Enfants perdus dans la nuit, le brouillard. Une pièce de Benito Pelegrín.
À la mémoire des enfants juifs raflés à Villelaure le 26 août 1942 et à Renée Dray-Bensoussan, Présidente d’Ares, Association pour la recherche et l’enseignement de la Shoah
NOTE
La rafle oubliée de la zone « libre » : 26 août 1942
Ironique respect de la Fête nationale de la Révolution française et des Droits de l’Homme : la rafle dite du Vel’ d’Hiv’ prévue les 13 et 14 juillet, débute le 16 à l’aube, à Paris, dans la zone occupée par les Allemands, mais organisée par la police française. Six semaines après, dans la zone sud, supposée libre, sous les ordres de René Bousquet, Secrétaire général de la Police de Vichy, la Gendarmerie procédait à de vastes « mesures de regroupement », pudique et hypocrite appellation camouflant le mot rafle, visant les « israélites apatrides », allemands, autrichiens, tchèques, polonais, estoniens, lithuaniens, etc., ayant fui les persécutions, déchus par les nazis de leur nationalité, et réfugiés dans une mythique France, qui les livre aux Allemands. Objectif : grouper, concentrer ; destination : concentration des camps pourvus de trains, terminus : « solution finale. »
Près de 10 000 juifs étrangers de la zone non occupée furent parqués dans des centres, offerts aux Allemands par les gendarmes français puis déportés vers les camps nazis. Ceux arrêtés dans la région de Marseille et le Vaucluse, après un internement au camp des Milles, près d’Aix, étaient transférés à Drancy puis acheminés, chemin de fer, vers les camps d’extermination d’Auschwitz en Pologne, littéralement chambrés : à gaz. On lira le rigoureux dossier dressé, avec une impeccable et implacable rigueur historique, par Michèle Bitton, les procès-verbaux de la préfecture pour cinq localités : Beaumont-de-Pertuis, Pertuis, La Tour-d’Aigues, Ansouis, Villelaure et Mérindol avec les noms des « ramassés »[1]
Contexte de mon texte
Un an après la mort en 2017 de Simone Veil, illustre rescapée des camps de la mort, à l’occasion d’une cérémonie, une plaque commémorative des victimes juives apposée le 18 juin 2007 dans l’école communale devenue aujourd’hui le Conservatoire de Musique de Pertuis, du Luberon et Val de Durance, était nettoyée. Le directeur, mon ami Frédéric Carenco, effaré, atterré, y découvrit, parmi les victimes, le nom de tout jeunes enfants. Avec entre autres, Bernard Grimonet, metteur en scène, il préparait un spectacle à destination des enfants de la région, dans l’antichambre de la déportation, devenue aujourd’hui le Mémorial des Milles, un opéra, L’Empereur d’Atlantis, de Victor Ullmann composé et créé comme il put, dans le camp et ghetto de Theresienstadt. Simplifiée en Terezin, cette soi-disant « colonie de retraités » pour les Juifs âgés et célèbres, se voulait la fallacieuse vitrine de l’industrie concentrationnaire et génocidaire nazie où l’activité culturelle ponctuelle camouflait la finalité permanente de la solution finale, en vue de leurrer la visite du pas très regardant, voire complaisant Comité international de la Croix-Rouge, qui eut lieu tardivement le 23 juin 1944.
On s’épargnera l’angoisse irrépressible de répéter à notre modeste échelle l’horreur de la Shoah, de l’Holocauste, systématiques massacres industriels inédits bureaucratiquement organisés, inhumain héritage du XXe siècle à l’Humanité, pour nous en tenir à ce minuscule et miraculeux témoignage que, par-delà son assassinat à Auschwitz, nous lègue comme un impérieux devoir de mémoire, un adolescent, encore un enfant, féru de poésie, de théâtre.
On a besoin d’un fantôme [2] d’Hanuš Hachenburg
Le cœur serré, imaginons, à Terezin, la « Maison N°1 », l’ancienne école, où se serreront une centaine de garçons tchèques de treize à quinze ans. Une quinzaine survivra. Un ancien professeur de littérature tchèque, Valtr Eisinger, qui mourra à Buchenwald, dirige et continue l’éducation de ces garçons. Parmi une chambrée de quarante, un groupe actif crée un journal artisanal clandestin, d’abord à la machine puis manuscrit faute de ruban encreur, Vedem[3] (« Nous menons » en tchèque) paraîtra de 1942 à 1944 sous la direction du jeune Petr Ginz assassiné à Auschwitz. Vedem comprenait des poèmes, des essais, des blagues, des dialogues, des critiques littéraires, des histoires et des dessins. Au total, 800 pages de Vedem seront sauvées par l’un des contributeurs rescapé du magazine. Les onze pages de 1943 sont une petite pièce Hanuš Hachenburg, qui avait publié dans la revue plus d’une vingtaine de poèmes. Le prometteur poète et auteur de quinze ans fut fatalement promu : promis à Auschwitz où il mourut.
La saynète, pour marionnettes, est une fable macabre : une sorte d’absurde Ubu Roi dément et despotique, Analphabète Ier, veut façonner un fantôme avec les ossements des vieillards en vue d’épouvanter et soumettre le peuple. Parallèlement, Analphabète Ier bombarde ses bourreaux de titres bouffis et bouffons, tel « Sur-commandant en chef supérieur de la sous-section ». On y entend le lamento de l’ambassadeur du Vatican déplorant la profanation de la « Basilique de la Vierge Marie Possédée », exaltant le reliquaire argenté de la Vierge Marie lavant les caleçons de Saint-Joseph. C’est grimaçant, grotesque et grinçant, et sous la satire par un gamin de ce dictateur fou, il est difficile de ne pas voir un avatar d’Hitler régnant sur des cadavres, et j’y vois aussi Franco élevant son ossuaire du Valle de los Caídos, raflant des ossements de Républicains assassinés pour gonfler son sinistre monument.
Traduit du tchèque, avec une préface de George Brady, camarade de déportation d’Hanuš Hachenburg, rescapé de Terezin, augmenté de poèmes du jeune auteur et de dessins de ses compagnons d’infortune, et de textes éclairants de Claire Audhuy et Baptiste Cogitore, la pièce fut publiée en 2015, aux éditions Rodéo d’âme, Strasbourg. Ce livre bouleversant de 160 pages y est disponible (www.rodeodame.fr claire.audhuy@gmail.com 06 65 55 75 30) ainsi qu’à la Fondationdeportation.files.wordpress.com. Par ailleurs, spécialiste universitaire des camps de concentration, dramaturge et metteur en scène, Claire Audhuy monta la pièce avec des lycéens et, vu sa brièveté, l’élargit postérieurement de son cru et en fit un spectacle salué.
En 2018, dans leur projet pédagogique d’enseigner la tolérance en dénonçant les horreurs nazies comme leur spectacle de l’Empereur d’Atlantis, Frédéric Carenco Directeur du Conservatoire de Musique de Pertuis, du Luberon et Val de Durance, qui découvrait les rafles oubliées de 42 et 44 dans le Vaucluse, et Bernard Grimonet, metteur en scène, connaissant ma production théâtrale, me proposèrent d’écrire une pièce qui donnerait du volume à celle, trop courte du petit martyr Hanuš Hachenburg afin de pouvoir la monter. Ayant l’expérience du camp de Rivesaltes dans mon enfance d’exilé clandestin de l’Espagne franquiste, que je n’aurai pas l’indécence de comparer même de loin à Terezin, je refusai la trop grande charge émotionnelle. Puis, m’étant procuré le texte d’Hanuš, bouleversé, et devant l’insistance de mes amis, je sentis comme un devoir d’accepter, non de toucher son texte mais d’en faire un à moi, en évoquant ces enfants du Vaucluse raflés par la police française en 1942 et parqués des Milles aux camps d’extermination.
Péché d’universitaire soucieux de recherche historique et de précision, j’eus le malheur d’aller consulter sur internet tous les nombreux documents qui s’y réfèrent et je vis des photos, des parents, des enfants, victimes d’un crime inexpiable : j’en tombai littéralement malade, mes cheveux si abondants, tombèrent par touffes, devenus pratiquement blancs. Tous volets fermés pendant cette première canicule, sans pouvoir retenir mes larmes, j’écrivis cette petite pièce que je n’ose même pas relire.
La pandémie, les confinements en ont retardé la réalisation ; à Aix, Frédérique Mazzieri faisait travailler à la MJC des enfants, qui grandissent —et comme on s’en réjouit ! Projet contrarié, retardé, mais non abandonné que je veux publier comme devoir de mémoire et mémoire émue de ces enfants que, sans les connaître, issus de l’Histoire et de la mienne, hantent ma vie désormais. Benito Pelegrín
Texte déposé à la SACD
À la mémoire des enfants juifs raflés à Villelaure le 26 août 1942 et à Renée Dray-Bensoussan, Présidente d’Ares, Association pour la recherche et l’enseignement de la Shoah
Enfants perdus dans la nuit, le brouillard
SCÈNE 1
Une pièce dont on doit sentir qu’elle a été fouillée, pillée, vidée, saccagée, un fauteuil, une chaise renversée ; au mur, un mauvais tableau de travers. Une suspension dont l’abat-jour a été sans doute heurté, déglingué.
Des enfants, une petite fille, embarrassée de deux poupées qu’elle passe d’une main à l’autre, les posant tout à tour dans un foulard où elle a étalé du linge ; deux petits garçons, l’un, avec un train, l’autre, un violon ; le troisième, plus grand, presque un adolescent, assis sur le sol, un livre sur ses genoux lui servant de pupitre, écrivant sur un carnet avec un crayon dont il examine de temps en temps la mine usée avec inquiétude : Hanousch. Tous portent l’étoile de David sur leur vêtement, sauf le Garçon 2 : elle est sur son manteau. Le baluchon du foulard, un sac à dos, une petite valise et une plus grande que chacun des enfants essaiera de remplir de vêtement en tas, de jouets.
Dans la scène 2, un Homme.
PETITE FILLE (cherchant à remplir et fermer son baluchon, hésitant entre deux poupées)
Mamèe[4], mamèe ! Je veux ma maman ! J’y arrive pas toute seule ! Ça rentrera pas dedans !
GARÇON 1
Arrête de pleurnicher ! Elle est pas là, ta mère ! Le Monsieur t’a dit que tu allais la retrouver.
GARÇON 2
Comme nous, la nôtre.
GARÇON 1
Ta maman, d’accord, elle te manque. Mais ton papa, tu ne le veux pas ?
PETITE FILLE
Oui, je le veux aussi mon papa ! Mais il est déjà parti, lui.
GARÇON 1
Comme le mien ! Et le sien aussi !
GARÇON 2
Parti où ?
PETITE FILLE
Je sais pas. Mamèe me l’a dit. Les Messieurs l’ont emmené.
GARÇON 1
Comme tous les grands, le Monsieur l’a dit : nos parents sont partis.
GARÇON 2
Partis où ?
GARÇON 1 (vrillant d’un doigt sa tempe, pour montrer à l’autre qu’il est fou)
Méchouga[5] ! Il faut te le dire combien de fois ! Tous les grands sont partis travailler !
GARÇON 2
Travailler où ? Mon père est musicien…
GARÇON 1
Tu parles d’un musicien ! Un simple klezmerim [6] dans ton pitchi poï [7] de village à la noix, allant de village en village avec son violon pour faire la quête !
GARÇON 2
Non, pas un simple klezmerim, un vrai klezmer ! Et pas simplement dans un pauvre shtèïtl. Avant, il était premier violon dans l’orchestre de l’opéra. Mais… (le garçon hésite) un jour, on lui a interdit de revenir. Il a fait le klezmer après, parce qu’il n’avait plus de travail, plus d’argent. Ensuite, il a joué même dans le ghetto de la ville quand on nous a enfermés, oui, on l’a laissé jouer quelquefois pour les autres. Et ma mère, elle chantait ! À l’Opéra aussi. Et pourquoi qu’ils les auraient amenés ?
GARÇON 1
Bon, un musicien, une chanteuse… Alors, c’est pour accompagner le travail des autres. C’est pour aider la nation ! Méchouga, tête folle ! Même la musique est utile. On travaille mieux. Il y a un meilleur rendement. Je l’ai entendu à la radio et mon père aussi me l’a dit avant de partir. Lui, c’est un peintre : des tableaux. Bon, on lui demande de peindre, des bâtiments. Et alors, c’est toujours de la peinture ! Nos parents ont simplement pris les devants.
PETITE FILLE
Ils ont pris quoi ?
GARÇON 1
Ils ont pris les devants. Ça signifie qu’ils sont partis devant, AVANT, avant nous.
PETITE FILLE
Et pourquoi avant nous ? Et où ?
HANOUSCH (il cesse d’écrire)
Ah ça, maïdelèe[8], ma petite, je crois que nous ne le saurons jamais. Je pense…
GARÇON 1
Je pense, je pense ! Toi, toujours en trains de griffonner je sais pas trop quoi. Et tu n’en dis pas long, à part, toujours, « je pense » !
HANOUSCH
Il n’est pas interdit de penser au moins. Je dis « je pense » mais je ne dis pas ce que je pense…
GARÇON 1
Ça vaut mieux ! Tu sais qu’on ne doit pas dire ce qu’on pense ! C’est interdit. Mais, entre nous, moi, je te dis, et je pense ce que je te dis, que tes parents à toi, on ne les a même pas emmenés pour travailler. Parce, des parents, tu n’en as pas.
GARÇON 2
Pas de parents ? Comment c’est possible ?
PETITE FILLE
Même pas une mamèe ?
HANOUSCH
Moi aussi, bien sûr, j’ai eu une maman. Mais c’est vrai, elle m’a mis à l’orphelinat. Cinq ans. Elle était seule. Elle a dû partir travailler, elle aussi. Comme on dit. Et quand on nous a réunis tous les deux, c’était pour nous prendre. Mais séparément. Donc, je suis toujours seul, à part quand on nous a mis un moment dans une école de garçons tous les trois.
PETITE FILLE
Et tu n’as pas d’amis ?
HANOUSCH
Oh, pour ça, oui ! Beaucoup d’amis : mes poèmes. Mon crayon et le papier.
GARÇON 1
Mazel tov [9]! Mazette! Pas de parents mais du crayon et du papier ! Tu pourras au moins les dessiner. Et leur envoyer une lettre. Mais où ? Les parents fantômes, partis sans laisser d’adresse.
GARÇON 2
Alors, exactement comme les nôtres…
PETITE FILLE
Tu me feras un dessin ?
HANOUSCH
Bien sûr, si tu veux maïdelèe, petite fille.
PETITE FILLE
Et un poème ?
HANOUSCH
Si ça te fait plaisir, je te le promets.
PETITE FILLE
Tu m’en récites un ?
HANOUSCH
Heu…D’accord, un bout de poème. Ça ira ?
PETITE FILLE
Oh oui !
HANOUSCH
Je ne sais pas tout par cœur. Je risque de me tromper, d’oublier …
GARÇON 2
Pas grave puisqu’on ne connaît pas ton poème. Allez, vas-y pour voir !
HANOUSCH
Jadis, j’étais un enfant… il y a deux ans de cela ;
Cette enfance aspirait à d’autres mondes.
Je ne suis plus un enfant : j’ai vu la pourpre,
A présent, je suis un adulte, j’ai appris à connaître la mort,
Ce mot sanglant et ce jour gâché.
Ce n’est plus simplement le croquemitaine. [10]
PETITE FILLE (arrêtant son geste d’applaudir)
Le croquemitaine, ça me fait peur…
GARÇON 2
J’ai pas tout compris, mais c’est pas drôle je crois, même triste… La mort…
GARÇON 1
On en est là ? Des dessins, des poèmes ? Mais l’heure tourne !
GARÇON 2
C’est vrai ! On n’a pas fini nos bagages ! On va être puni !
(Ils se remettent à tenter de faire leurs bagages respectifs, avec des regards vers la petite fille toujours aussi embarrassée de son choix)
GARÇON 1
Oui, maïdelèe, fifille, choisis enfin entre tes poupées, celle que tu emportes puisque tu n’as droit qu’à une seule et tu as de la chance. Moi, je ne pourrai pas emporter tout mon circuit du train et ça me met en rage. On me l’a offert pour la fête de Pourim[11], la dernière. Oui, la dernière.
GARÇON 2
Ah, moi, ce qu’on m’a donné comme cadeaux ! Et des gâteaux…
GARÇON 1
Des gâteaux, n’en parle pas, j’ai trop faim… Mon dernier Pourim. C’est pourquoi il est tout neuf, mon train. Et lui, là, sa valise pleine de livres, il ne veut pas faire une place pour mes wagons et mes rails.
HANOUSCH
Mais tes rails, tes sémaphores, c’est encombrant et fragile, ils seraient écrabouillés par les volumes ! Je sacrifie du linge, d’ailleurs je n’en ai pratiquement pas. Je préfère mes livres. Les livres, c’est ma famille.
GARÇON 2
Le Monsieur, pour que tout se passe bien, pour que tout se passe bien, nous a demandé d’être collabo…collabo…
GARÇON 1
…collaboratifs.
HANOUSCH
Collaborateurs.
GARÇON 1
Collaboratifs, collaborateurs, c’est pareil. On a intérêt à ne pas compliquer les choses pour que ça se passe bien pour nous. Et toi, petite, tu ferais mieux de faire ta valise, enfin ton baluchon, ton foulard, quoi, pour y serrer tes affaires. Sinon, le Monsieur, quand il reviendra, si tu n’es pas prête, il sera fâché contre toi. Et nous, qu’est-ce qu’on va prendre encore ! J’ai peur, alors, que ça se passe pas très bien, même très mal…
PETITE FILLE (baissant la voix)
Je n’aime pas le Monsieur. Il est trop grand. Il me fait peur. Comme le croquemitaine…
GARÇON 1
Le croquemitaine, le croquemitaine ! C’est quand même pas le Golem[12], que je sache ! Il suffit de bien le prendre, de lui obéir. Ce n’est pas que, moi… mais je préfère filer doux pour ne pas avoir de problème. La solution, à la fin, c’est de faire le dos rond et se taire.
GARÇON 2
Moi aussi, il me fait… Je le crains. C’est vrai qu’il n’est pas très doux…
GARÇON 1
Mais c’est normal, il représente l’autorité, c’est son rôle. Il ne peut pas jouer au gentil.
PETITE FILLE
Moi, il me fait peur…Il est trop grand…Comme le Golem, tu as dit…
GARÇON 1
Tu ne comprends rien, petite ! J’ai dit justement que c’était pas le Golem !
HANOUSCH (caressant la tête de la petite fille)
Allons, maïdelèe, petite fille, n’aie pas peur. C’est une histoire, le Golem, un conte, pas à dormir debout, mais à perdre le sommeil, pour effrayer les enfants, pour qu’ils soient sages. Moi, tu sais, je ne compose pas que des poèmes, j’écris même des histoires. Et tu sais, pas sur le Golem, mais des histoires de fantômes…
GARÇON 2
Des fantômes ?
PETITE FILLE
Le croquemitaine, le Golem et des fantômes en plus ?
GARÇON 1 (haussant les épaules)
Les fantômes n’existent pas.
PETITE FILLE (vexée, d’un air pincé)
Je sais que les fantômes n’existent pas. Mais j’en ai peur.
GARÇON 2
Et des squelettes ? Il y a des squelettes ?
HANOUSCH
Aussi : des squelettes en chair… en chair et en os. Et un roi fait ramasser tous les os du pays[13], de tous les cimetières pour en faire un fantôme à son service. Il n’en a jamais assez, il commet des massacres, il fait des guerres, et comme ça ne lui suffit toujours pas, alors, même après sa victoire, il tue beaucoup de gens de son peuple pour avoir toujours plus d’os pour son fantôme et son monument. Car il se fait construire aussi un immense palais pour s’y faire enterrer. Un mausolée à sa gloire.
PETITE FILLE
C’est quoi un musolée ?
GARÇON 1
Un MAUsolée !
HANOUSCH
Un mausolée, c’est une tombe. Une très grande tombe. Enfin, un immense tombeau. Celui-là, il l’élève, il le fait construire par des prisonniers dans le flanc d’une montagne sauvage, surmonté d’une immense, d’une immense croix pour qu’on la voie de très loin[14].
PETITE FILLE
Une croix…heu…gommée ?
GARÇON 1
Non, pas « gommée ». Une croix gammée. Gammée.
HANOUSCH
Non, pas une croix gammée, une croix chrétienne.
PETITE FILLE
Et pourquoi pas une étoile ?
GARÇON 2
Ah ouais ! Une belle étoile à sept branches !
GARÇON 1
Tu dis des bêtises, méchouga ! Quand je te dis que, toi, t’es pas sorti de ta cambrousse, de ton foutu shtèïtl ! Une croix gammée, aujourd’hui, les jours de fête, on en voit partout, c’est quand même un signe de gloire !
HANOUSCH
Une gloire bâtie sur tant de morts, sur tant d’ossements.
GARÇON 2
Que d’os, que d’os ! J’imagine un chien : son rêve, son Paradis !
PETITE FILLE
Un os à ronger ? à moelle ? Pour la soupe ? La maman de ma mamèe en faisait, c’est très bon, nourrissant, parce que, il n’y avait plus rien à manger, les enfants, nous, on était rache…rachi… je sais plus…
GARÇON 1
Rachitique…Très maigre.
PETITE FILLE
J’ai très faim moi !
GARÇON 2
C’est vrai, on ne nous a rien donné. Quand on aura fini nos bagages, si on est bien sages, on nous donnera le goûter, c’est l’heure, non ?
GARÇON 1
Mais tu dis quoi, encore ? Tu sais, toi, l’heure qu’il est ?
GARÇON 2 (contrit)
C’est vrai, on n’a plus de montre…Depuis qu’on est là…
GARÇON 1
C’est peut-être l’heure du petit déjeuner. Ou du dîner, ou du souper…
GARÇON 2
Oui, mais en tous les cas, je crève la dalle !
HANOUSCH
La dalle du tombeau…
GARÇON 1 (se prenant la tête dans les mains)
Oï veï [15]! Oh la la ! Moi aussi, j’ai rien mangé ! Mais vous croyez qu’on nous donnera la moindre croûte, le moindre bagel si on lambine encore alors qu’il nous a dit de nous tenir prêts à partir dès qu’il reviendrait ?
(Les enfants se remettent à tenter maladroitement, fébrilement, de caser leurs affaires dans leurs bagages)
PETITE FILLE
Mais j’ai deux poupées, c’est mes filles ! Je ne veux pas les abandonner, aucune ! Je ne veux pas moi non plus prendre les devants en laissant une seule toute seule ! Elle sera triste ! Et moi aussi.
GARÇON 2
Ouf, moi, j’ai tout bien rangé, j’ai tout réussi à caser dans ma valise. Ma belle trousse de toilette offerte par mon père après une tournée. Et juste une partition pour gagner de la place, et pas la froisser. Je connais mes morceaux par cœur. Et je sais improviser.
GARÇON 1
Un autre artiste ! et un as du rangement. Mais sois raisonnable, petite ! Tes deux poupées, c’est trop, elles n’entreront jamais dans ton petit baluchon avec tes vêtements et leur linge. Ce foulard, il faudra bien finir par le nouer aux quatre coins. Tout ça, ça n’entrera pas. Allez, donne, laisse celle-là, la plus moche, elle a un bras cassé, elle est mutilée ; comme un infirme, elle sert à rien, on s’en débarrasse ! Ouste !
(Il lui arrache la poupée et la jette violemment contre un mur)
PETITE FILLE (pleurant)
C’est ma fille ! Tu l’as blessée ! Elle a mal !
GARÇON 2 (ramassant doucement la poupée)
Là, c’est sûr, elle est vraiment abîmée. Et maintenant, un œil en moins. Myope.
GARÇON 1
Borgne. Elle encombrait trop. On s’en sortait pas. Il fallait bien régler le problème, trouver une solution, à la fin. C’est la solution. Point final.
HANOUSCH :
Point final : solution par élimination…
PETITE FILLE
Je suis ma mamèe…non, je suis sa mamèe ! Je veux pas laisser ma fille qui a si mal.
HANOUSCH (consolant la petite fille)
Allons, petite maïdelèe, ne pleure pas. Il te reste une poupée. Ta mamèe, elle a combien d’enfants ?
PETITE FILLE
Elle a pas d’enfants ! Elle a moi! Moi seule !
HANOUSCH
Tu vois ? Tu es la seule. Tu es unique.…
(Il fait la liaison : —zunique)
PETITE FILLE
Je suis tunique ?
(Les garçons rient)
GARÇON 1
Bon, la maïdelèe, c’est un cas…
GARÇON 2
Elle est petite, la pauvre…
HANOUSCH
Eh bien, maintenant, avec une seule poupée comme ta maman avec une seule enfant, tu es ta mamèe avec ta fille. Tu pourras t’en occuper mieux, bien la dorloter.
GARÇON 1 (se prenant la tête dans les mains)
Oï veï ! Oh la la ! Qu’est-ce que j’ai fait ! Une poupée, une poupée ! Et moi, tu dis quoi ? Mon circuit de chemin de fer, il tiendra jamais dans mon sac sans que les rails se tordent. Je suis obligé de garder une locomotive et un seul wagon à la main. Le Monsieur nous a dit qu’il fallait donner ce qu’on a de plus cher pour le bien du pays. Ça me console. Enfin, presque. Ce qu’on a de plus cher.
GARÇON 2
Moi, je ne voudrais pas donner mon violon… Je le garde à la main.
GARÇON 1
Un violon à la main ? Je dis bien que tu es méchouga ! On va te prendre pour un tzigane !
GARÇON 2
Un tzigane ? Et alors, qu’est-ce que ça fait ?
GARÇON 1
Qu’est-ce que ça fait ? Tu sais ce qu’on leur fait , à ceux-là?
GARÇON 2
Non. Qu’est-ce qu’on leur fait ?
HANOUSCH
On les arrête. Et pas pour travailler…
PETITE FILLE
Ma poupée, ma pauvre poupée… Il faut appeler un docteur !
GARÇON 2
Un docteur ? Moi, j’en ai peur…
GARÇON 1
Allez, toi, un coup de violon pour la distraire !
GARÇON 2 (il tire sur son archet, une petite musique se penche tendrement sur la fillette alors qu’Hanousch plie les vêtements et range délicatement les affaires de la petite dans le foulard étalé)
Ça te console un peu, le violon ?
PETITE FILLE
Non, le violon me fait encore plus pleurer !
GARÇON 1
Bon, arrête ton crin-crin. Moi aussi, je vais me mettre à chialer. Pardon, ne pleure pas. Sans manger, et sans mon circuit au complet, je deviens enragé. Je ne voulais pas mutiler ta poupée, mais même lui, Hanousch, là, il te dit que tu ne peux pas les emporter toutes les deux. Tiens, à toi, je te prête mon train. Viens, on joue. Malheureusement, on n’a ni gare, ni voyageurs, ni sifflet. Ta poupée, elle pourrait pas prendre ce train, trop grande.
GARÇON 2
Vous pouvez la mettre à cheval sur la locomotive…
HANOUSCH
Sans les autres wagons, sans les rails, sans rien, c’est, lui aussi, le train fantôme…
GARÇON 2
Ah, le train des fantômes ? Ça en fait beaucoup de fantômes.
GARÇON 1 (il siffle pour faire le sifflet du train)
Tchi-tchi-fou, tchi-tchi-fou, tu vois, il marche quand même. Allez, on joue, petite.
PETITE FILLE
Tchi-tchi-fou, tchi-tchi-fou…
SCÈNE II
La porte s’ouvre brutalement. Un homme, imperméable ou manteau, noué à la ceinture, fait irruption dans la pièce, tape dans ses mains.
HOMME
Tchi-tchi-fou, tchi-tchi-fou ! c’est quoi ce foutoir ! Pas encore prêts ? Et les ordres ? C’est quoi, ça ? Allons, allons les enfants, ne traînez plus, on risque pour de bon de rater le train !
GARÇON 1 (serrant son train contre son cœur)
Oh, oui ! le train, le train ! Monsieur, on prend le train ?
HOMME
Vos bagages sont prêts ?
GARÇON 2
Moi oui, Monsieur, regardez ! J’ai bien rangé ma valise. Les pulls, le pantalon. Et juste une partition. (À un regard de l’Homme, il dit précipitamment)
Mon, étoile de David ? Regardez, je ne l’ai pas perdue, elle est sur mon manteau, je le mettrai sur moi, non ? Mon violon, je peux le porter à la main ?
HOMME
Tu joues du violon, toi ?
GARÇON 2
Oui, Monsieur.
HOMME
Bon, ça égaiera le voyage.
GARÇON 1
Monsieur, Monsieur, c’est pas mauvaise volonté, mais le sac est trop petit ! j’ai mis le linge, un pyjama, mais j’ai pas pu mettre tous mes wagons, ni les rails, le circuit… C’est trop grand. Ça n’entrait pas. Ça risque de se tordre, de s’abîmer ! Juste la locomotive et un wagon. Même pas de voyageurs, un wagon de marchandises, plus petit…
HOMME
Tu n’as pas besoin de tout ça. Une locomotive, un wagon de marchandise, ça suffit bien pour certains voyageurs. Ça va bien comme ça.
GARÇON 1 (considérant les valises des deux autres)
Et lui, avec sa valise pleine de livres…Lui non plus, il ne veut pas non plus que je les case dans son bardas…
GARÇON 2
Mais elle est pleine avec mes choses bien rangées, moi, même pas mon Meccano. Tes rails, ça abîmerait ma partition. Et ton train, tu ne me le prêtes même pas !
PETITE FILLE (pleurnichant)
Mais j’emporte quoi, moi ?
HOMME
Pas la maison de poupée, et une seule. Ton linge ?
PETITE FILLE
Je sais pas préparer mes affaires ! Lui, il m’a aidée mais il sait pas plier le linge Tout va être froissé. Je veux maman !
(Les deux garçons se joignent maladroitement à Hanousch pour l’aider à ranger son baluchon)
HOMME
Mais je t’ai déjà dit qu’elle est partie !
PETITE FILLE
Où ? Elle est partie où ?
HOMME
Elle est déjà dans le train. Les grands sont déjà dans le train. Ils vous attendent.
HANOUSCH (se redressant)
Mais on va où ?
HOMME
On va les rejoindre au camp…
GARÇON 1
Au camp de vacances ? C’est ça ? Je me disais bien que je l’avais entendu ! Je te l’avais bien dit !
PETITE FILLE
À la campagne ?
GARÇON 1
M’sieur, On va camper ?
GARÇON 2
Faire du camping, Monsieur ?
HOMME
C’est exactement ça, tu as bien compris : camping au camp de vacances, à la campagne. Et il y un train. Il y conduit directement.
HANOUSCH
Sauf que c’est pas les vacances…
HOMME
Qu’est-ce que tu racontes, toi ?
HANOUSCH
Je dis qu’on n’est pas en vacances. Ce n’est pas la saison. Il fait nuit et brouillard.
PETITE FILLE (se serrant contre Hanousch)
Nuit et brouillard ? J’ai trop peur du Golem !
HOMME
La saison…justement, là on nous allons , il fera plus chaud, je vous assure. Plus chaud. Ce seront des vacances. En famille. De grandes vacances, très longues.
HANOUSCH
La semaine dernière, en classe, on a fait les compositions. Et la rédaction. Et nous n’avons pas eu les résultats.
HOMME
Tu t‘intéresses tant aux résultats ?
GARÇON 2
C’est que, lui, c’est toujours le premier ! Une tête ! C’est le fortiche !
HOMME
Ah, bon ! Une forte tête. Et tu t’appelles comment ?
PETITE FILLE
Lui, c’est Hanousch ! Et il fait des poèmes ! Il nous en a récité un.
HOMME
Ah, c’est toi ? J’ai entendu parler de toi. Ainsi, tu écris des poèmes ?
HANOUSCH
Oui.
HOMME
Et tu crois que c’est bien, ça, que c’est normal pour un garçon, écrire des poèmes ?
HANOUSCH
Oui.
GARÇON 1
C’est vrai, il y en a qui se moquent de lui. Dans la cour de l’école où on nous a mis tous ensemble, pendant la récré, il était toujours seul.
GARÇON 2
C’est parce qu’ils sont jaloux. C’est le meilleur. Et le maître a lu ses poèmes et ses rédactions. Oui, à toutes les classes, même la mienne, enfin, on nous avait mis tous dans la même. Alors, ils le laissent seul à la récré.
HANOUSCH
C’est moi qui préfère être seul. Avec mes pensées.
HOMME
Voyez-moi ça : rien que ça, avec ses pensées !
HANOUSCH
Oui, Avec mes pensées. Mes pensées.
HOMME
Tiens donc ! À peine un gamin, sans un poil de barbe et, déjà, l’arrogance du dominateur. Et tes pensées ne sont pas celles des autres ?
HANOUSCH
Je ne crois pas. Enfin, je ne sais pas. On me laisse toujours seul. Et depuis quelque temps, on ne peut plus beaucoup parler. Alors, on ne sait pas qui pense quoi. Alors, silence.
GARÇON 1
Moi, je me tais. Motus et bouche cousue. C’est interdit de parler.
GARÇON 2
Oui, on nous punit si on parle.
HOMME
Mais j’espère qu’on vous apprend bien des choses maintenant à l’école. Ça s’apprend, la façon de bien penser.
GARÇON 1
Oui, M’sieur, c’est obligatoire.
HANOUSCH
Et le reste est interdit. Tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire
HOMME
C’est l’ordre des choses. Si maintenant chacun se met à penser ce qu’il veut et qu’il le dit, c’est le désordre, le chaos, l’anarchie. Autrefois, on disait : « Une foi, une loi, un roi ». Tout était réduit à l’unité, unité du peuple et de l’état. De haut en bas. Pour le bonheur de tous, il faut une pensée, une pensée unique.
PETITE FILLE
Monsieur, c’est quoi, une pensée inique ?
HOMME
Pas inique : unique. Tout le monde marche d’un même pas, pas de traînard, sinon, gare à lui. Tout le monde pense de la même façon. C’est la démocratie : tout le monde pareil. Sauf le chef, pas de tête qui dépasse.
HANOUSCH
Mais moi, sans vouloir être le chef, je ne veux pas simplement passer, dépasser, mais me dépasser. Avant de trépasser.
HOMME (applaudissant)
Oh, de « passer » à « trépasser », se « dépasser » ! belle réplique ! Digne d’un homme de théâtre ! Puisque nous y sommes, pour que je puisse en juger et en jouir, pendant que ceux-là se débrouillent avec leurs hardes, tu veux me dire un de tes poèmes.
HANOUSCH
Non.
HOMME
Non?
HANOUSCH
Non.
HOMME
Ah non ?
HANOUSCH
Non.
PETITE FILLE
Oh oui, Hanousch, un poème ! Tu m’avais promis. Comme l’autre.
HOMME
D’accord, je comprends. Devant des enfants, tu récites des poèmes. Sûr, ils restent bouche bée, béats d’admiration devant le petit génie. Ils sont incapables de juger. Mais devant moi, je peux avoir un jugement critique, tu n’oses pas, hein ?
GARÇON 2
Moi, c’est fini, Monsieur, sauf le violon. Allez, s’il te plaît, Hanousch, un poème. Monsieur, l’autre, c’était sur un enfant. Je crois… J’ai pas bien compris.
PETITE FILLE
L’enfant perdu !
GARÇON 1
Non : l’enfance perdue…
HOMME
Alors ? Ça disait quoi sur l’enfant ou l’enfance perdus ?
HANOUSCH (caressant la tête de la petite fille)
Bon.
« Et pourtant, je crois qu’aujourd’hui… je rencontrerai à nouveau mon enfance, mon enfance comme une rose sauvage… »
Non, c’est pas ça. C’est perdu…Comme dans cette nuit, ce brouillard.
PETITE FILLE
Et sur le soleil, sur le printemps, tu ne sais rien sur le printemps ?
HANOUSCH
Ah oui ! sur mai, le mois de mai.
Mai. Je ne sais pas si je me rappellerai tout…
HOMME
Vas-y, on verra bien.
HANOUSCH
« La vie se réveille doucement de ma tasse
Et me sourit de façon saoule
Comme la rosée tombe joliment sur le champ
Et les bourgeons ont l’odeur du narguilé
Et la lune étincelle de lumière moqueuse
Si désespérée et pourtant si joyeuse. […]
Et l’oiseau chante sur le béton dur,
Et le tilleul fleurit. Mais des pas résonnent au loin.
Écoutez ces voix qui rient comme un cercueil étendu
De vieille caisse en fer,
Écoutez le son des brises qui chantent dans les fleurs
Et le bruit des canons, des fusils, des mitrailleuses… »
HOMME
C’est bon, ça suffit. (Les enfants applaudissent)
HANOUSCH
C’est… bon ?…
HOMME
Oui. C’est pas mal.
HANOUSCH
Pas mal, Monsieur ?
HOMME
Mais oui, mais oui. D’accord, tu es le phénix.
PETITE FILLE
Et c’est quoi le phé ?…
HOMME
Alors, c’est quoi, c’est qui le phénix ?
GARÇON 2
Je sais pas.
GARÇON 1
Moi, je sais. Mais j’ai oublié.
HOMME
Et toi, tu sais ?
HANOUSCH
Oui, bien sûr je le sais : c’est un oiseau fabuleux. Qu’on brûle. Mais qui renaît de ses cendres.
HOMME
Qui renaît de ses cendres… Qui renaît de ses cendres ? On verra.
(Il claque dans ses mains)
Allez, allez, les enfants ! Schnell, schnell ! vite, vite ! Le train vous attend. Toi, joue du violon.
(Les enfants, chargés de leur petit bagage, entrent en coulisse au son du violon, en dansant, disparaissant tour à tour dans l‘ombre, sauf Hanousch, le dernier)
HOMME (Au public)
Oui, c’est vrai, pas mal ces petits artistes. Même bien ce jeune poète.
(Haussant les épaules)
Mais ce n’est tout de même pas l’enfant Mozart qu’on assassine.
Marseille, 31 juillet/2 août 2018. Benito Pelegrín
[1] https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=26+ao%C3%BBt+1942+%3A+la+rafle+des+isra%C3%A9lites+%C3%A9trangers+%C3%A0+Pertuis+et+dans+le+Pays+d%E2%80%99Aigues+et+les+d%C3%A9portations+%C3%A0+Auschwitz+
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Vedem#cite_note-1
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Vedem
[4] En yiddisch : ‘maman’.
[5] Expression yiddisch : ‘Fou ‘.Je mets les expressions yiddish dans la bouche du Garçon 2 qui semble inévitablement contaminé, dans son innocence, par la propagande nazi.
[6] Klezmerim ou klemzer : musicien juif ambulant. Mais, dans l’innocence de ces enfants, je fais du diminutif, pour l’un, un terme méprisant, et de l’autre, un terme noble.
[7] Un petit shtèïtl, un village juif.
[8] Signifie ‘petite fille’.
[9] ‘Bonne chance ‘.
[10] Les poèmes sont ceux de l’édition Audhuy/Cogitore citée dans l’introduction.
[11] Fête juive du début du printemps.
[12] Monstre humanoïde des légendes juives, surtout en Europe centrale, qui me permet de situer ces enfants dans Prague où l’aurait créé et animé le rabbin Loew.
[13] J’annonce de la sorte sa farce grinçante sur ce roi qui veut se construire un fantôme avec les os de ses sujets.
[14] Je pense, bien sûr, au Valle de los caídos, que Franco fit ériger dans la Sierra de Guadarrama au nord de Madrid pour rendre hommage aux « héros et martyrs de la Croisade », devenu en 1958 soi-disant mausolée pour tous les combattants de la Guerre civile et son propre tombeau aux côtés du fondateur de la Phalange fasciste Primo de Rivera. Franco s’autorisa le transfert de restes de républicains (pourvu qu’ils fussent chrétiens) pour remplir l’immense tombeau, pillant les cimetières sans autorisation des familles. Une croix de pierre de 150 mètres de haut, la plus grande du monde, surmonte la montagne et signale de loin le titanesque monument mortuaire. En juillet 2018 le gouvernement du Premier Ministre socialiste Pedro Sánchez a décidé d’en retirer les dépouilles de Franco et de José Antonio Primo de Rivera pour en faire du mausolée fasciste un monument dédié à « la reconnaissance et à la mémoire de tous les Espagnols7 », malgré l’opposition de l’extrême-droite.
[15] Exclamation de stupeur, on se prenant la tête entre les mains. Voir internet : Yiddish%20(expressions).webarchive.
En une, vue de la ville de Partuis aujourd’hui © Ville de Pertuis
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