PARIS VARSOVIE: LE CABARET MUSICAL (Avignon off 2023)
Ewunia a deux amours: Varsovie et Paris. Jubilatoire!
Dans la jolie salle, intimiste, de l’Atypik, en plein cœur d’Avignon, l’artiste franco-polonaise, Ewunia Adamusinska-Vouland, nous emmène dans un féerique voyage, entre la Vistule et la Seine. Des passerelles humaines, artistiques vibrantes entre les deux pays. Paris-Varsovie : le cabaret musical est le prolongement de son premier spectacle Les Amants de Varsovie. (Warszawscy Kochankowie).
Quand on pense à la Pologne et à la France, le nom de Frédéric Chopin, le grand pianiste romantique, s’impose, évidemment. Né sur le territoire du Duché de Varsovie en 1810, Frédéric François Chopin (Fryderyk Franciszek Chopin), de père français (Nicolas Chopin) et de mère polonaise (Tekla Justyna Krzyżanowska), arrive en France à 20 ans…Tout commence, tout recommence, mais l’identité polonaise restera toujours très forte.
Ewunia, toute de noir vêtue, nœud de papillon à la taille, s’impose dès sa première apparition, belle allure, fière, souriante, passionnée et tragique aussi.
Un piano droit joué par le plus polonais des pianistes français, Yves Dupuis, le merveilleux complice du premier spectacle.
Une valise, enfermant les souvenirs de voyages, souvenirs de famille, des instruments, accompagnera le récit. Ewunia est d’ici et d’ailleurs… L’âme slave est en route. Polonaise née à Paris, ayant grandi à Varsovie, l’historie est belle, elle en fera un spectacle, ce deuxième spectacle.
Elle aime cette double culture, elle en est fière et son chant est à l’image de cet amour: engagé.
Le choix des chansons est très pertinent; un répertoire riche de reprises et de compositions originales : Edith Piaf, Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Colette Renard, Joséphine Baker, Ordonka (la Mistinguett polonaise), Kalina Jędrusik (la Maryline Monroe du bord de la Vistule), Mieczysław Fogg (le Tino Rossi de Varsovie) ainsi que le duo Ewunia & Yves Dupuis dans de brillants arrangements.
Et la magie de l’alternance entre le français et le polonais, dans chacune des chansons, comme le fil conducteur de ce pont, de ces passerelles indestructibles.
L’amour te pardonnera tout (Miłość Ci Wszystko Wybaczy), texte Julian Tuwim, musique Henryk Wars, donne le ton, entre sensualité romantique, réalisme caustique et humour grinçant. Une mélodie ample et accompagnement très romantique au piano dans un tempo de valse soutenu. Rupture et passage à quatre temps swing de la même chanson en français avec une superbe cadence finale. C’est l’ouverture du spectacle.
Nous les polonais, en amour, soit on pardonne, soit on tue, refroidit Ewunia qui veut toujours nous surprendre, nous éveiller.
Yves Dupuis est excellent, technique parfaite, main droite très mobile et main gauche rythmique et très percutante; il semble danser sur son clavier, suivant le récit, se l’appropriant, le renvoyant à la chanteuse, dans un jeu magique de connivences très maîtrisées et d’allers-retours qui gardent un aspect de liberté et d’improvisation.
Ewunia parle de son prénom, diminutif d’Ewa (Eve), des nombreuses variations de ce diminutif, s’adresse au public, joue avec les prénoms des spectateurs.
Yves Dupuis n’est pas seulement un accompagnateur de chansons, il est le double d’Ewunia; remarquable pianiste dans tous les styles: Pop, Jazz, Classique avec l’inévitable Chopin, un saut au Brésil aussi dans une Bossa Nova endiablée. Il est le complice parfait jouant de cette âme slave qu’il s’est appropriée
Comédienne, chanteuse, auteure, traductrice, meneuse de revue au sein de l’emblématique TigerPalast à Francfort, où elle interprète un répertoire cabaret en allemand, anglais, français et polonais, Ewunia jongle dans ces univers si variés.
La voix est très belle, l’artiste dessine les traits de chaque thème avec précision et ondulations.
Les Eurydices qui dansent au Chat noir (Varsovie), nous emmènent au cabaret, à Varsovie; les deux artistes dansent littéralement. Yves Dupuis swingue sur son piano droit qui semble un Steinway.
Mais on change soudainement d’expression avec la magnifique complainte des matelots (Kochaj Mnie a Będę Twoją). Au bord de la Vistule, un bateau…Et ce soir les matelots font escale… La voilà, préparez vos dollars…Magnifique transition français, polonais, avec un départ suspendu, pianissimo qui nous transperce d’émotion.
Yves Dupuis égrène quelques notes comme la solitude nocturne de cette scène, comme s’il effleurait du clavier la peau de cette prostituée. Superbe!
Aime-moi et je s’rai tienne, embrasse-moi et serre plus fort!
Quelle est la boisson préférée des polonais lance au public Ewunia? Tout le monde pensant Vodka, personne n’ose énoncer une évidence. Espiègle, la chanteuse annonce: Ah, la boisson préférée des…polonais est, bien sûr, le…thé quand tout le monde attendait l’incontournable Vodka! Le thé est un amant secret, Herbatka: mon tout petit thé chéri adoré
Cet Herbatka petite merveille de chanson, a aussi mille diminutifs.
Accompagnement très jazzy, une strophe en anglais enchaînant, en un clin d’œil malicieux, le célébrissime Tea for two , le tube de Vincent Youmans, paroles d’Irving Caesar, dans leur Comédie musicale No, No, Nanette. Varsovie, Paris, Broadway, un voyage sans frontières…
Le sublime En chuchotant (Szeptem), texte J. Korczakowski, musique J. Abratowski, est chanté sur le souffle, comme une caresse, moment de grâce, sur un accompagnement planant en accords répétés, puis couleurs impressionnistes, de nombreux silences sur cette tragique histoire d’accident de voiture, si jeune. En chuchotant, on ne peut mentir…
La fin du spectacle est un tourbillon, entre humour piquant et florilège de chansons enjouées. L’âme slave, c’est ça, se plaisent à dire les deux complices, tout au long de la soirée, comme le Leitmotiv de leur parfaite harmonie. Moment de belle surprise: La dolce vita, c’est l’Italie, la France c’est…la joie de vivre! Ewunia entonne alors les chansons les plus belles mais les plus tristes, un medley torturé, poignant qui détonne avec la proposition initiale, ironie jouissive: Avec le temps (Ferré), Ne me quitte pas, Les Désespérés (Brel), Le Bal de Laze (Polnareff), Diego libre dans sa tête (Berger). Yves Dupuis: c’est ça la joie de vivre!
Après la référence à la grand-mère et cette petite robe à fleurs effleurées par le vent, après ce grand moment de nostalgie, c’est le feu d’artifice: Emportés par la foule, Venez, venez Milord (Piaf), Douce France, Que reste-il de nos amours (Trenet), C’est si bon (Henri Betti 1947), et, choix pertinent: J’ai deux amours, immortalisé par Joséphine Baker, en 1930: J’ai deux amours (Musique du marseillais Vincent Scotto, paroles Géo Koger/Henri Varna): J’ai deux amours, mon pays et Paris, par eux toujours, mon cœur est ravi/J’ai deux amours, VARSOVIE et PARIS, par eux toujours, mon cœur est ravi.
Un merveilleux voyage musical, spectacle enthousiasmant et de grande qualité, émouvant, poétique, littéraire, drôle et joyeux, et cette valise franco-polonaise, qu’il nous tarde de retrouver et d’ouvrir de nouveau pour prolonger cet album merveilleux, de souvenirs et de créations. Comme les tableaux d’un musée rêvé.
Yves Bergé
Crédit photos: Philippe Hanula
Atypik Théâtre, salle 1, 13h45, du 6 au 29 juillet (relâche les mercredis 12, 19, 26)
Tarifs : 19 € (plein), 13,50 € (OFF), 12 € (enfants)
Genre : spectacle musical de chansons pour voix et piano
Fil narratif en français, chansons en français, polonais et anglais
Durée : 1h10
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