NOCES FUNÈBRES
Le Nozze di Figaro
Opéra buffa en 4 actes.
Livret de Lorenzo Da Ponte
d’après la comédie de Beaumarchais
La Folle journée ou Le Mariage de Figaro (1785)
Musique de Wolfgang Amadeus MOZART.
Création à Vienne, Burgtheater, le 1er mai 1786
OPÉRA DE MARSEILLE
28 Avril 2024
Reprise de la production de 2019
L’ŒUVRE : Le Roman de la famille Almaviva
Le nozze di Figaro, ‘Les noces de Figaro’ de Mozart, opéra bouffe créé à Vienne en 1786, est avec Don Giovanni (1787) et Cosí fan tutte (1790), l’un des trois chefs-d’œuvre que le compositeur signe avec la collaboration du génial Lorenzo da Ponte pour le livret, poète officiel de la cour de Vienne. Il s’inspire de La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro (1785), volet central de la trilogie théâtrale de Beaumarchais, Le Roman de la famille Almaviva, qui comprend Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile, 1775, ce Mariage de Figaro donc et L’Autre Tartuffe ou la Mère coupable, 1792, en pleine Révolution française, située à Paris.
Dans ce Mariage de Figaro, on retrouve les mêmes personnages que dans le Barbier de Séville : pour les secondaires, don Basile, le professeur de musique intrigant et vénal, pour les principaux, le Comte Almaviva, grand seigneur andalou qui, grâce à l’ingéniosité du barbier Figaro, a enlevé puis épousé la pupille de Bartolo. Rosine sera donc la Comtesse délaissée du Mariage de Figaro. Ce dernier, redevenu valet de chambre du Comte, va épouser le jour même Suzanne, nouveau personnage, camérière et confidente de la triste Comtesse ; la vieille Marceline, obstacle à ces noces car elle prétend épouser Figaro sur la promesse de mariage qu’il lui a faite contre un prêt d’argent qu’il ne peut rembourser. Enfin, un autre personnage essentiel à l’intrigue paraît, Chérubin, un jeune page turbulent et amoureux qui sème involontairement le trouble sur son passage, Barberine, sa mutine et lutine amoureuse, enfin, son jardinier ivrogne de père, Antonio, oncle de Suzanne.
Pièce prérévolutionnaire
Écrite dès 1781, la pièce de Beaumarchais n’est créée que trois ans plus tard, mais censurée pendant des années. Car c’est bien une pièce prérévolutionnaire, dont les répliques contondantes font mouches, comme le féminisme de Marceline, insurgée contre la dépendance des femmes qui ne pouvaient même pas administrer leur fortune, et s’indigne :
« Traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! »
Si, dans le Barbier, Figaro avait deux sentences d’une spirituelle impertinence contre les nobles : « un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal » et déclare impunément au Comte : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? », dans le Mariage, on trouve la fameuse phrase de Figaro devenue la devise du journal éponyme, de même nom : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »
Il y a, surtout, dans le second volet du triptyque, la révolte argumentée du valet Figaro, parfait et loyal serviteur du Comte, qu’il aida à séduire et enlever Rosine : Suzanne lui découvre que son maître ingrat le trahit, veut rétablir le « droit de cuissage » qu’il venait d’abolir, droit du seigneur de posséder avant lui la fiancée de son serviteur, veut coucher avec celle qu’il doit épouser le jour même. Car, tout comme Le Barbier de Séville précédent, c’est aussi une comédie à l’espagnole avec des parallélismes entre les maîtres et les valets, mais ces derniers deviennent aussi premiers, les valets disputent la première place aux maîtres et donnent même le titre de la pièce. Ils entrent en conflit avec eux, pour le moment en secret, avec la ruse, force des faibles. Et c’est la fameuse tirade, le monologue de Figaro, qui annonce la Révolution en dénonçant la noblesse :
« Parce que vous êtes un grand Seigneur, vous vous croyez un grand génie !… Noblesse, fortune, un rang, des places […] Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus… »
Terrible réquisitoire d’un plébéien, d’un Tiers état, qui rue dans les brancards et demandera bientôt l’abolition des privilèges indus de la noblesse.
L’empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette, despote éclairé, favorable à Mozart, écartelé entre libéralisme et conservatisme royal, avait interdit à Vienne la pièce de Beaumarchais, mais pas sa lecture. Il approuva le livret de da Ponte, purgé de ses audaces, du moins la tirade finale impitoyable de Figaro contre la noblesse, qui devient simplement un air convenu contre les ruses des femmes quand il croit que Suzanne a cédé aux avances du Comte.
Cependant, sous la trame d’une ingénieuse comédie aux rebondissements incessants fous et loufoques de cette « folle journée », le conflit entre peuple et noblesse demeure latent et même avoué et ouvert : Figaro, découverts le désir et projet du Comte, décide de le déjouer et le noble, joué, désire se venger sans pitié de ses domestiques. C’est une lutte des classes, dont la franchise est cependant feutrée par le rapport des forces entre le maître tout-puissant et ses serviteurs contraints à jouer les renards contre le lion, la ruse contre la force.
RÉALISATION ET INTERPRÉTATION
Arbitraire décoratif
Je ne peux que répéter ici mon admiration pour la beauté esthétique de l’ensemble déjà apprécié en 2019, sublimé par les lumières changeantes mais toujours expressives de Bertrand Couderc. Tout en regrettant toujours que Vincent Boussard, pour sa mise en scène, ait sacrifié à l’académisme déjà bien vieux de la supposée « modernisation » des œuvres scéniques mis en faveur, dans les années 70, par les Ponnelle et Chéreau, sentant bien fort son demi-siècle usagé, vu, trop vu, qu’on se fatigue de voir, qu’on ne peut plus voir tant cela frôle l’arbitraire et le mépris de l’œuvre intrinsèque, pour la coquetterie, décorative plus que significative, d’un placage extrinsèque d’effets qui finissent par ne plus en faire tellement on en est saturé.
Inutile bric à brac
Avec des superbes costumes d’un XVIIIe siècle réinventé par lui-même avec la collaboration d’Elisabeth de Sauverzac (qui n’est plus citée dans le programme 2024), véritable création saisissante, robes noires à paniers des dames gantées de couleur, perruques vertigineuses défiant tout ce qui se faisait d’audacieux en la manière (et matière), on se demande pourquoi une comtesse en costume pantalons puis lunettes d’aujourd’hui, un Comte et un Bartolo en habits XIXe, puis smoking pour le noble, une Marcelline en vamp hollywoodienne et une Barberine en Bunny de Playboy, une ascétique Suzanne en tristounette tenue noire et petit col blanc de collégienne ou sévère bonne de quelque famille puritaine, un Basile en chapeau melon, un Figaro indéfinissable. Pourquoi ce gramophone, cette voiture d’enfant absent de l’œuvre, ce lampadaire, etc, etc ? Si, comme le metteur en scène le soulignait dans la production de 2019 dans un avant-propos, « cette œuvre [a] une ‘contemporanéité’ définitive », la surligner par ces signes chronologiquement hétéroclites est un définitivement un pléonasme et n’apporte rien, réduits à l’anachronisme hétéroclite et hétérogène.
On se demande pourquoi Figaro, qui ne mesure que de l’œil la pièce que leur octroie la générosité intéressée du comte, attenante aux chambres des deux nobles époux, se réjouit de ce débarras ou dépotoir indigne autant des maîtres que des valets.
En tous les cas, la dimension historique, ce qui reste encore vif chez Da Ponte de la pièce subversive de Beaumarchais malgré l’amputation de la tirade prérévolutionnaire finale de Figaro remplacée par une satire convenue contre les femmes, sombre dans le noir malgré un Figaro juché sur l’échelle peut-être sociale : le triomphe hégélien de l’esclave sur le maître, qui passe sur le devant de la scène, même dans le titre de la pièce. On convient, cependant, qu’il y a deux signes forts de ce renversement social : le Comte laçant les souliers d’un Antonio mal fagoté pour le mariage, et la touchante inversion des rôles lorsque c’est la Comtesse qui habille sa camérière, là, oui, magnifique robe blanche comme la tardive version en noir de la Comtesse, fleur nocturne issue de la nuit étrange du jardin.
Fantômes encombrants pour huis clos expressif
Sans qu’on comprenne pourquoi ces fantomatiques personnages, à l’indiscrète présence envahissant jusqu’aux loges d’avant-scène, interviennent dans l’action, ouvrant, fermant des portes, renversant une chaise, déplaçant le fusil du comte, détournant et parasitant l’attention de la musique et du jeu, du vrai théâtre qu’est cet opéra où tout du texte et musique est si miraculeusement imbriqué qu’il semble qu’il n’y a qu’à les suivre humblement pour les servir, comme la scène du déguisement de Chérubin avec Suzanne et la Comtesse où tout, de la gestuelle et du jeu, est précisément, génialement dicté par texte et musique : on peut s’écarter du texte pour en tirer du sens, mais s’en écarter pour ne rien apporter, est plus qu’une faute : une bêtise.
On concède l’intéressante idée de mise en scène, cette cour (comme royalement et égoïstement isolée au monde) fermée sur trois côtés, vase ou champ clos sur lui-même orné de planches scientifiques semble-t-il de l’Encyclopédie, ou du moins dans le style, mais qui en deviennent cabalistiques. Sur ce plancher d’en bas se penche du haut d’un parapet ce public privilégié avec une curiosité, sans doute plus intellectuelle qu’affective, malsaine, morbide, d’une société savante au rationalisme poussé à l’excès : l’humain comme un spectacle et objet d’expérience. Au-delà de l’érotisme pervers, Sade, c’est cela. Les animaux empaillés, peut-être reliques muséales de l’Ancien Régime, sont peut-être déjà le résultat de semblables expérimentations. Qui nous font frémir de tant d’autres que l’Histoire a connues.
Mais on regrette que cette métaphore ne puisse être filée longtemps, l’œuvre résistant de tous ses bords, réduisant ce somptueux public oisif, indiscrets témoins, à faire une sorte de figuration scénique inutile et encombrant l’espace. Les robes flashy, rose, vert, jaune cru, des jeunes filles chantant le généreux seigneur qui a aboli le droit de cuissage illuminent un moment la noirceur ambiante dans ces tons finalement variés de noir qu’on dirait inspirés des variations les plus subtiles de Soulages.
Il reste ce cube, chambre et antichambre de la Comtesse au plancher déclinant de fin de dynastie ou de régime, aux parois ornées d’une luxueuse tapisserie rasante de Vincent Lemaire, que les lumières latérales ou plongeantes de Bertrand Couderc doteront d’une vie, d’une suffocante beauté avec ces portes et fenêtres indiscernables pour des personnages pris au piège comme des animaux dans une cage, des insectes dans une boîte fermée d’un onirique voile, prolongation sans doute de l’expérience. Mais laquelle ? Si c’est le couple en crise, c’est aussi intemporel que tout mariage…Cependant, on goûte le raffinement esthétique de l’ensemble et ces projections de fonds de tableaux d’époque, Goya, Tiepolo ou Gainsborough, qui apportent une éclaircie de rêve à ce qui, estompant le bouffe, est bouffi de noirceur. Au rythme près, de comedia dell’Arte, de comédie mécanique de l’ouverture et fermeture répétée de ces portes qui ne claquent pas, de ces fenêtres dont une seule, on l’apprend par le saut de Chérubin, donne sur un jardin. Et un parc somptueux aux arbres animés ou inanimés par la lumière ou l’ombre.
Rajouts de scènes et suppressions
Avec l’inévitable nécessité de changement de décor et de costumes pour les choristes parfaits (Florent Mayet) imposant deux « précipités » allongeant par trop la longueur du spectacle, alors qu’il y a toujours des scènes amputées pour justement alléger la longueur de l’opéra, nous avons ici le rajout de certaines brèves scènes, traitées en inutile mimodrame muet (Barberine/ Chérubin, etc.). Quitte à rallonger, alors, pourquoi ne pas rétablir l’air final de Marcelline (contestataire féministe dans Beaumarchais), qui exprime chez Da Ponte/Mozart une « sororité » prémonitoire avec Suzanne et les autres femmes contre la cruauté des hommes ? D’autant que ce menuet, Il capro e la capretta, est le seul air à vocalises, à cadences virtuoses. Encore baroque, il donne la mesure d’un personnage sans doute du passé dans cet opéra conversation de l’avenir. Il y a aussi l’air toujours coupé de Basile, le seul air de ténor de l’œuvre, exprimant la nostalgie du passé, qui montre combien Mozart se préoccupait de laisser de l’air, des airs, aux personnages secondaires. Il est vrai que, s’ils apportent à la psychologie humaine des deux personnages datés, ils retardent une action qui va se centrer au final sur Figaro et Suzanne pris dans le jeu de dupes de leur deux airs respectifs, moments de rage pour lui, de grâce pour elle, mais, à part le suffocante beauté de la musique, une enfilade de clichés, homme dépité et femme se jouant de sa jalousie.
Vivifiante direction
En saluant le continuiste inventif au pianoforte, qui soutient les récitatifs, on regrettera l’absence de son nom dans la distribution, à moins que ce ne soit Astrid Marc, simplement indiquée « Pianiste/cheffe de chant ».
Le tout nouveau directeur de la musique, le flambant Michele Spotti, enflamme littéralement l’Orchestre de l’Opéra de Marseille par une vivacité sans faille, un tempo électrisant qui rend à la folie cette « Folle journée », sous-titre de l’œuvre. Il entre par la grande porte dans le cœur reconnaissant du public mélomane de notre Opéra qui, avec l’orchestre, lui réserve une éclatante ovation méritée. Seul regret pour l’Espagnol qui écrit ces lignes, le fandango. Mozart l’emprunte au ballet Don Juan de Glück (1761) qui l’emprunte lui-même à un air à la mode à Vienne. Spotti l’expédie si prestement qu’il en perd son caractère de danse, sans qu’on en sente la géométrie, les arêtes toujours découpées, sans « barbe », des rythmes espagnols qui trouvent toujours dans des lignes sensibles la sensualité élégante de la danse.
Mais on sent avec bonheur le contrôle sans faille, dans un heureux consentement, des chanteurs transcendés dans leur jeu par cette direction de feu. On apprécie le traitement des personnages pittoresques : un Don Curzio juriste (Carl Ghazarossian) affublé d’un masque de médecin du temps réchappé de l’expérience ou de la peste, ironique oiseau poussant des cris perçants sur une haute branche perché, comme un caquetant corbeau de mauvais augure pour cette société, un Antonio (Renaud Delaigue), haute stature et figure avinée et ravinée, laissant percer la brute patriarcale avec droits sur les femmes face à Figaro, autoritaire avec sa nièce Susanna, vainement grondant avec son espiègle et gaffeuse fille Barbarina, l’adorable Ammandine Ammirati, qui perd l’épingle, sans doute sa virginité, mais pas le nord en prenant le Comte à son piège de maître harceleur, lui arrachant le consentement de son mariage avec Chérubin. Tout aussi réussi que dans la version 2019, aussi ondulant dans sa soutane sous son chapeau melon incongru qu’insinuant et jubilant de malice perverse, le Basilio de Raphaël Brémard, distillant le venin ironique de son « quel ch’ho detto era solo un mio sospetto… »
Venus empêcher le mariage de Figaro, couple qu’on marierait aussitôt s’ils ne le faisaient plus tard, la plaignante Macellina et son avocat Bartolo, vieux complices ou compères d’autrefois. Frédéric Caton, bougon, grognant, rumine la vengeance contre Figaro qui lui ravit Rosina, en lisant, comme s’il se répétait le code des lois, dans une technique vocale bouffe de ces airs de liste, d’énumération accélérée, dont le catalogue de Leporello sera un modèle. La Marcellina de Mireille Delunsch, retrouvée avec bonheur, pratiquement caricaturée toujours en vieille femme indigne saisie par le désir, n’en ferait pas une indigne conjointe de Figaro, qu’elle couve d’un œil frugivore, à notre époque qui inverse heureusement les rapports d’âge entre les couples, passant le relais aux dames arborant un jeunot : dans leur piquant duo, sa belle allure contredit la méchanceté de Suzanne tout en justifiant ironiquement, son trait qui semble vérité : « l’amore di Spagna ».
Le Cherubino d’Eléonore Pancrazi est le garnement sympathique qu’on attend et on lui réserve un accueil chaleureux, palpitant et fiévreux dans son premier air fiévreux, teinté de mélancolie dans sa romance à la Comtesse malgré la suite escamotée du travestissement. Mais jolie trouvaille de scène, l’adolescent s’adresse alors, dans son désir vague sans objet particulier mais général, à l’ombre, à l’effigie, à la silhouette d’une femme absente, fantasme rêvé, qu’il étreint comme une poupée gonflable.
Le Comte, qui finalement est vaincu par la coalition des femmes et du valet, est souvent intelligemment mis hors-jeu, isolé par le rideau d’un monde qui le dépasse, qu’il ne contrôle plus : vaincu. C’est une image plus dramatique que bouffe, mais frappante et plausible dans son expressivité. La baguette légère du chef, paraît déjà le fustiger mais souligne la légèreté de ce coureur de jupons campé par un Jean-Sébastien Bou, à la voix redoutablement acérée comme l’épée —absente— dont parle le texte avec insistance, remplacée —bêtement—par un fusil pour tuer le page, revenant dans la boîte à malice du piège du placard de la chambre de la Comtesse, sans les outils qu’il était parti chercher pour en forcer la porte. Redoutable époux caldéronien sur un simple soupçon d’infidélité de sa femme, infidèle par principe ou droit arrogant de naissance au-dessus des lois, il laisse exploser une peu noble rage, ivre de vengeance contre les serviteurs inférieurs dont il l’entend qu’ils l’ont roulé.
La digne épouse de cet indigne mari, c’est Patrizia Ciofi. ue dire que je n’aie déjà dit sur cette superbe et émouvante interprète dans chacun de ses rôles? Magnifique image, toute de noir vêtue, adossée à l’embrasure noire d’une porte, seul son visage blanc éclairé d’une lumière tombante, plus que la femme mélancolique habituelle, humiliée, par sa simple posture, elle est presque une héroïne tragique au bord du désespoir dans son premier air, qui serre le cœur dans sa sobriété douloureuse, filant des sons à l’infini du souffle dans le second, de cette voix ronde, boisée, égale, aux aigus sûrs, secouée soudain par la révolte puis soulevée d’espoir : une prise de rôle bouleversante par sa vérité en 2019, affinée, raffinée et tout autant pleine de vérité humaine dans celle-ci. Elle adhère et s’arrache à son ombre projetée quand elle chante les ombres heureuses du passé enfui.
Crise du couple : le couple de domestiques n’y coupera pas non plus dans le pessimisme ambiant de cette réalisation cohérente, au moins en cela, dans sa noirceur. Susanne est d’une gravité accusée par son strict costume de couventine sans grâce. Heureusement, par sa grâce scénique, Hélène Carpentier l’arrache à cette pesanteur, même si, encore une fois, dans une pièce bouffe malgré tout où les gifles volent dans la logique du genre, la mise en scène la prive de celles qu’elle dispense, en texte et musique, à Figaro ; elle est touchante de crainte et de malice dans le duettino, scène réussie, avec le Comte et suspendra les cœurs de délicatesse dans son air final dit des « Marronnier » où elle joue un Figaro égaré aux écoutes. La voix ruisselle comme le ruisselet qu’elle évoque, bouillonne de volupté retenue.
Son Figaretto, Robert Gleadow, dont la masse corporelle ne justifie pas forcément ce doux diminutif le justifie peut-être par son art, très ludique et bouffe de souplesse bondissante qui dit celle de son esprit sans cesse inventif. La voix est ronde, pleine, riche, mais, sans doute émoussée par des revêtements feutrés du décor et une mauvaise place par la mise en scène, sensible aussi pour Bartolo, elle semble manquer de mordant dans son premier air, alors qu’il est tout muscle et nerfs dans son jeu convaincant.
Encore un triomphe pour un Opéra de Marseille plein d’un enthousiaste public. Benito Pelegrín
Opéra de Marseille
Le Nozze di Figaro, Da Ponte/Mozart
Production Opéra de Marseille
Direction musicale : Michele SPOTTI
Assistant direction musicale : Federico TIBONE
Mise en scène et costumes Vincent BOUSSARD
Assistante mise en scène : Diane CLÉMENT
Décors : Vincent LEMAIRE
Lumières : Bertrand COUDERC
Assistant lumères : Julien CHATENET
Régisseur de production : Jean-Louis MEUNIER/ Régisseur de scène : Camille BIDAULT/Régisseuse de figuration : Alexandra BEIGNARD
Surtitrage Richard NEEL /Régie de surtitrage Qiang LI
La Comtesse Patrizia : CIOFI
Suzanne : Hélène CARPENTIER
Chérubin : Eléonore PANCRAZI
Marceline : Mireille DELUNSCH
Barberine : Amandine AMMIRATI
Le Comte Almaviva : Jean-Sébastien BOU
Figaro : Robert GLEADOW
Bartolo : Frédéric CATON
Don Basilio : Raphaël BRÉMARD
Antonio : Renaud DELAIGUE
Don Curzio : Carl GHAZAROSSIAN
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille/ Chef de chœur Florent MAYET
Pianiste / cheffe de chant Astrid MARC
Photos Christian Dresse
Photos Christian Dresse
- Suzanne et le Comte surpris dans le jardin;
- Le comte, Chérubin, Figaro, Suzanne;
- Le piège de la chambre de la Comtess;
- Comtesse et Comte recevant l’hommage des jeunes filles;
- Curzio masqué, Bartolo, Figaro, Marcelline;
- Prélude au mariage;
- La Comtesse bafouée.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.