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Le chanteur de Mexico, un patrimoine culturel populaire

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Le Chanteur de Mexico, opérette en 2 actes et 20 tableaux, musique de Francis Lopez, livret de Félix Gandéra et Raymond Vincy, paroles de Raymond Vincy et Henri Wernert, créée au théâtre du Châtelet, 1951

          Dans mon émission de présentation, je ne prenais pas beaucoup de risques en saluant d’avance le succès de cette nouvelle production de la fameuse opérette : le triomphe a été au rendez-vous de cette équipe rôdée au genre, justement applaudie, et affinée par le talent complice de Carole Clin qui connaît autant le plateau comme actrice et chanteuse que ses coulisses en meneuse de jeu et de scène. Alors, je ne peux que me répéter puisque, malgré sa répétition, depuis sa création, cette opérette rose ne semble pas user le bonheur qu’elle nous procure toujours en ces moroses temps que nous vivons.

          Avec ses soixante-douze ans d’âge, cette opérette n’a pas pris une ride, même si son public et nous en avons pris plus d’une, à juger par celui qui occupait la vaste salle de l’Odéon, comble. Mais le comble, c’est l’air de jeunesse qu’insufflaient ces airs à ce vibrant auditoire rajeuni par le souvenir, les chantonnant avec les chanteurs. Mais, une poignée joyeuse d’enfants, émerveillés, découvrant pour la première fois ce théâtre lyrique, applaudissant à tout rompre, reprenant en chœur, avec cœur, des airs qu’ils ne connaissaient pas en entrant, et ressortant en fredonnant, assuraient que la relève sera là, et que cette musique, se gravant dans l’oreille avec bonheur, avec sa facilité mélodique assure elle-même sa survie.

          Je ne reprends pas ce que, dans un précédent article, j’avais dit de ma surprise, voyant l’œuvre pour la première fois, de découvrir qu’au fond de moi je connaissais des airs que je croyais inconnus. Cette fois-ci, ce n’était plus la surprise, mais l’émotion de les retrouver intacts dans leur beauté ingénue, si joliment interprétés par ces chanteurs comédiens et d’entendre le public les anticiper ou les accompagner doucement, en reprenant plus fort, à l’invitation de l’interprète le célébrissime « Mexico, Mexiiiiico… » et son fausset d’anthologie, auquel personne en France n’a échappé, faux air mexicain composé par un Français espagnol, ancré paradoxalement, depuis l’origine dans le folklore national de la France. L’opérette aussi aide à abattre la prétention dangereuse des frontières humaines.

          Je peux répéter donc que cet ouvrage, ses jolies chansons qui restent dans l’oreille dès la première fois et qu’on garde pour toujours même entendues par mégarde, par imprégnation sonore extérieure, et que tant de gens se précipitent pour réentendre, font partie d’un patrimoine culturel populaire très puissant qu’on aurait tort de mépriser et qu’on a raison d’exhumer dans ce rare temple de l’opérette qu’est l’Odéon, qu’il faut absolument préserver car il a un rôle social évident à voir ce public heureux d’anciens qui viennent y retrouver part de leur jeunesse.

Réalisation et interprétation

          Pour vanter la vertu tonique de ce tequila musical (le terme est masculin en espagnol), je vais encore me répéter en disant que cela devrait être remboursé par la Sécu, formule que j’avais employée pour la mise en scène du Médecin malgré lui de Molière par Andonis Vouyoucas il y a des années, qui a longtemps figuré même dans les affiches du Festival d’Avignon.

          Si l’Odéon est souvent le règne attendrissant du carton-pâte, c’est la carte, postale, et des affiches (Moulin de la galette) qui est cette fois la marque de Carole Clin, projetées sur un fond nu ou sur des panneaux coulissant souplement comme des écrans. Certes, on retrouve Maïtechu, la maisonnette basque donnant lieu à une jolie romance en paradoxal fox-trot, et la pyramide aux sculptures aztèques. Escamoté la sorte d’escabeau des marches d’escalier de la scène, cet espace libéré lui permet de faire évoluer avec aisance ses troupes nombreuses de personnages souvent intégrés aux chorégraphies des toujours remarquables danseurs réglés minutieusement par Felipe Calvarro.

          Lui-même paie de sa personne en chantant d’une voix à la juste couleur, s’accompagnant à la guitare, un air célèbre mexicain, Allá, en el rancho grande, allá dónde vivía…, immortalisé par Jorge Negrete, dans un solo accompagné d’un jeu de « bolas », ‘jeu de boules‘ qu’on attendrait virilement au masculin par quelque gaucho ou ranchero, mais paradoxalement dansé par la sculpturale Sabrina Llanos gainée de cuir, maîtresse femme, Maîtresse au fouet, au lasso à boules, le faisant impérieusement claquer sur le sol au rythme implacable et impeccable de son zapateado magistral : la chanson exaltant la douce et docile « rancherita », cousant amoureusement des pantalons en laine et cuir pour son mâle dominant, est plaisamment contredite par ce jeu à la corde, guère de petite fille, dominé par la Femme impérialement dominante. Même détournées hispaniquement par ce maître chorégraphe, toutes les danses (on croit à un zorzico basque au début et c’est une jota) sont expressives, égales en veine à la verve des chansons, l’intemporel Rossignol, rossignol de mes amours se parant de légers ornements, appoggiatures, grupetti espagnols, même le boléro Acapulco.

 

          Des premiers aux derniers interprètes (sans lesquels l’ensemble n’existerait pas) tous sont à citer, Michel Delfaud, le Miguelito, agent double de Jean-Luc Épitalon, doublé du trouble Jean Goltier, Antoine Bonelli, bonasse Bidacche et dansant Pierrot avec sa guère colombe Colombine, Simone Burles que l’on a vue en Madame Bornin et, comme naguère, je répète, elle campe, à faire décamper les mâles, une chef guérillera vautour et vorace amoureuse, tonitruante tornade Tornada à la tête d’une redoutable escouade de guerrières farouches : le frisson d’un féminisme de combat, impitoyable au macho dans le pays qui, pour les Espagnols, pourtant inventeurs du terme, incarne le machisme, le Mexique. Le Bilou, d’un bien chantant Fabrice Todaro, guère heureux en amours, ne s’en estime pas malheureux quand l’ogresse affamée jette son dévolu sur lui, mâle sacrificiel résigné à ne pas prendre un bien pour un mal, au pays aztèque du sacrifice humain.

          Le livret, guère ivre de livres d’histoire, fait un croquemitaine de Zapata, le généreux chantre révolutionnaire des péones du peuple indien auxquels il voulait restituer les terres spoliées par les grands propriétaires terriens, alors qu’il était un homme plutôt cultivé, cultivant en dandy son image en costume typique luxueux de charro. Voix mâle, riche et puissante de baryton, avec franchise, Gilen Goicoechea, au nom basque, le rend à sa noblesse réelle, à sa grandeur historique de révolutionnaire idéaliste qui paya de sa vie son rêve généreux de justice sociale.

          Avec son élégance habituelle, redoublée d’une mise de yachtman british, blasé en blazer bleu sur pantalons blancs, voix feutrée sous le feutre, Claude Deschamps est Cartoni l’imprésario qui sait cartonner face à l’imprévu, la défection de sa vedette masculine.

          Que dire que je n’aie déjà dit de Laurence Janot ? Tout, allure et figure, en elle, est théâtre, danse et chant, voluptueuse voix de miel, avec une stupéfiante justesse. Je l’ai vue en gitane Marlène Dietrich et je la retrouve, toujours elle-même, mais en Veronica Lake, la mythique star de films noirs qui imposa à l’Amérique et au monde, cette abondante coiffure blonde coulant sur une épaule, l’autre mèche cachant un œil pervers, image reprise récemment en sosie par Kim Basinger dans L.A. Confidential. C’est « la femme fatale », d’ailleurs ainsi signalée, clin d’œil au spectateur, par Bilou qui craint pour son ami Vincent, par ailleurs latin lover de ciné qui ne risque pas grand-chose. Silhouette de rêve en robe rouge, gants longs et talons aiguille, aiguillonnant et aguichant le désir, de la racine des cheveux aux ongles, elle joue de tout son corps mobile et de sa voix agile dans le chant et ductile en voix parlée aux registres divers : Eva éternelle sans besoin d’Ave. Un peu plus rousse, et je l’imagine en Rita Hayworth dénudant lentement un gant comme un vrai strip-tease dans Gilda. Art suprême d’être autre en étant soi-même, avec la distance de l’humour.

 

          Puisque j’en suis aux références cinématographiques, aussi patrimoine populaire, en Cri-Cri, fine sauterelle, grande bringue parigote rigolote, gouailleuse et généreuse, la toujours effarante, décoiffante Julie Morgane, ébouriffante même sans les acrobaties dansantes dont elle sait nous éblouir tout en chantant et jouant, a quelque chose d’une Arletty avec, sous l’apparente simplicité, l’art de la phrase, de la réplique justement placée, lancée, murmurée ou criée avec des ruptures de tons hilarantes ou touchantes. Et l’on admire son art subtil de « diseuse » donnant à son « air « Ça’m fait quelque chose… » une palette sensible de nuances variées.

          Avec son nom basque, le ténor Juan Carlos Echeverry, semble prédestiné au rôle du Basque Vincent Etchebar, Colombien devenu, par la grâce de l’opérette et de son talent, un Mexicain le temps de sa fameuse chanson. Gueule d’ange, physique évident de latin lover plus aimant que violent : pas de geste machiste impérieux de féminicide en lui. Voix chaude, cuivrée, souple, ronde, égale, un zeste piquant d’accent hispanique, dans ce rôle, il se coule tout naturellement et roucoule joliment sa romance du rossignol dans le costume de Prince charmant de conte de fées hérité du film de Luis Mariano. Presque obligée, la longue tenue de souffle sur le fausset de « Mexiiiico… » tient la salle en haleine dans ce ludique rituel lyrique de joyeuses variétés. Il se démarque un moment de la danse collective totale pour ébaucher des petits pas individuels sans doute de cumbia colombienne.

          Le Chœur Phocéen est parfaitement contrôlé par Rémy Litolff dans des effets de lointains et l’Orchestre de l’Odéon, sous la baguette pimpante du chef Bruno Membrey manifeste son contagieux plaisir de jouer, pour le nôtre, qu’on a du plaisir à souligner.

          Les costumes sont beaux, raffinés dans les harmonies, le blanc des Basques fait vibrer leurs ceintures et bérets rouges si bien assortis à la robe incendiaire d’Eva, d’un rouge qu’on dirait aujourd’hui « rouge Almodóvar » pour rester dans le registre cinématographique. On note en souriant que certaines jupes de femmes et leurs petits chapeaux sont plus andins que mexicains dans une ambiance d’Amérique latine syncrétique. Mais pour chapeau, celui final projeté, immense vrai sombrero, nous le voulons pour saluer en proportion ce spectacle heureux. Benito Pelegrin

Théâtre de l’Odéon, 
14 et 15 mai 2023

Le Chanteur de Mexico

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale : Bruno MEMBREY
Mise en scène Carole CLIN
Chorégraphie : Felipe CALVARRO
Costumes, Opéra de Marseille. Décors, théâtre de l’Odéon.

Cri-Cri : Julie MORGANE
Eva : Laurence JANOT
Tornada / Madame Bornin :  Simone BURLES

Vincent Etchebar : Juan Carlos ECHEVERRY
Bilou : Fabrice TODARO
Cartoni : Claude DESCHAMPS
Zapata : Gilen GOICOECHEA
Miguelito : Jean-Luc ÉPITALON
Bidache : Antoine BONELLI
Le Marchand de journaux / Atch : Michel DELFAUD
Pablo / Aguiro : Jean GOLTIER

Chœur Phocéen (Rémy Litolff)
Orchestre de l’Odéon

Photos (© Christian Dresse)

Lien du précédent article sur la production de 2017 :

MEXICO, MEXiiCO PAR LES YEUX D’UN ENFANT

Rmt News Int • 21 mai 2023


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