Thésée de Jean-Baptiste Lully, un coffret cd Aparté
Comme toujours dans les opéras dédiés à Louis XIV, le Prologue est un éloge obligé, exagéré, outré, à sa gloire. Ainsi, première image, du groupe de personnages allégoriques et mythologiques, je cite, du «Chœur d’Amours, de Grâces, de Plaisirs et de Jeux », le Plaisir 3 se détache pour chanter le troisième vers :
« Le maître de ces lieux n’aime que les victoires »…
Effectivement, en ce début d’année 1675, Louis XIV a eu la prudence de retarder la création du nouvel opéra de Lully, qu’il avait commandé, pour la faire coïncider avec la nouvelle officielle de la victoire de Turenne à Turckheim, près de Colmar, contre l’Électeur de Brandebourg dans la guerre qui oppose la France à la Hollande, depuis trois ans. La victoire totale ne sera avérée que trois ans plus tard avec le Traité de Nimègue favorable à la France en 1678, qui en fait alors la première puissance européenne : Louis XIV s’empare de forteresses, de lambeaux des Flandres et de la Franche-Comté, territoires espagnols qu’il revendiquait comme héritage de son beau-père le roi d’Espagne. Il aura dramatiquement bombardé Bruxelles, Turenne aura ravagé le Palatinat en 1674 dans une volonté avouée de terroriser les princes allemands. Mais il perdra la vie, ainsi que d’Artagnan, le vrai. L’opéra, célébrant la victoire de Turckheim est donné 15 janvier au château de Saint-Germain-en-Laye. Une lettre de Madame de Sévigné en souligne la beauté, mais dans d’autres de ses courriers, c’est du deuil des mères dont les fils meurent dans cette guerre, impôt du sang de la noblesse, dont elle témoigne.
Durant tout son règne, Louis XIV aura commandé des tableaux, fait frapper des médailles pour exalter ses victoires (dont se moquaient les Hollandais par d’autres, caricaturales) qui, au bout du compte, sont moins nombreuses que ses défaites. Sur son lit de mort, c’est le regret qu’il exhale, dans une France ruinée par la dernière, à son arrière-petit fils orphelin, le futur Louis XV :
« J’ai trop aimé la guerre ».
Dans le Prologue, un tumulte guerrier de belliqueuses trompettes et de tambours martiaux noient de paisibles et doux instruments champêtres, hautbois et musettes :
1) PLAGE 4
Sur un char vainqueur paraissent les dieux de la guerre Bellone et Mars qui proclame, par la voix de basse tonnante Guilhem Worms :
« Que rien ne trouble ici Vénus et les Amours » :
2) PLAGE 5
Et voici, à la suite, ces joyeux instruments de plaisir dans un gracieux menuet suivi de la voix allégée de vocalises de Mars qui enchaîne en donnant son congé à Bellone la guerrière qui n’a pas son mot à dire, invitant le dieu Bacchus, de l’ivresse à se joindre à la fête :
3) PLAGE 6 et 7
Certes, nous pouvons nous étonner que Mars, le forcément martial dieu masculin de la guerre, semble rejeter sur son égale féminine, la déesse Bellone (à laquelle nous devons les termes de belliciste, belliqueux), la responsabilité de cette guerre qu’il rejette ici. Nous ne réglerons pas entre eux cette guerre, que nous n’aimons pas, d’où qu’elle vienne. Car la guerre, malgré la victoire d’un camp, que l’on peut préférer, ne fait que des vaincus, que des victimes. Nous ne nous attarderons pas non plus sur les victoires, vraies ou fausses, de Louis XIV. Mais, si nous retenons la phrase d’entrée du Plaisir,
« Le maître de ces lieux n’aime que les victoires »,
Nous concéderons au moins au Roi-Soleil autoproclamé, cette victoire en musique, la victoire indubitable de cet opéra, qui va avoir un succès continu remarquable.
Après Cadmus et Hermione puis Alceste, Thésée, était la troisième tragédie que Lully avait mise en musique sur un livret de Philippe Quinault (1635-1688). Dans les limites des conventions littéraires et poétiques de son temps, son texte est d’une grande qualité reconnue par la critique contemporaine et pas seulement Madame de Sévigné. Signe de son succès, pratique courante à l’époque, d’autres compositeurs la reprendront en France (Mondonville, Gossec) et même, à l’étranger, en italien, le grand Händel en 1713.
Présenté devant des ambassadeurs de toute l’Europe, c’est la signature du prestige du roi, spectacle grandiose à machines, effets spéciaux, du fameux ingénieur Vigarini, dont la technique est aussi à la pointe de son temps. Sans doute avait-il appris de son prédécesseur Torelli, avec lequel il avait collaboré, construisant, entre Louvre et Tuileries, une salle de sept milles places pour y monter l’Ercole amante de Cavalli, commande de Mazarin, mort entre temps, pour célébrer, après le Traité des Pyrénées en 1659, le mariage en 1660 du jeune Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse, qui devait sceller la paix entre la France et l’Espagne. En 1662, le « sorcier » Torelli avait fabriqué d’ingénieuses et gigantesques machines qui avaient fait l’effroi et l’admiration des Parisiens…mais dont le bruit brouillait souvent la musique. Apparemment, rien de tel, treize ans après, avec celles de Vigarini qui avait dû en corriger les indiscrètes nuisances sonores. La jauge de la salle de Saint-Germain, nous dit-on, était de six cents places, ce qui balaie la légende de spectacles baroques précieusement confinés dans de petits lieux pour délicieuses petites voix confites.
Sur place, ce triomphe de Thésée entraîne de nombreuses reprises, avec salle ouverte au peuple comme à l’aristocratie. Repris à la cour pour de grandes occasions, Thésée sera au répertoire de l’Opéra de Paris tout au long du XVIIIe siècle. Signe même de triomphe populaire, la reprise de 1745 inspira deux parodies. Suivra ensuite un silence de deux cents ans, jusqu’en 1998, lorsque William Christie le remontera pour le Festival d’Ambronay.
Si le texte, les effets spéciaux des machines contribuèrent au succès, la musique de Lully avait toujours les faveurs du public puisque l’adaptation musicale qu’en fit Mondonville en 1767 fut un cinglant échec au point qu’on dut rétablir la musique originale.
Après cette évocation du Prologue allégorique, nous reparlerons du sujet et des machines la prochaine fois.
Nous quittons ce somptueux album sur l’air de Vénus, tout enrubanné de vocalises, bel exemple de la déclamation, à la française imposée par Lully l’Italien : texte dans un parlé/chanté tout à fait compréhensible, c’est le récit, le récitatif, (le recitativo italien) avec une petite ritournelle chantante, ourlées de virtuoses vocalises variées dans les reprises, par la toute gracieuse soprano Thaïs Raï-Westphal :
4) PLAGE 3
ÉMISSION (1) N° 710 DE BENITO PELEGRÍN
Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Thésée, tragédie en un prologue et cinq actes.
Christophe Rousset | direction/Les Talens Lyriques/Chœur de chambre de Namur | direction Thibaut Lenaerts/Un coffret de 3CD, Aparté, Notice en anglais et en français. Livret complet avec traduction anglaise.