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Roque d’Anthéron 2024: Nelson Goerner éblouissant.

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Des ornements baroques aux passions romantiques.

Toujours discret, posé mais sûr de son art, le pianiste argentin Nelson Goerner propose une lecture magnifique de la Chaconne en sol majeur HWV 435 de G.F Haendel. Cette danse ou chanson populaire est devenue, au XVIIème siècle un genre musical basé sur un thème suivi de variations. Un thème de tempo lent est exposé de manière solennelle, rappelant les ouvertures à la française de Jean-Baptiste Lully. Les variations qui suivent font alterner mouvements lents et rapides. Goerner ne surjoue pas sur un instrument si brillant, loin des sonorités baroques, plus aériennes et légères du clavecin ou pianoforte. Il n’est pas piégé par le son du magnifique Steinway, c’est lui qui décide, qui imprime, qui garde le cap. Allegro, Adagio, majeur, mineur, les variations s’enchaînent merveilleusement. Goerner dessine le thème puis libère les variations, soit jubilatoires, soit plus planantes. Dans l’esprit de la Follia d’ Arcangelo Corelli (1700), les lignes mélodiques se superposent dans un riche contrepoint.

Les Davidsbündlertänze (Danses des compagnons de David) opus 6 de Robert Schumann sont, malheureusement, peu jouées. Loin d’autres œuvres de Schumann qu’on entend si souvent: Carnaval, Scènes d’enfants, Kreisleriana, Concerto pour piano..., ces 18 pièces sont le portrait artistique, humain, affectif d’un Schumann amoureux, passionné, révolté. Sa liaison avec Clara est barrée par le père de celle-ci, Friedrich Wieck, célèbre pédagogue et facteur de piano très influant. Wieck voit d’un très mauvais œil cette idylle entre Clara et Robert, il s’y oppose farouchement, jugeant ce dernier élève très instable. Robert Schumann n’est pas encore un musicien reconnu, son talent pianistique est inférieur à celui de Clara, la surdouée des élèves Wieck, et ses études de Droit à Leipzig ne sont pas bien concluantes. C’est dans ce contexte tourmenté que Schumann se lance dans la composition de ce cycle si contrasté. Nelson Goerner, sans partition, déroule ces 18 tableaux avec une technique époustouflante et une musicalité hors du commun. 18 états-d’âme mélancoliques ou humoristiques, tendres ou révoltés, élégiaques, apaisés ou affirmés et si passionnés. On sent cette lutte permanente chez Schumann-Goerner puis ces respirations magiques; arpèges étourdissants à la main gauche, thème main droite très soutenu, sauts d’octaves ou accords puissants, thème agité main gauche puis grande ligne mélodique main droite, autant de combats, de cavalcades, entrecoupés de silences, de pauses, de rêverie. Tout Schumann est là, écorché vif, amoureux. Le dernier Nicht schnell (Pas vite) est comme un cri sourd dans les très graves notes du piano, une révérence caustique et désespérée. Goerner est magistral.

Quatre pièces de F. Liszt allaient permettre au pianiste argentin de se libérer encore plus: Ballade n°2 en si mineur S. 171, Sonnet de Pétrarque n°104, extrait des Années de pèlerinage 2ème année (Italie), Valse oubliée n°2 en la bémol majeur S. 215, Rhapsodie hongroise n°6 S. 244.
Liszt compose deux Ballades qui ne sont, là aussi, pas ses œuvres les plus connues. La seconde que joue Goerner est en si mineur. De forme Sonate, avec ses thèmes très contrastés, tragiques puis lyriques, elle déploie des guirlandes grandioses dans un immense développement thématique.

La Deuxième Année de Pèlerinage nous transporte en Italie, où, avec Marie d’Agoult, sa maîtresse, comtesse et femme de lettres, Liszt passe des jours heureux. La naissance de leur fille Cosima, en 1837 à Bellagio, sur le Lac de Côme, sera le couronnement de cet amour. Cosima, future Madame Wagner.

La Première Année avait pour décor la Suisse. La Troisième Année est un opus conclusif plus introspectif, plus méditatif, sans référence à aucun souvenir ni région particulière. Entre les voyages et les compositions de ces Trois Années de Pèlerinage, Liszt continue inlassablement ses tournées triomphales de concerts dans toute l’Europe. Le Sonnet de Pétrarque N°104, hommage au poète italien du Trecento, est un magnifique thème lyrique, surprenant de modernité. D’un romantisme exquis, ce quasi bel canto e amoroso alterne Agitato assai et Adagio. Liszt esquisse, dessine, développe, Goerner se délecte de sa puissance pianistique. Allers-retours permanents. Flux, reflux sur tout le claver. Le pianiste est prodigieux.

La Valse oubliée N°2 en la bémol majeur S.215 est une pièce espiègle aux motifs resserrés puis plus étalés. Précision diabolique dans un rythme haletant et brillant.

La Rhapsodie hongroise N°6 S.244 sonne comme un hymne à la liberté avec sa tonalité de Ré bémol majeur très incisive. Départ théâtral puis thème en octaves très enlevé. Une partie plus sereine, comme un questionnement, prépare le déferlement final éblouissant. Goerner est étourdissant; il joue Liszt de manière virtuose, avec une technique très soignée, mais sans l’emphase, la grandiloquence habituelles qu’on colle trop souvent au compositeur hongrois.

Le public applaudit debout…longuement… Une nouvelle soirée magique à la Roque !

Yves Bergé

Photos copyright P. Morales

1er août 2024

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Nelson Goerner, piano

Rmt News Int • 3 août 2024


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