MÉDITERRANÉE, Opérette en 2 actes de Francis Lopez, livre de Raymond Vincy
NOUVELLE PRODUCTION
Méditerranée est une opérette en 2 actes et 20 tableaux d’après un livret de Raymond Vincy et la musique de Francis Lopez, ce dentiste né en France de parents du Pays basque, mais à cheval sur l’Espagne et le France. Elle représentée pour la première fois à Paris au théâtre du Châtelet, en 1955, avec faste et succès. C’est un hymne, un peu facile, il est vrai, à la Méditerranée, avec tous ls clichés, que l’on dirait touristiques, évoquant son charme, son atmosphère et, naturellement, son soleil, il est vrai aussi que c’est notre grand privilège encore, tant qu’il ne brûle pas trop avec ce changement climatique qui nous menace.
Fernand Sardou
Dans la distribution, avec nombre d’acteurs et chanteurs qu’on a oubliés depuis, les deux premiers rôles masculins étaient incarnés par deux vedettes. Le second, par un chanteur né à Avignon, mort à Toulon, Fernand Sardou, père de l’actuel Michel Sardou —qui travailla comme serveur puis débuta dans le cabaret paternel. Ayant fait ses débuts juste après la guerre en 1946 en vedette américaine, c’est-à-dire en première partie d’un récital d’Édith Piaf, Fernand Sardou était devenu aussitôt célèbre avec une chanson, un concentré de clichés guère flatteurs sur notre Midi, un éloge cynique et égoïste du farniente de la fainéantise :
« Aujourd’hui peut-être ou alors demain, ce sacré soleil me donne la flemme… »
Il incarnait un anti-héros placide et plaisant, qui remet toujours au lendemain ce qu’il y a d’urgent à faire et qu’il ne fera sans doute jamais : « il fait trop chaud, car la terre est base dans notre Midi ». Et imaginez, quelle provocation : nous sommes en 1946, au sortir de la guerre dans un pays ravagé, bombardé, où il faut presque tout reconstruire. Pensez au dynamitage de notre quartier du Vieux-Port par les Allemands, dont on n’avait même pas commencé la reconstruction.
Fernand Sardou, avec sa faconde, son accent appuyé, sa décontraction, devint très populaire, c’était l’acteur-chanteur méridional préféré des Français, mais multipliant, avec les pagnolades à la mode, une image guère flatteuse des Méridionaux, des Marseillais, dont il faut bien dire qu’ils se plaisent souvent à cultiver lourdement ces caricatures d’eux-mêmes, le pastis, la pétanque, qui font rire les gens du nord, mais rire jaune ceux qui se sentent discrédités par ces stéréotypes préjudiciables à leur sérieux…
Tino Rossi
Mais la vedette masculine, à coup sûr, c’était Constantino Rossi, universellement connu comme Tino Rossi, au sommet de sa gloire mondiale, qui a même refusé un pont d’or à Hollywood. Lui, petit Corse pauvre, qui a vivoté de petits métiers à Marseille pour survivre, remarqué pour sa voix naturelle de tenorino, la douceur de miel de son timbre admiré même de la Callas pour son incomparable interprétation de l’Ave Maria de Gounod. Avec Tino Rossi, c’est toute une autre série de clichés qui sont filés : chanteur de charme au physique vraiment charmeur de « latin lover », ‘amant latin’, voix de velours roulant voluptueusement encore les r, donneur de sérénades romantiques à la mandoline sous le balcon des belles.
Version de l’Odéon : les chansons
L’opérette de ce type est à géométrie variable quant aux chansons souvent interchangeables hors quelques-unes bien ancrées dans l’intrigue, qui est parlée les airs n’exprimant alors, comme dans les opéras baroques après les récitatifs, qu’un affect, un sentiment, forcément général, amours, dépit amoureux, jalousie, haine, qui peut passer d’une œuvre à l’autre, ou qui peut s’en passer.
Ainsi, Carole Clin me, semble-t-il, en a justement éliminé certaines qui font par trop cliché folklo de cette région du monde idéalisée en carte postale où ne règne que la joie de vivre, avec le thème répétitif du soleil qui ne souffre aucune ombre, surtout pas dans les rengaines qui le répètent avec le même titre ou à peu près dans diverses autres œuvres, ce soleil frappe tant qu’on s’y perd. (« Le pays du soleil », « Le soleil de Marseille »). Mais peut-être aurait-elle pu laisser, au risque du poncif, « L’Amour est un soleil » à la belle Paola de Perrine Cabassud, réduite à deux airs, mais qui chante avec une séduisante conviction « Les filles d’Ajaccio », dont la fidélité traditionnelle est ici bien en place par le lieu et la situation, la molle tentative de séduction de son fringant futur beau-frère, Mario de Juan Carlos Echeverry qui, lui, reprenant le rôle de Tino Rossi, évidemment la vedette, se taille la part du lion bien chantant, charmeur il est vrai, à quelques demi-teintes près en voix de tête, de falsetto à la mariachi mexicain accusant trop de différence, de volume, couleur et projection, avec sa belle voix ronde et homogène, mûrie et élargie désormais dans le médium.
Couples
Ce déséquilibre en airs entre les deux personnages, en principe les deux jeunes premiers, accuse justement celui de ce faux couple qu’on dirait inexistant qu’on voit peu ensemble et, s’il la mène au bal, on ne l’entendra pas lui susurrer le séducteur « Tango Méditerranée », pensant faire la conquête de la fiancée de son frère Matteo, tête brûlée, alors qu’il enquête sur le meurtre imputé à ce dernier. Et même ce vague sentiment amoureux entre Paola et Mario est à peine ébauché, sans déboucher sur rien et prendre corps, encore moins physique.
On ne voit guère plus le couple supposé du héros Mario avec Conchita, l’amoureuse réduite aussi à la part congrue. Depuis le Brésilien d’Offenbach venu goûter à la vie parisienne, les latino-américains ne peuvent être que riches, et il le fallait pour pouvoir venir de si loin. Ce n’est qu’au dernier tiers du XIXe siècle, qu’on aura les hordes de malheureux exilés pauvres fuyant les horribles dictatures. Mais pour cette mouture, si Estelle Danière, par son physique pourrait parfaitement incarner (au sens propre, en belle chair) l’une de ces femmes affriolantes et affolantes, avides d’amour dont fantasme l’opérette, casi muette ici, à l’inverse de l’impérieuse Amparita de Quatre jours à Paris, on la voit plus harcelée par le collant et coulant Dubleu qui voit la vie en rose et sourire, l’éternellement souple Dominique Desmons , qu’accouplée et assortie au héros. En somme, malgré un vague amour pour la fiancée en désamour avec son frère, germe possible d’un conflit qui pourrait finir en vendetta en Corse et nous tenir dans une angoissante haleine, le héros sans héroisme visible ne fait que fade figure dramatique et couple sommaire avec les deux femmes postulantes au titre.
En réalité, à défaut des jeunes premiers ankylosés dans des rôles conventionnels, c’est le mobile couple des seconds, Juliette et Mimile, qui devient le premier théâtralement parlant et dansant et chantant, nous régalant d’acrobaties en prime, Julie Morgane et Fabrice Todaro, passant de Joyeux campeurs à décampeurs, campant des rôles et accents divers, corse pour lui plus vrai que nature, puis filou marlou, et parigote presque Arletty pour elle, s’entendant comme larrons en foire, foirant parfois l’enquête criminelle, frôlant le polar, portant à l’avant-scène l’intrigue policière dont les péripéties, avec faux suspect et découverte du vrai coupable, se passent dans les coulisses : un gendarme mort dans une fusillade et Matteo en fuite dans le maquis, aurait pu donner à l’opérette une dimension inédite qui ne sera ni dite, ni maudite, mais à peine ébauchée en dehors des bribes tissées par notre couple de détectives malgré eux.
Comme en copie décalquée mais claquante de ces couples, celui à géométrie variable comme veuve qui ne varie pas, ou à peine entre sabre (le gendarme gradé d’humour de Claude Deschamps) et le goupillon du curé dégradé d’apéro mais sans doute pas de vin de messe à haut degrés (Jean-Claude Calon), c’est bien le couple, les couples alternatifs de l’Annonciade, entre servante maîtresse de l’homme au képi ou bonne —que dis-je ?— gouvernante de l’homme en soutane, qui a le naturel confondant d’innocence évidente de Simone Burles, fidèle veuve pas triste mais pas joyeuse pour autant, dit-elle, sauf pour nous tant elle est une figure, je répète, naturelle, de comédie, qui nous ferait même croire, à son accent de chez nous, pas de pinzuti, à celui de la Corse.
On entend aussi l’accent corse de Grégory Juppin, excellent artiste qu’on regrette de trop peu voir, en Matteo, mouton noir écervelé d’une famille dont on évoque la mère sans la voir, prudent contrebandier de cigarettes imprudemment passé à trafiquant d’armes, filon folklorique corse dont, en 1955, on ne pouvait deviner les historiques futures possibilités. Mais, même si l’intrigue se corse en Corse, on ne joue pas au feu dans les opérettes gentillettes. Comme toujours, les comparses multi-rôles ne sont pas maltraitée : Sabrina Kilouli, Jean-Luc Épitalon, Jean Goltier et comme toujours, le chœur (Rémy Litolff), autant qu’en chant, est intégré en jeu et danse autant que la gestique si bien rôdée de Carole Clin, sa grammaire chorégraphique de gestes rythmiques codifiés, se fond aux codes et rythmes de la chorégraphie pittoresque, folklorique, de Maud Boissière.
Pour les décors (Loran Martinel), après le minimalisme du studio télé du début, nous promène en projections en Corse, village, maquis, maisonnette de la mère dont la porte (de l’extérieur baillant théâtralement sur le dehors !). Pour les costumes (Opéra e Marseille), je ne jurerais pas qu’ils sont tous corses, du moins par la couleur, mais cela fait de beaux tableaux colorés.
Mais pour la couleur locale musicale, sur un rythme de marche triomphale, mais pas martiale heureusement, pas guerrière même si elle évoque un Napoléon chantant sa propre gloire près de sa maison avec filles et garçons, c’est un tableau idyllique qui est dressé d’une nuit sur une place d’Ajaccio, Aiacciu, qui finit sur l’hymne national de la Corse, l’Ajaccienne, qui fait crépiter les applaudissements et les bravos. Que nous ne lésinerons pas à Bruno Conti à la direction musicale, dont on sent le plaisir, qui gagne le public, qui entonne en chœur l’autre marche triomphale enfilant les clichés sur nos régions, féeriques, paradisiaques, où tout le monde chante, condensés dans le fameux « Méditerranée » que nos amis de l’Odéon nous pardonneront, faute d’un enregistrement de leur interprétation à citer, celle, classique, empathique et sympathique de Tino :
FIN
Benito Pelegrín
MÉDITERRANÉE
De FRANCIS LOPEZ
Odéon
24 mai 14h30
Direction musicale : Bruno CONTI
Mise en scène : Carole CLIN
Chorégraphie : Maud BOISSIÈRE
Décors : Loran MARTINEL
Costumes : Opéra de Marseille
Paola : Perrine CABASSUD
Juliette : Julie MORGANE
Annonciade : Simone BURLES
Conchita Cortez : Estelle DANIÈRE
Mario Franchi : Juan Carlos ECHEVERRY
MIMILE : Fabrice TODARO
Padovani : Jean-Claude CALON
Cardolacci : Claude DESCHAMPS
Dubleu : Dominique DESMONS
Le producteur / Angelotti / Le capitaine Jean-Luc ÉPITALON L’acteur / Joseph / Charlot / 2e curé Jean GOLTIER
Orchestre de l‘Odéon
Benoît SALMON, Marie-Laurence ROCCA, Samia ZIDI, Marie HAFIZ, Isabelle RIEU, Alina FAIRUSHINA, Pascale GUÉRIN, Jean-Florent GABRIEL, Éric CHALAN, Virginie ROBINOT, Olivier JACQUON, Jean-Baptiste LEGRAND, Xavier BAPELLE, Marc BOYER, Thierry AMIOT, Aurélien HONORÉ, Florian BELLON, Alexandre RÉGIS, Caroline DAUZINCOURT
Pianiste répétitrice : Caroline DAUZINCOURT
Ballet : Marion PINCEMAILLE, Anne-Céline PIC-SAVARY, Rudy SBRIZZI, Guillaume REVAUD, Idir CHATAR
Chœur Phocéen : Alessandra FIORELLA, Sabrina KILOULI, Rosanne LAUT, Esma MEHDAOUI, Katherymne SERRANO, Manon PIZZECHEMI, Wenhua YUAN, Damien BARRA, Laurent BŒUF, Sylvio CAST, Angelo CITRINITRI, Jacques FRESCHEL, Roman PANZER, Clément PONS
Chef de Chœur : Rémy LITOLFF
Photos Christian Dresse :
- Couple, faux, de jeunes premiers ;
- Couples faussés, Mario entre Paola et Conchita flanquée de M. Bleu ;
- Vrai couple meneur de jeu : Juliette et Milou ;
- Vrai couple, rêvé, du curé et son aspirante bonne ;
- Couple de joyeux campeurs et gendarme qui ne règle ni la circulation ni la situation.
- On danse à Ajaccio, Aiacciu pur les amis.
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