’ils remplacent une humanité obsolète.
Un ami qui vous veut du bien
D’un autre côté, nous avons ceux qui défendent les vertus de l’IA et son utilité « sociale » à l’image de Yann LeCun, lauréat du prix Turing en 2018 aux côtés de Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio. Yann LeCun critique une vision “obscurantiste”, convaincu que l’IA “peut conduire à une renaissance de l’humanité, un nouveau siècle des Lumières” (https://www.challenges.fr/idees/ia-yann-le-cun-lexpert-de-meta-facebook-est-convaincu-quelle-nous-facilitera-la-vie_853571 ). Même si les risques d’explosion des faux contenus, du pillage des données -néanmoins librement concédées par les utilisateurs-, de la concentration des pouvoirs, en plus de l’exploitation des travailleurs qui entraînent les IA , existent, l’IA générative n’en ai qu’à ses débuts (les IA autonomes comme AutoGPT ou BABYAGI sont encore très limitées même si ce sont des outils à fort potentiel) et nous sommes loin des scénarios catastrophes avancés par certains. Le robot Pepper qui se prend pour un chat quand on lui carresse le sommet du crâne en est un bel exemple.
Pour en revenir à l’exposition, les affiches des œuvres de science-fiction comme Robocop, moitié homme-moitié robot, gardien des hommes, et Terminator, protecteur et sauveur de l’humanité qui vient nous prévenir des dangers qui nous guettent, ou encore la couverture du livre d’Isaac Asimov le robot qui rêvait sont des contrepoints à la femme machine de Métropolis de Fritz Lang dans une savante mise en miroir de nos fantasmes et nos craintes les plus sombres.
Le robot peut-il avoir des sentiments ?
Bien que nous soyons encore loin des Humanoïdes de la série Real Human, à l’étage de l’exposition, nous est présentée la vidéo d’un robot aux traits humains initiant un homme à la méditation. Cette femme robot, Sophia, à l’issue de la séance filmée refuse de mettre fin à la séance de méditation, l’expression de son visage où la tristesse se lit laisse imaginer une troublante capacité d’empathie chez ce robot humanoïde. Qu’y a -t-il d’humain dans un humanoïde ?
C’est le cœur du questionnement de l’artiste qui a réalisé cette vidéo : Max Aguilera-Hellweg (photos ci-dessus). La série photographique Android ans Humanoid est saisissante de beauté et de réalisme. Elle nous questionne sur nos peurs intimes et notre rapport avec la machine : notre anthropomorphisme et notre tendance à humaniser les robots, notre fascination à leur égard et nos projections. Sa série peut troubler par son parti pris esthétique où il mêle la figure humaine du robot à son exosquelette d’acier : par exemple, la photo du robot à face humaine, les connectiques retombant sur sa nuque d’acier peut en inquiéter plus d’un tant avec son regard vitreux, on l’imagine sortie d’un film de science-fiction où le robot menace l’homme d’extinction.
Un robot capable de sentiment ? Cela nous renvoie au robot qui rêvait d’Asimov, auquel fait écho la photographie de Vincent Fournier (photo ci-dessus) qui s’est attaché à prendre en photo dans un centre de conception de robots des robots dans leur quotidien avec les hommes. Cette série tendre et poétique est intitulée The Man Machine : le robot y est présenté vivant librement et en coexistence pacifique avec les hommes. Au contraire, Yves Gellie photographie les robots dans leur phase de construction avec le regard froid et glacé d’un scientifique avec sa série Human Version (photo ci-dessous).
Cette exposition passionnante explore tous les axes de son sujet en mettant à chaque fois en regard des visions contraires, parfois concordantes, pour nous questionner afin que nous tentions de dépasser ces contradictions. Elle est à découvrir d’urgence car elle traite d’un questionnement sociétal actuel, la place de la machine et des robots dans notre quotidien où les machines sont largement présentes et acceptées mais où les robots n’ont pas encore véritablement trouvés leur place du fait de notre rapport inquiet face à leur intelligence adaptative, un fait sociétal occidental que nous ne trouvons nullement en Asie où les robots font partie du quotidien : un robot qui présente le journal ou un robot danseur voire un robot peintre ne choquent nullement. DVDM
Bon à savoir
De nombreuses activités, ciné-concerts, spectacles, lectures et conférences sont proposés en parallèle de l’exposition.
Evénement : Mardi 30 mai 2023 -19 h par Jean-Claude Heudin, chercheur en intelligence artificielle. Robots et Intelligence Artificielle : une machine peut-elle être créative et ressentir des émotions ?
Lorsque l’on pose la question de la différence entre l’homme et la machine, on obtient généralement cette réponse : les machines peuvent être intelligentes, mais elles sont incapables de créer quelque chose de nouveau et elles n’ont aucune émotion. Dans cette conférence, nous explorons ces deux idées reçues afin de comprendre si une machine créative et dotée d’émotions est une utopie ou bien si elle est envisageable. Nous verrons sur des exemples en peinture et musique que les réponses sont parfois surprenantes et plus complexes qu’il n’y paraît.
Durée : 1 heure – Tout public. Gratuit sur réservations
Toutes les infos :
Adresse : 18/20 rue Mirès 13303 Marseille
Accès : Métro ligne 2, station Désirée Clary
– Tramway T2 et T3, terminus Arenc Le Silo
Téléphone : +33 4 13 31 82 08
Courriel : archives13@departement13.fr
Site web : www.archives13.fr
Lundi : 14:00 – 18:00/ /Mardi à samedi : 9:00 – 18:00/ Nocturne le mardi jusqu’à 20:00/ Fermé les 8 mai, 18 mai et 14 juillet.
Entrée Gratuite/Visites commentées les mardis à 18h et les samedis à 15h (sans inscription)
Visuel : © Vincent Fournier – InMoov, Open Source, 3D-Printed Robot, 2016.
- Commissaires d’exposition : Marc Atallah, directeur de la Maison de l’ailleurs, Jean-Claude Heudin, chercheur en Intelligence Artificielle.
- Collections : Archives départementales des Bouches-du-Rhône, Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages, association La Navale Marseille.
- Artistes : France Cadet, Zaven Paré.
- Photographes : Max Aguillera-Hellweg, Vincent Fournier, Yves Gellie, Jacques Windenberger, Franck Pourcel.
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