Zoé, une femme invisible : personnage inspiré de la trilogie de M. Pagnol
Zoé est une pièce bouleversante qui a été jouée au Théâtre TOURSKY ce samedi 16 novembre 2024. Elle est signée Gilles ASCARIDE et interprétée par Marie FABRE.
Gilles Ascaride, auteur de cette pièce, s’intéresse à des questionnements humains profonds, notamment ceux liés à la quête de soi, aux rapports familiaux et aux choix individuels face aux contraintes sociales. Il reconstitue avec humour et sensibilité l’histoire de Zoé, cette femme souvent évoquée dans la trilogie de Marcel Pagnol mais que l’on ne voit jamais, rejetée par ses sœurs Honorine (mère de Fanny) et Claudine (tante de Fanny), qui la perçoivent comme le déshonneur de la famille en raison de ses « mœurs » jugées légères et de ses choix audacieux.
Identité et transformation
« Zoé » est un drame intimiste qui explore les thèmes de l’identité, du changement et de la recherche personnelle, plongeant le spectateur dans l’histoire poignante d’une femme en pleine transformation. La pièce mêle humour, tendresse et mélancolie, nous offrant une vision de la vie complexe de Zoé, entre rires, larmes, révoltes silencieuses et désirs inassouvis. C’est une réflexion sur la liberté de la femme, les injustices sociales et la construction d’une existence.
Dans ce soliloque, Zoé prend vie sur scène. Cette femme vieillissante et solitaire réside dans un modeste appartement de Marseille, dans le quartier populaire de La Plaine, loin du tumulte du port.
Contexte historique
L’action se déroule dans les années qui suivent la Libération, une époque marquée par des bouleversements sociaux et culturels, où les stigmates de la guerre se mêlent aux espoirs de réinvention personnelle et collective. C’est une période où les femmes, comme Zoé, cherchent leur place dans un monde en pleine transformation, tiraillées entre l’héritage d’un passé patriarcal et les nouvelles aspirations d’indépendance et de liberté qui émergent après la guerre.
Dans ce contexte de renouveau, Zoé, en dehors des sentiers battus, incarne cette quête de soi. À travers son monologue, elle nous plonge dans une réflexion intime sur l’évolution du rôle des femmes dans la société et sur la manière dont elles redéfinissent leur identité dans un monde en perpétuel mouvement. Dans cette quête de sens, Zoé n’est pas seulement une vieille dame nostalgique, mais une femme qui cherche à comprendre son passé et à donner du sens à sa vie, malgré les épreuves et les incompréhensions. Ce texte devient ainsi une méditation sur la famille, la solitude et la façon dont les femmes, en particulier, sont jugées.
Le texte de Gilles Ascaride, riche en émotions et en réflexions, est porté par une mise en scène minimaliste mais percutante, où chaque geste et chaque silence semblent chargés de sens.
Interprétation et mise en scène
Marie Fabre, seule en scène, incarne Zoé avec une telle intensité qu’elle captive le public pendant 1h40. Son interprétation, subtile et profonde, rend pleinement justice au texte, donnant vie aux dilemmes intérieurs de Zoé, une femme qui cherche à comprendre son passé tout en apprenant à s’accepter. Son jeu, empreint d’une grande sensibilité, met en lumière les multiples facettes du personnage : entre fragilité et force intérieure, elle parvient à transmettre toute la complexité des émotions de Zoé. Particulièrement saisissante dans les moments de confrontation et d’introspection, Marie Fabre donne une profondeur supplémentaire à cette exploration psychologique et sociale. Grâce à sa maîtrise, elle offre au public une expérience émotionnelle intense et révèle toute la richesse intérieure de Zoé.
Le contraste entre la crudité du langage et la poésie de la mise en scène crée une tension dramatique saisissante, où le discours direct et sans fard de Zoé se heurte à une mise en scène subtile, souvent empreinte de poésie. Ce contraste ne se contente pas d’ajouter de la profondeur à l’œuvre ; il invite aussi à une réflexion plus profonde sur la dualité du personnage et ses luttes intérieures. Le langage cru, brut, sert à dévoiler les émotions les plus viscérales, tandis que la poésie de la mise en scène adoucit ces moments pour offrir au public une expérience à la fois intime et visuellement riche, pleine de nuances. Ce langage direct peut être interprété comme un moyen d’expression sincère, souvent associé à des personnages qui rejettent les conventions sociales. Chez Zoé, il devient une forme de résistance, incarnant une authenticité brute. Dans ce contexte, Marie Fabre se montre particulièrement à l’aise avec le texte et l’interprétation.
Ce moment théâtral riche et émouvant offre un espace de réflexion sur la manière dont chacun de nous cherche à comprendre et à redéfinir son identité dans un monde en constante évolution.
Les temps forts de la vie de Zoé
Zoé et Pompon
Zoé revient du marché, portant péniblement un lourd couffin rempli de courses. Après avoir monté cinq étages, elle entre chez elle, où son unique compagnie est son chat Pompon. Vieille dame vivant seule, Zoé parle souvent à son chat, son seul interlocuteur. Sa solitude, mise en lumière par la présence de Pompon, contraste avec l’absence de sa famille.
Zoé et le faire-part
Dans son courrier, Zoé trouve un faire-part de décès de sa sœur Honorine ravive en elle un tourbillon de sentiments contradictoires : l’amour mêlé à la rancœur envers celle qu’elle surnommait « l’adjudant-chef » et la colère contre sa sœur Claudine, « la grosse à qui on avait oublié de fabriquer une cervelle ». Ce faire-part déclenche chez Zoé une profonde introspection sur son passé et ses relations familiales. Les funérailles auront lieu le jour suivant, et Zoé se questionne sur la nécessité d’assister à la cérémonie à l’église ainsi que se rendre au cimetière.
L’Histoire de Zoé
Elle se souvient de son enfance marquée par la violence et les brimades répétées de sa sœur aînée, Honorine, de ses aventures avec des hommes (Felipe, l’amour intense mais impossible) et des femmes (Nadia, rencontrée au « Palermo » et devenue son amoureuse) qui ont croisé son chemin, mais aussi de son passage par des épreuves difficiles : l’abandon, la pression sociale, les moments de solitude et de douleur, ainsi que les réconciliations avec son passé et ses relations, qui l’aideront peu à peu à comprendre ses blessures intérieures.
Zoé est une femme à la fois indépendante et fragile, qui cherche à s’épanouir et à comprendre ses désirs. Les différents amants et relations qu’elle rencontre jouent un rôle crucial dans son cheminement personnel. Ils sont à la fois des figures d’attachement, de rupture et de redécouverte. À travers ces interactions, Zoé tente de trouver son équilibre entre liberté et besoin d’intimité, tout en se confrontant aux attentes sociales et aux défis de l’amour.
Zoé, maîtresse de son destin
Elle a toujours été une femme libre, à une époque où les femmes étaient souvent contraintes par les normes et les attentes de la société. Bien avant de comprendre ce qu’était le féminisme, Zoé en incarnait l’esprit, ne laissant personne dicter sa vie ni limiter ses désirs. Elle a vécu en dehors des conventions de son époque, refusant de se conformer aux critères moraux et sociaux imposés aux femmes de sa génération. Zoé a fait le choix de sa propre liberté, même si cela signifiait vivre dans la marginalité, braver les jugements et les reproches d’une société qui cherchait à restreindre ses choix, ses désirs et son indépendance. Cette audace, loin d’être un simple rejet des normes, était une affirmation de sa volonté d’être maîtresse de son destin.
Zoé fait le bilan de sa vie
Au crépuscule de sa vie, Zoé repense à sa jeunesse ouvrière à la fabrique d’allumettes, où elle fut séduite puis abandonnée par Felipe, un matelot espagnol, et à sa solitude actuelle. Ce retour sur sa jeunesse ouvrière est sans doute une clé pour comprendre son histoire personnelle. On peut imaginer que cette séquence représente à la fois une période de grande émotion (séduction, abandon) et un point de fracture dans sa vie, un moment où ses rêves de bonheur ont été écrasés par la réalité de ses relations familiales et sociétales.
Cercle inversé
Zoé a eu un fils, Jean-Christophe (son petit café au lait), avec un homme de couleur, un enfant né hors mariage à une époque où cela était encore lourd de significations sociales. Jean-Christophe finit par devenir instituteur, un métier que sa mère, Zoé, avait elle-même rêvé d’exercer, mais qu’elle n’a pas pu réaliser. Au-delà de sa carrière professionnelle, Jean-Christophe a dû faire face à d’autres défis : il était homosexuel, une réalité dans un monde souvent peu tolérant. Malgré les préjugés sociaux de son époque, Zoé a su accepter et soutenir son fils sans jugement. Leur relation, ainsi que les choix de vie de Jean-Christophe, révèle un cercle de transmission inversé : tandis que Zoé n’a pas pu réaliser son rêve de devenir institutrice, son fils y parvient, tout en vivant selon ses propres aspirations. Cela pourrait symboliser une réconciliation avec ses rêves non accomplis et une forme de résilience face aux obstacles sociaux. Cette histoire témoigne non seulement de l’acceptation de Zoé, mais aussi de sa capacité à dépasser les normes de son temps et à être un soutien indéfectible pour son fils, en dépit des difficultés et des tabous sociaux de l’époque.
Au fil de ses pensées et de ses souvenirs, Zoé fait face à une vie qui, bien qu’éprouvée, a été vécue avec une certaine liberté et une recherche d’inconnu.
Un roman actuel
Le roman de Gilles Ascaride dépeint le parcours d’une femme dont la vie a été marquée par des amours contrariées, des désirs inassouvis et des conflits familiaux. Ce retour sur ses souvenirs s’entremêle à une méditation profonde sur sa solitude actuelle, ses regrets et son besoin de réconciliation avec elle-même.
À travers des dialogues percutants, l’œuvre aborde des thématiques sociétales essentielles : l’homosexualité, les relations interraciales, la maternité hors mariage et le mariage de convenance. Elle explore également des questions fondamentales comme le droit de vote des femmes, la résistance pendant la guerre et les transformations politiques et culturelles de son époque, soulignant les luttes pour l’égalité, la liberté et la justice.
En traitant du métissage, des discriminations raciales et de la liberté individuelle, le roman aborde des réalités difficiles qui résonnent encore aujourd’hui. Il questionne notre regard sur l’autre, l’évolution de la société et la liberté de choisir sa propre voie, tant dans l’amour que dans la vie. L’œuvre met en lumière des sujets toujours actuels : la condition féminine, les préjugés raciaux, le métissage et la défense des droits fondamentaux. Elle interroge également l’autonomie corporelle, l’indépendance personnelle et les choix de vie, révélant les tensions entre conventions sociales et aspirations individuelles.
Dans ce monologue, Ascaride propose une réflexion intime sur la quête de sens et de réconciliation avec soi-même. Zoé, malgré les épreuves, affronte son existence avec résilience et dignité. Sa quête dépasse la recherche d’une reconnaissance extérieure : elle vise une paix intérieure avec ses décisions, aussi douloureuses soient-elles. Son parcours, bien que difficile, devient un cheminement vers la compréhension et l’acceptation de son passé, lui permettant de retrouver sa dignité.
Là où Pagnol dressait le portrait d’une femme amorale, Ascaride révèle une figure féministe avant-gardiste.
Leïla METINA-BOUCHOUR
Photo de une : Gilles Ascaride et de Marie Fabre ©Leïla Metina-Bouchour
Texte publié aux éditions du Fioupélan.
Bon à savoir
Gilles ASCARIDE écrivain, comédien et dans une autre vie sociologue au CNRS, est né à Marseille. Fondateur et figure de proue du mouvement « Overlittérature », il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, allant du roman à l’essai, en passant par la nouvelle, le théâtre et le journal de voyage. Certains de ses ouvrages ont été traduits en italien, témoignage de son influence au-delà des frontières. Reconnu pour son écriture vive, percutante et souvent subversive, Ascaride s’illustre par sa capacité à bousculer les conventions littéraires tout en explorant des thématiques sociales, politiques et humaines.
Marie Fabre est une artiste et comédienne française, reconnue pour sa polyvalence et la profondeur de ses interprétations. Sa carrière, entre théâtre et cinéma, fait d’elle une figure incontournable, aussi bien pour son talent d’actrice que pour ses qualités d’écriture. Son parcours artistique se distingue par un équilibre rare entre une sensibilité contemporaine aiguisée et une maîtrise des classiques, tout en étant marqué par un engagement constant dans des projets théâtraux qui interrogent des thématiques sociales, féministes et humaines. À travers ses créations, elle offre une réflexion puissante sur les rapports de pouvoir, les inégalités de genre et la place de la femme dans la société. Elle explore les sujets les plus complexes avec une finesse de ton qui permet une véritable prise de conscience chez le spectateur. Ses pièces sont saluées tant par la critique que par le public appréciant son approche innovante.
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