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DON GIOVANNI  AU FESTIV’OPÉRA DE SAUSSET-LES-PINS.

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Cyril Rovery revisite le mythe de Don Juan

 Une mise en scène audacieuse et originale où Mozart et Da Ponte croisent Molière.

Dans le cadre bucolique et enchanteur du Théâtre de Verdure de Sausset-Les-Pins, une soirée de clôture magique au Festiv’Opéra (Festiv’Vespérales).

Le Maire, Maxime Marchand, aime à rappeler qu’il soutient ce Festival Pour ceux qui aiment l’opéra mais pour séduire aussi ceux qui vont le découvrir… Marie-Laure Walther, adjointe à la Culture lui emboîte le pas, en signalant cette réussite majeure par une culture accessible à tous, grâce à la gratuité des spectacles.

Quand Barbara Bourdarel, co-fondatrice du Festiv’Opéra avec Cyril Rovery, merveilleuse Donna Anna, remercie tous les bénévoles, les petites mains, les artistes professionnels et ceux en devenir, d’avoir rejoint l’aventure de ce spectacle inédit. Elle salue le travail colossal de son collègue, chanteur (spectaculaire Leporello), metteur en scène!

Cyril Rovery ne part pas de Tirso de Molina (El Burlador de Sevilla y convidado de piedra-L’Abuseur de Séville et l’invité de Pierre), trop moralisateur, trop désuet, première œuvre littéraire créant le mythe de Don Juan (1630), mais du Dom Juan de Molière (1665) dont les textes serviront de liens entre les airs et les ensembles du Don Giovanni de Mozart (1787). L’idée est très séduisante. Don Juan-Dom Juan. Don est le titre des nobles en Espagne, mais Molière prête au titre espagnol, l’orthographe du vieux mot français Dom (de Dominum), terme de respect qui se donne encore aujourd’hui aux religieux de certains ordres. On retrouve chez Da Ponte Donna Anna, Donna Elvira, Don Ottavio…

Décor minimaliste, un piano à queue, magnifique Steinway & Sons, remarquablement tenu par Alain Pietka, expressif et très présent. Il respire la mise en scène. Il vibre avec le chant et sait devenir concertant dans l’ajout subtil des passages symphoniques (Scène finale).

Une chaise en velours rouge, un écran vidéo pour des scènes puissantes: le début de la deuxième partie sur le Requiem de Mozart, comme l’annonce de la fin de l’abuseur de Séville, et Barbara Bourdarel, qui entonne a cappella le solo de soprano: te decet hymnus, Deus in Sion, moment de beauté planante, des vidéos de masques de Venise sublimes, rappelant le trio des masques (Anna, Elvira, Ottavio), les flammes de l’enfer qui anéantissent Don Giovanni. Les vers de Victor Hugo (les Contemplations) nous transportent…

Le jeune Mozart, le craquant Léo Greco, véritable Rock star, lunettes de soleil, perruque XVIII ème s. joue une Sonate de…Mozart. Il semble assister à sa propre histoire en écoutant l’ouverture de Don Giovanni.

On est emporté par l’énergie, la gouaille, la vocalité impressionnante de Cyril Rovery. Dans les passages parlés comme dans les airs ou ensembles, on retrouve toute la palette brillante du basse-baryton: voix projetée, vocalises faciles, aisance étonnante. Dans l’air du catalogue, très enlevé, le chanteur sait aussi faire un diminuendo somptueux (Nella bionda egli ha l’usanza di lodar la gentilezza…/ Chez la blonde, il a l’usage de louer la gentillesse). Quand on sait que Sganarelle, en 1665, était joué par Molière lui-même, on imagine le poids pour celui qui joue et met en scène son propre personnage de Leporello.

Son arrivée en vélo, à la scène du cimetière, version Professeur Raoult, docteur miracle avec son élixir, mélange de potion magique et d’hydroxychloroquine, est hilarante. On retrouve le fameux monologue de Sganarelle sur la médecine et le vieux médecin dont le valet de Dom Juan a usurpé l’identité! (Molière Acte III, scène 1): C’est l’habit d’un vieux médecin qui a été laissé en gage au lieu où je l’ai pris  et il m’en a coûté de l’argent pour l’avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis salué des gens que je rencontre et que l’on vient me consulter ainsi qu’un habile homme. D’autres trouvailles géniales aussi: les frères d’Elvire, dans Molière (Dom Carlos et Dom Alonse), n’existant pas chez Da Ponte/Mozart, sont évoqués ici intelligemment, en utilisant leurs textes, pour mieux servir les rôles de Donna Anna et Don Ottavio. Quand tous sont à la poursuite du séducteur Don Giovanni, on entend des coups de feu, l’espace scénique devient alors sans limite et agrandit aussi le champ des personnages, comme une passerelle judicieuse des deux ouvrages.

Barbara Bourdarel est une Donna Anna fougueuse, aimante, torturée par la mort du père. Vocalement très juste, sensible et puissante, magnifique dans l’air redoutable Or sai chi l’onore, à la tessiture très large.

Cécilia Arbel, Elvira, est une tragédienne habitée. Très belle voix, dans les airs comme les ensembles. Son air d’entrée Ah! chi mi dice mai quel barbaro dov’è? /Ah qui me dira jamais où est ce barbare? résonne dans tout le Théâtre de Verdure. Cri de colère de la femme délaissée. L’écriture arpégée donne plus d’ampleur à la tessiture. Le rythme binaire, la tonalité de mi bémol majeur très affirmée, permettent à la cantatrice de donner aussi toute la puissance et l’éclat nécessaire. Don Giovanni, aux aguets (Poverina/La pauvrette) ne se doute pas qu’il va essayer de séduire sa propre femme! Au deuxième acte, on retrouve la même tonalité dans l’air redoutable Mi tradi quell’alma ingrata/Cette âme ingrate m’a trahie, d’une grande ornementation. D’immenses guirlandes de notes merveilleusement maîtrisées par la soprano.

Ornella Corvi est une très belle Zerlina, magnifique timbre de mezzo, (Batti, o batti, o bel Masetto…), loin des Zerlina souvent mièvres, aux timbres de soprano léger, Zerlina n’est pas Barberine (Noces de Figaro). Elle joue la cagole marseillaise, c’est osé mais ça marche. Et quand le duo là ci darem la mano se termine, Zerlina est sur Don Giovanni, dominatrice, prête à consommer sur Andiam, andiam mio bene, a ristorar le pene…(Allons, allons mon cœur compenser les peines…). Une jolie inversion dramatique.

    James Han en Masetto à la voix tonique et percutante, s’exprime avec des expressions de quartier marseillais très colorées… avec l’accent coréen! C’est jubilatoire: Vous vous chauffez trop, vous allez choper le Covid! Arrête de m’emboucaner, parce que t’es riche, tu te la pètes! J’en ai plein les alibofis de tes cagades! Un cocu qui fait rire dans ce décalage linguistique!

Les paysannes et paysans de Molière n’avaient-ils pas aussi un langage imagé, non aristocratique?

Sebastian Delgado est un Don Giovanni élégant, carnassier, vrai séducteur, manipulateur, très grande précision rythmique (Air Finch’an dal vino brillant).

Khalil Essaied, Don Ottavio, met toute son émotion et sa passion pour dompter ses deux airs difficiles Il mio tesoro (grandes vocalises et longues tenues) et Dalla sua pace, un Andante sostenuto qui demande un souffle important.

 Il n’y a pas de temps morts dans ce spectacle, entrées et sorties dynamiques, côté cour vers des espaces imaginaires…

La scène du banquet Già la mensa è preparata, est très colorée, festive, authentique; on boit, on mange véritablement. Tout sourit jusqu’à l’arrivée troublante du Commandeur, Jean-Baptiste Coin, qui semble venir de tellement loin, magie de cette scène ouverte. Grandiose scène finale où l’on retrouve la tonalité de ré mineur de l’Ouverture: Don Giovanni, a cenar teco, m’invitasti e son venuto…/Don Giovanni, tu m’as invité à dîner avec toi et je suis venu…Tessiture homogène, présence terrifiante de cette statue mobile et immobile qui honore l’invitation de Don Giovanni à son dernier repas.

Le chanteur maîtrise les grands sauts d’octaves sur les gammes saisissantes, ascendantes et descendantes d’un piano devenu orchestre.

Et si l’opéra c’était ça, finalement ? Un espace scénique «populaire», peu de décors, des chanteurs professionnels encadrant des chanteurs en fin d’apprentissage, des prix attractifs, la gratuité du Festiv’Opéra demandant une organisation énorme en amont, de l’engagement, de la passion, de l’envie.

Quand on sait que la première représentation de la Flûte Enchantée de Mozart (Die Zauberflöte) eut lieu le 30 septembre1791, dans les faubourgs de Vienne au Théâtre de Schikaneder (Theater auf Der Wieden), une petite salle en bois fréquentée par un public de banlieue.

En cela, ce jeune Festival mérite toute notre gratitude et nos encouragements.

Le rendez-vous est pris pour 2024. On a déjà hâte d’y être.

Yves Bergé

Rmt News Int • 5 septembre 2023


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