Le flamboyant ABDEL RAHMAN EL BACHA illumine la Roque!
Quel plaisir de retrouver le maître français d’origine libanaise, Abdel Rahman El Bacha. Tout de noir vêtu, toujours très élégant, il joue Chopin à merveille. L’Andante spianato et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur opus 22 du jeune polonais prépare le Concerto N°2, si passionné. Main gauche arpégée, précision d’horloge, et des attaques main droite si majestueuses. El Bacha a une façon particulière de respirer, de poser la musique. Les ornements, les trilles ne brouillent jamais le thème principal, ce sont des guirlandes, des tableaux qui ornent la mélodie directrice dans un équilibre exquis. Le jeune chef Benjamin Levy dirige l’Orchestre national de Cannes avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie. Il semble ému de partager cette première partie avec le grandiose pianiste. Chopin écrit ses deux concertos pour piano, au début de sa carrière, 1829-30, années heureuses d’un jeune polonais romantique, avant son départ pour Paris…
Le Concerto N°2 pour piano et orchestre en fa mineur opus 21 est, en fait, le N°1, mais plusieurs fois remanié, il sera édité après le premier Concerto, en mi mineur. Chopin est déjà une star en Pologne en 1829; il a 19 ans, et on a, dans ce chef-d’œuvre, tout le résumé de sa vie, entre exaltation romantique et patriotisme exacerbé. Avant de quitter définitivement la Pologne, à 20 ans…
Le mouvement Maestoso est impressionnant, tourmenté. Le Larghetto sublime, élégiaque, tel un air de bel canto de Bellini, est dédié à Konstanze Gladowska, dont Chopin était amoureux. Abdel Rahman El Bacha imprime ce lyrisme frémissant avec majesté.
Le troisième mouvement Allegro vivace est un Rondo sur un rythme de Mazurka. Ce mouvement est souvent joué très vite, surinterprété, il est ici un mouvement de danse sautillant. Le pianiste est un prince, son interprétation est magistrale, spectaculaire puis intimiste, sans emphase. La part belle est faite à la virtuosité chez Chopin, mais El Bacha ne subordonne jamais sa pensée à la stricte virtuosité, la profondeur émotionnelle le guide avant tout.
La deuxième partie permet au chef et à l’orchestre de plus se libérer. Ravel, avec Le Tombeau de Couperin, rend hommage à la musique française baroque. Des six pièces dans le style des Suites de danses, quatre sont jouées ce soir: Prélude, avec beaucoup d’élan et de panache. L’orchestre retrouve des couleurs, l’apport d’instruments à vent permettant des couleurs plus expressives. La direction est très fluide, très dynamique, la Forlane, sur un rythme de Sicilienne, détaille magistralement chaque pupitre, des harmonies audacieuses, entre dissonance et modalité. Le Menuet très raffiné avec des dialogues savoureux flûte/hautbois. Rigaudon sublime l’Orchestre national de Cannes.
La Symphonie n°1 en ré majeur opus 25 “Classique” de Prokofiev est composée dans le ton de ré majeur et comporte quatre mouvements.
Dès le premier mouvement Allegro, une belle complicité s’installe entre le chef et l’orchestre. Le Larghetto rappelle le Stravinski de Pulcinella. La Gavotte est une danse rapide, binaire, s’insérant, habituellement, entre la Sarabande et la Gigue. Benjamin Levy dessine tous les motifs et s’épanouit dans la force de cette musique moderne aux accents néo classiques.
Le Final est une cavalcade étourdissante. Chef et orchestre se lancent dans un crescendo titanesque, départ à chaque pupitre d’un dynamisme incroyable.
Prokofiev s’amuse avec cette signature, pas si conservatrice que cela! Lui, si malmené par la dictature soviétique pour ses œuvres trop avant gardistes pour le Régime. Ce sera une véritable ovation du public le 21 avril 1918 à sa création, à Petrograd (Saint-Pétersbourg aujourd’hui). La section de propagande du Parti Communiste avait été rude pour le compositeur: le nouvel opéra de Prokofiev, monté à Leningrad, présente de graves défauts au point de vue idéologique et artistique, formules si souvent répétées concernant la musique du grand Sergueï reconnaissant, par courrier, que ces critiques étaient justifiées.
Destin cruel: Prokofiev disparut le même jour qu’un certain Joseph Staline, le 5 mars 1953 et il n’y avait plus de fleurs pour accompagner sa dépouille! Certains dirent qu’il mourut…de joie, à l’annonce de la mort du dictateur, quelques heures avant la sienne!
Benjamin Levy est heureux d’être là ce soir. Après les derniers applaudissements, le chef, debout depuis son estrade, s’adresse au public: Quelle chance, quelle émotion d’avoir pu jouer avec le maître Abdel Rahman El Bacha. Dans la deuxième partie, 2 compositeurs du XXème siècle faisant référence au passé. Ravel avec ses clins d’oeil à la musique baroque et Couperin, Prokofiev avec sa symphonie classique. Il est toujours intéressant de regarder le passé, notre héritage; il est important aussi de regarder en face nos erreurs passées et de ne plus les refaire!
Profitons, pour l’instant, de ce présent magique!
Yves Bergé
En une: AR El Bacha B Lévy Orchestre de national de Cannes © Pierre Morales 2024
Mardi 23 juillet 2024
Festival international de piano de La Roque d’Anthéron
Abdel Rahman El Bacha piano
Orchestre national de Cannes
Benjamin Levy direction
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