Un Souper Stratégique : Talleyrand, Fouché et l’Avenir de la France
Présentée fin juin à la Divine Comédie de Marseille et interprétée par Francis Piet-Lataudrie et Jean Monatte, « le Souper » est une pièce de théâtre en un acte de Jean-Claude Brisville, écrite en 1989 d’après la biographie de Fouché par Stefan Sweig. La pièce met en scène Talleyrand, prince de Bénévent et ministre des Affaires extérieures sous le Premier Empire, et Fouché, duc d’Otrante et ministre de la police dans plusieurs gouvernements. Elle se déroule à Paris le 6 juillet 1815 à minuit, dans l’hôtel particulier de Talleyrand (également nommé hôtel de Saint-Florentin). Au cours de ce souper, c’est de l’avenir politique de la France et des deux hommes dont il s’agit.
Pitch
1815, la bataille de Waterloo est terminée et perdue. Après l’exil de Napoléon, Wellington et les troupes coalisées sont dans Paris. La révolte gronde. Trois semaines plus tard, en France, le pouvoir est vacant.
Fouché se rend à l’invitation de Talleyrand pour y parler affaires. Tous deux s’interrogent sur la nature du gouvernement à donner à la France. Dehors, des émeutiers sont contenus avec difficulté par le service d’ordre de la capitale. Durant le dîner, Talleyrand et Fouché, deux « faiseurs de rois », discutent de l’avenir du pays, et surtout du leur pour tenter de trouver une solution qui les remettra chacun dans leurs fonctions respectives de Ministre des Affaires Etrangères et de Premier Policier. Aucun des deux ne peut agir sans l’autre. Fouché pense qu’il faut revenir à la république.
Pour Talleyrand, il faut restaurer les Bourbons ; mais pour cela, il a besoin de l’appui de Fouché, président du gouvernement provisoire, qui contrôle la ville de Paris. Ce fin souper avec ses mets succulents servis par Jean, le valet de Talleyrand, est ainsi l’occasion de convaincre Fouché que le retour de Louis XVIII sur le trône est la seule bonne solution. Entre deux plats, les deux hauts dignitaires révèlent – à demi-mot – leurs crimes, leurs trahisons, leurs intrigues. Commence alors une négociation, à la manière d’une passe d’arme, entre deux hommes puissants qui se détestent mais que les circonstances historiques condamnent à s’entendre. Il s’agit ici de rester, donc de s’allier. Malgré tout ce qui les oppose et qui devrait les faire échouer, leur alliance leur permettra d’avancer, du moins pendant un certain temps.
Un souper fictif inspiré d’une véritable rencontre
Ce souper entre ces deux personnages historiques perfides qu’étaient Talleyrand et Fouché est imaginaire, mais nombre de répliques ont été dites réellement par les deux hommes à des moments de leur vie, dans des situations similaires. Talleyrand aurait en secret invité Fouché à dîner avec lui dans son hôtel particulier à Paris… un 6 juillet 1804 à Paris. A cette époque, suite au coup d’État du 18 Brumaire en 1799, Napoléon Bonaparte venait tout juste d’être proclamé empereur sous le nom de Napoléon Ier.
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, un diplomate et homme politique français de grande envergure, avait été nommé ministre des Relations extérieures de Napoléon. Joseph Fouché, de son côté, était un homme politique et policier français qui avait un rôle important dans le ministère de la Police sous le règne de Napoléon. La rencontre entre Talleyrand et Fouché s’était déroulée dans un contexte de stabilité apparente sous le règne de Napoléon, après des années de chaos révolutionnaire, mais où subsistaient des tensions politiques et des aspirations divergentes.
Lors de ce souper, les deux hommes auraient discuté de la possibilité de renverser Napoléon et de restaurer la monarchie. Il est dit que Fouché avait des doutes sur la capacité de Napoléon récemment couronné à maintenir la stabilité du pays et envisageait un changement de régime. Cette rencontre témoigne des intrigues et des débats politiques qui animaient la France à cette époque charnière de son histoire.
Monarchie versus République
Talleyrand prône le retour de la monarchie, Fouché voudrait un successeur républicain, pourquoi pas le fils de Napoléon. Talleyrand est fourbe, manipulateur, adepte de la diplomatie perfide. Fouché est froid, brutal, impitoyable (il a voté la mort du Roi). Ils sont tous deux de mauvaise foi, habiles dans leurs arguments. Il va ainsi falloir aux deux hommes créer de toutes pièces, et dans un temps record (le peuple gronde aux fenêtres et ne leur laisse, disent-il, que deux heures), rien moins qu’un gouvernement pour la France. République et Monarchie s’opposent ici sans merci dans un bain de diplomatie, à la fois fourbe et cynique, à l’origine bien souvent de toute politique.
Réalisation
Sur fond de décors réalistes, la mise en scène intimiste, menée en temps réel, repose sur des éclairages alternant pleins feux, ondes rougeoyantes et lumière tamisée. Les bruits de foule scandés au balcon, lorsque Fouché entrouvre la fenêtre, viennent interrompre le souper et les palabres entre les deux hommes, attisant la peur de l’homme de loi et conférant suspens et rythme au déroulé de la pièce. Les rugissements de la foule laissent planer une pensée d’une mort proche, la mort d’un espoir pour le peuple qui se disperse à l’arrivée des violents orages s’abattant sur la capitale cette nuit-là. Son départ signe le début d’un accord entre les deux hommes et les révélations à venir sur leurs actes perfides.
La musique en fond, quant à elle, apporte une touche de mélancolie quand Fouché prend le portrait d’un parent guillotiné de Talleyrand : tombant le masque, ce dernier avoue au Premier policier déjà bien renseigné qu’il l’avait dénoncé pour sauver sa peau. Nous voilà ainsi dévoilées les manigances des deux hommes, chacun dans leur domaine, par goût du pouvoir. Et la pièce s’achève avec intelligence sur une voix off citant un extrait des «mémoires d’outre-tombe» dans lequel, Châteaubriand a écrit : «J’entrevis le Vice appuyé sur le bras du Crime». L’image finale où l’on voit les deux hommes immobiles sous une douche de lumière d’un rouge violacé est saisissante, troublante même : elle nous questionne sur la félonie intrinsèque au politique et à ses froids représentants ainsi que sur les espoirs dérisoires et vains d’un peuple dont les raisons de la colère sont ignorées, snobées, voire utilisées à des fins personnelles, si rarement entendues. Une interrogation encore d’actualité.
Interprétation
Outre le bonheur des répliques magnifiquement écrites et l’écriture ciselée et subtile de Jean-Claude Brisville, le jeu des deux comédiens principaux est juste et précis. Optant pour une direction d’acteur classique, le jeu est naturaliste : la diction avec ses phrases bien articulées permet de saisir toutes les nuances du texte et sa richesse grammaticale et lexicale, avec ses jeux sur la polysémie de mots et ses expressions savoureuses, ses sous-entendus et non-dits délicieusement amenés.
Le travail de diction réalisé met en valeur le récit car les acteurs sont ici au service de la plume de l’auteur, la gestualité des personnages et leur déplacement étant dictés par ce récit, sans fioritures même si par moments le plus jeune des acteurs, Jean Monatte, qui interprète Fouché se laisse emporter par sa fougue. Francis Piet-Lataudrie est, quant à lui, toujours aussi excellent dans le rôle de Talleyrand, subtil et perfide à souhait. Efficace, la pièce est un régal pour les oreilles et les spectateurs sortent ravis de cette représentation bien exécutée.
Bravo pour ce très beau moment de théâtre ! DVDM
Crédit photo: DVDM
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