L’Univers & la vie de Véronique Bréchot, Michel Marcelin
Un livre, éditions Hachette, 240 pages, 35€
I Panorama historique
Microcosme et macrocosme
Le ciel au-dessus de nos têtes, le soleil, sa course le jour, avec l’alternance de la nuit ; la lune et ses phases, les effrayantes fugaces comètes, les étoiles, parfois filantes, leur éclat divers et leurs positions en constellations, leurs agglomérations en galaxies : cloués par les pieds à la terre, les hommes, rêvant d’un impossible envol, les yeux au ciel, les ont toujours mirés, admirés, redoutés, favorables ou néfastes. Ils les ont passionnément interrogés comme des signes en lettres lumineusement obscures sur la page ténébreuse du ciel, qu’on a toujours obstinément voulu défricher, déchiffrer pour y lire des messages, nos destinées, d’autant que chacun était assigné de naissance à une bonne ou mauvaise étoile, nos proches planètes affublées de noms de fables mythologiques, ou d’un fabuleux bestiaire pour les constellations. Tout comme la théorie terrestre des climats et humeurs caractérisait des tempéraments, chaud, froid, sec, humide, la course des planètes dans le zodiaque et leurs attributs déterminaient, une psycho astrologie, sinon une destinée percée ou perçue par l’horoscope, le thème astral fatal.
Sans se savoir encore, comme aujourd’hui « poussière d’étoile » selon la définition d’Hubert Reeves, l’Homme, défini comme microcosme par les Grecs, s’est donc toujours senti intuitivement solidaire ou tributaire du macrocosme et il semble avéré que les Gaulois craignaient que le ciel ne leur tombât sur la tête.
Astronomie, astrologie
Notre culture a hérité des Chaldéens les prémices d’une science, astronomie ou astrologie, longtemps confondues, non sans polémiques avec la religion. Dans la Bible, entre autres dans le Deutéronome (18.10-14), on trouve la réprobation de la divination, de l’astrologie, ce qui n’empêche pas de révérer les astres qui manifestent la grandeur de Dieu. Au Moyen Âge, Thomas d’Aquin (1226-1274) ne récuse pas une influence des astres sur le comportement humain ; de grands astrologues, comme nombre de savants, sont des hommes d’Église, tels le moine anglais Roger Bacon (1214-1294) ou, à la fin de la Renaissance, l’ancien carme Junctin de Florence (1522-1580)[1]. En tous les cas, les signes du zodiaque qui parsèment églises et cathédrales gothiques, autant que des motifs ornementaux, sont reflets de l’ordre cosmique enchâssés dans les thèmes bibliques, offerts à la lecture visible de tous les croyants, savants ou ignorants, avec des associations numériques séduisantes, pour une année christique, douze mois, douze apôtres et douze signes astrologiques.
Mais on impute à l’astrologie une conception déterministe du destin, « écrit dans les étoiles », et un désir sacrilège de maîtriser l’avenir qui n’appartient qu’à Dieu. Après le Concile de Trente (1545-1563) l’Église de la Contre-Réforme condamne ouvertement mais mollement l’astrologie mais ferme les yeux sur la pratique commerciale des horoscopes, dont les astronomes-astrologues officiels, jouissant de hautes protections, tel Nostradamus (1503-1566), ou Georg Faust (1480-1540), tirent souvent leur gagne-pain, comme encore Galilée (1564-1642). Ses prédécesseurs, Tycho Brahe (1546-1601) et son élève Kepler (1571-1630) tout autant auteurs d’horoscopes n’en sont pas moins d’éminents astronomes : on doit au premier de précieuses observations qui le conduisent à remettre en cause l’immuabilité du monde supra-lunaire selon Aristote, quant à Kepler, tout en confirmant l’héliocentrisme du mathématicien Copernic (1473–1543) contre le géocentrisme religieux, qui détrônait la terre de sa place centrale immobile pour la donner au soleil, il en réfute les cercles parfaits que décriraient les orbes des planètes pour prouver que ce sont des ellipses.
L’Église, obscurantiste, qui ignore longtemps le chanoine Nicolas Copernic, qui condamne Galilée qui prouvera cet héliocentrisme, se hausse et chausse de pseudo-science pour stigmatiser l’astrologie comme vieille superstition. Paradoxalement, ce sont les esprits éclairés qui la défendent au nom de la nature : si tout le monde s’entend pour croire à l’influence de la lune sur la terre, avec les marées, les cultures, sur les humeurs (les lunatiques) et, pensait-on aussi alors, le cycle des femmes et les naissances, il n’y avait pas de raison de dénier aux astres une influence sur les hommes : croire en l’astrologie arrachait l’homme à l’ordre du mystère divin de la Providence, dont l’Église se gardait la jalouse possession, pour le rendre par la claire raison de la science à celui de la nature, dont l’homme doit se rendre maître et possesseur selon Descartes. Combat sourdement secret mais pugnace entre le spirituel et le matériel, la foi aveugle et la lumière de la raison. La position moyenne générale entre prédestination astrale et libre arbitre, est formulée par la pièce de Calderón La Vida es sueño, ‘La Vie est un songe’, qui met en scène un roi astrologue : les astres inclinent mais ne forcent pas.
(On peut en sourire : un porte-parole de François Bayrou disait récemment à la télévision qu’il était sûr d’être nommé Premier ministre car il avait pour lui « l’alignement favorable des planètes. »)
Infini
Le philosophe astronome Giordano Bruno (1548-1600) paiera sur le bûcher à Rome en 1600 sa réfutation de la cosmologie biblique défendue par l’Église, sa défense de l’héliocentrisme de Copernic et sa théorie, héritée de Nicolas de Cues, de l’univers infini dépourvu de centre et de circonférence, peuplé d’une « quantité innombrable d’astres et de mondes identiques au nôtre. »
Attribut de Dieu, l’infini n’est pas pensable par l’homme, mais s’infiltre insidieusement dans la réflexion au tournant des XVIe et XVIIe siècles et, s’il ne peut avoir de figure, j’en ai traqué les figurations[2] à l’époque baroque, saisie, bien avant la nôtre, de folie quantitative à force de comptabiliser, indexer, numéroter le monde qu’on explore pour l’exploiter, de la géographie de la terre à celle intime de l’homme : Friedrich Spee suppute le nombre de respirations quotidiennes et les pulsations de notre sang. Jérémie Drexel, c’est de l’éternité dont il donne le chiffrage, qui dépasse tout calcul et va « jusqu’à l’infini. »[3]
Avec prudence, Descartes dira que notre esprit qui est fini ne peut comprendre l’infini. Une génération plus tard, Pascal, reprenant la formule de Nicolas de Cues définit ainsi l’univers :
« C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. »
Képler, comme gêné que son système des orbes ellipsoïdaux, elliptiques, des planètes contrevienne à la perfection circulaire de Copernic, dans Harmonices Mundi (1619) lui donne une justification musicale, par une musique des sphères, donnant à chaque planète de notre système, une tessiture : Saturne et Jupiter sont des basses ; Mars est ténor, la Terre et Vénus alto et mezzo, Mercure soprano. Résolvant, dirait-on en musique, la dissonance ellipsoïdale, il renoue de la sorte avec l’idée d’un univers ordonné selon l’harmonie musicale des sphères de Pythagore et Ptolémée. Et de fait, comme si l’on ne pouvait renoncer à la rassurante harmonie de l’univers, l’astrologie reste présente dans les traités de théorie musicale de la fin du XVe siècle néo-platonicien au début du XVIIIe… Pourtant, Pascal écrivait : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie »
Siècle nouveau
Si tout siècle qui arrive s’estime « nouveau » par rapport à l’ancien, je ne crois pas trouver dans notre Histoire une telle revendication de nouveauté, un tel enthousiasme du nouveau, du neuf, qu’entre les XVIe et XVIIe siècles : j’ai pu faire plusieurs chapitres d’un de mes livres[4] de ces fières proclamations de nouveauté, de cette profusion de véritables manifestes du nouveau dans tous les ordres, des arts aux sciences, une veine ou mode de revendications novatrices qui perdure au moins un demi-siècle, apparemment jusqu’à Paralela geographiæ veteris et novæ du Père Briet en 1646, la nouvelle géographie, en considérant que la date de parution n’est que la limite ultimede tout le travail préalable.
Comme un symbole, comme les Musiche nove de Caccini qui théorisent la nouvelle musique, parues aussi en 1600, le De Magnete, de l’Anglais William Gilbert, offre une façon nouvelle de « philosopher », une approche scientifique. À cheval entre les deux siècles, les découvertes, les inventions scientifiques se succèdent : Astronomia nova (1609) de Kepler ne précède que d’un an la première observation en 1610, grâce à sa lunette, de Galilée, qui publiera en 1638, son Discours concernant deux sciences nouvelles qu’il a mises au point dans son travail antérieur. C’est vers 1600 aux Pays-Bas que les progrès de la microscopie optique permettent l’invention de la lunette astronomique et celle du microscope, sans doute par Zacharias Jensen. Nouvel état bouleversant du monde, ce que l’on pouvait estimer alors l’infiniment grand et l’infiniment petit effraie et fascine le janséniste Pascal, homme de science et de foi, inventeur d’une machine à calculer, qui exprime avec angoisse la grandeur et la misère de l’homme entre deux infinis…
II Panorama télescopique
…et, dans une continuité historique humaine d’intuitions naïves ou d’interrogations savantes qui vont de Ptolémée à sa représentation du cosmos, à l’approche déjà scientifique de Copernic, Képler, à leurs théories, l’homme, face au macrocosme, avec un troublant sentiment d’anamnèse, de réminiscence qui nous étreint du constat de cette constance dans le questionnement, l’homme, défini par les philosophes anciens comme un microcosme, est réellement prouvé comme tel par les moyens les plus puissants de la science moderne, grâce au microscope électronique :
« si l’on déroulait et collait bout à bout toutes les molécules d’ADN des chromosomes de toutes les cellules de notre corps, on attendrait une distance d’environ 70 milliards de km, soit 180 000 fois la distance de la terre à la lune, ou presque 500 fois la distance de la Terre au Soleil ! » (L’Univers& la vie, p.30)
C’est, entre autres informations vertigineuses sur nous et notre situation dans l’univers, celle que nous apportent paisiblement Véronique Bréchot, biologiste et Michel Marcelin, astrophysicien, dans leur ouvrage L’Univers & la vie. C’est un somptueux volume magnifiquement relié, couverture bleu nuit comme un ciel d’été semé d’étoiles avec des amorces en spirales de galaxies. Le titre est surimprimé en or solaire dans une destructuration verticale syllabe par syllabe en gros caractères … « & et la Vie », horizontalement, en petit, comme si la vie, même magnifiée par la majuscule, n’était —ou n’est— qu’une grandiose mais infime partie dans le gigantisme incommensurable de l’univers. C’est un précieux album illustré de photos à couper le souffle de beauté de ce ciel, prises de télescopes les plus puissants, avec les études, concrétisées sur les bases scientifiques qui nous resteraient abstraites, par des vues d’artistes, l’art au service de la science précise, des visions, des images comblant notre soif de voir, notre imagination, sans compter aussi notre esprit, comblé d’explications lumineuses sur les questions obscures de cet univers apparemment insaisissable comme les fuyantes galaxies dont Michel Marcelin est le spécialiste.
Michel Marcelin, Véronique Bréchot
Durant un temps efficace Secrétaire de l’Académie des Sciences, Lettres & Arts de Marseille, Président en janvier, c’est un très grand savant auprès duquel on se sentirait tout petit si sa simplicité n’égalait la complexité et la hauteur de sa science qui a une altitude, disons, littéralement, astronomique. En effet, il est un astrophysicien réputé, c’est-à-dire un physicien qui étudie les astres, entendu au sens large d’objets de l’univers, étoiles, planètes, etc. Directeur de recherche émérite au CNRS, Président du Conseil Scientifique du Centre d’Astronomie de Saint Michel l’Observatoire, il est spécialiste de l’étude de la cinématique des galaxies. Au cours de ses missions, il a observé le ciel, le cosmos, sur de nombreux télescopes dans le monde (dans le Caucase, en Arménie, à Hawaï, au Chili, et bien sûr en Haute Provence). Il en a tiré non seulement une vaste production scientifique spécialisée, mais cette science pointue, avec le talent modeste de redescendre de ses hauteurs, il la met avec pédagogie, dans des ouvrages accessibles, au niveau du public.
En effet, parallèlement à ses écrits professionnels, il est auteur une dizaine au moins d’ouvrages de vulgarisation au plus haut et noble niveau d’astronomie chez Hachette, dont L’Astronomie qui avait obtenu le prix du livre d’astronomie. On en peut juger par le site FNAC à son nom.
Sa jeune et précieuse collaboratrice Véronique Bréchot est directrice de recherche du CNRS au laboratoire Bioénergétique et Ingénierie des Protéines de l’Institut de Microbiologie de la Méditerranée de Marseille. Ses travaux sont reconnus, primés : les Prix du Jeune Chercheur de la Société Française de Biophysique et le Prix Maurice Nicloux de la Société Française de Biochimie et Biologie Moléculaire ont couronné déjà ses recherches. Elle s’intéresse à la structure des macromolécules biologiques, en particulier aux mouvements et à la dynamique de certaines protéines. Elle a écrit plusieurs articles pour des revues de vulgarisation comme La recherche. Elle a traduit de l’anglais en 2003, aux éditions Belin, l’ouvrage de Michael Gross, La Vie excentrique. Voyage dans les Mondes Extrêmes, découverte sidérante d’une vie excentrée de toutes nos références, dans des milieux impensables jusque-là : l’extrême froid, l’extrême chaud, l’extrême obscurité, qui permet et promet une bouleversante nouvelle lumière sur cet éventail, ce spectre bien vivant de vie élargie au-delà ou en-deçà de ce que nous croyions, puissance vitale projetée ici, des abysses ou abîmes de la mer ou de la terre, aux confins indéfinis de l’univers.
C’est un apport capital, je dirais capiteux tant il fait tourner la tête, retrouvant les vertiges formulés par l’intuition de Pascal entre ce souffle infini du cosmos et la respiration, le soupir infime du microcosme, dans une initiale explosion et expansion infinie de vie en devenir, d’abord informe, puis uniforme, multiforme, ou protéiforme inconnue encore, sans apparente solution de continuité, comme les galaxies dans leur course.
Leur livre, L’Univers & la vie, est donc à la fois une plongée dans le noyau intime, infinitésimal de vie micro-microcosmique au sens strict, tout aussi vertigineuse que la contreplongée vers le cosmos. Et, à voir la beauté saisissante des images, photos ou peintures, qui accompagnent le texte, je ne peux m’empêcher de rappeler que le mot « cosmos » vient du grec kosmos, qui signifie « l’art de la beauté » (d’où ‘cosmétique’) autant que « monde », qui, on l’oublie, signifie aussi ‘beau, pur’ avec son antonyme « immonde », et la biblique répartition de « bêtes mondes et immondes », même si nous n’en avons gardé, que l’écho musical, comme une vibration harmonique, d’une lointaine expression, « monder » certains fruits, « émonder un arbre », l’élaguer pour le rendre plus beau. Des Grecs encore, d’Aristote à Platon jusqu’au néo-platonisme de la Renaissance et Copernic et ses orbes circulairement parfaits, nous avions hérité cette conception d’un cosmos harmonieusement arrangé même si cette notion de « cosmos » est élargie, dépassée ou contredite par celle d’« univers », ensemble de tout ce qui existe, comprenant la matière originelle, l’énergie et les êtres vivants.
Le livre est divisé en cinq grands chapitres, très détaillés :
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- De la naissance de l’univers à la formation du système solaire ;
- La vie sur terre, aujourd’hui et depuis ses origines ;
- La vie dans le système solaire ;
- Les exoplanètes ;
- Quelle vie ailleurs et comment communiquer
De la naissance de l’univers à la formation du système solaire.
Si, selon l’Évangile de saint Jean, au début était le Verbe, c’est le Big Bang, bien banal en bavardages aujourd’hui sinon bien connu, qui est au début, à la naissance de l’univers, explosion gigantesque.
Dans une de ses conférences si plaisamment éclairantes et imagées, et dans un article que je cite[5], Michel Marcelin synthétisait prodigieusement la chronologie des événements survenus dans l’Univers depuis sa naissance, il y a 13,8 milliards d’années. Il ramenait son histoire sur une année, du Big Bang le 1er janvier à 0 h, jusqu’à aujourd’hui le 31 décembre à minuit. « Chaque seconde de ce calendrier cosmique représente donc environ 400 ans. » Cela nous donne l’échelle vertigineuse de notre univers, dans la mesure où l’on puisse la concevoir !
C’est dans la première fraction de seconde de ce calendrier cosmique qu’apparaissent les premiers éléments chimiques, « la nucléosynthèse primordiale » : principalement de l’hydrogène et de l’hélium, un peu de lithium, de béryllium et de bore. « Le 3 janvier s’allument les premières étoiles, qui s’assemblent ensuite pour former des galaxies dont les premières apparaissent vers le 10 janvier. C’est à ce moment-là que se forme notre Galaxie, la Voie Lactée », qui prendra plus tard sa forme actuelle. « Le Soleil et ses planètes sont âgés de 4,5 milliards d’années », et apparaissent vers le 25 août.
Si, pour donner des repères, nous accélérons dans ce calendrier cosmique au temps infiniment long si pédagogiquement condensé en un an par Marcelin, les premiers organismes vivants, des bactéries, apparaissent vers le 20 septembre, la vie se diversifiant « avec les poissons et les vertébrés (…) vers la mi-décembre, les premières plantes (…) le 19 décembre, les insectes le 21, les dinosaures le 25, suivis des mammifères le 26, des oiseaux le 27 et des fleurs le 28 ». Et Marcelin conclut son vertigineux calendrier cosmique accéléré en nous y plaçant :
« Le 31 décembre, dernier jour du calendrier cosmique, apparaissent cétacés et primates, l’australopithèque fait son apparition à 21h ce même jour et, enfin, l’homo sapiens à 23h56mn. L’homme de Cro-Magnon apparaît à 23h58mn, soit 2 minutes à peine avant la fin du calendrier cosmique à minuit, l’invention de l’alphabet 10 secondes avant minuit, la naissance du Christ 4 secondes avant minuit et la Renaissance 1 seconde avant. »
Nous voilà donc placés ou replacés à notre juste place, misère et grandeur de l’homme comme disait Pascal que je ne peux m’empêcher d’invoquer en évoquant cet infini. « Le moi est haïssable », disait-il, un ego, dis-je, enflé assurément à son orgueil planétaire, plaçant durant si longtemps avec le géocentrisme, notre Terre au centre du monde, du cosmos, de l’univers, majestueusement immobile, avec les planètes menant, harmonieusement autour d’elle, leur danse d’une perfection circulaire.
En 1543, deux ans avant le début du Concile de Trente qui devait instaurer un état renforcé de la religion et de sa cosmologie, l’héliocentrisme démontré par Copernic, ne changeait rien à l’ordre intellectuel auto-satisfait d’une Terre et d’un Homme au centre de l’univers, contemplés amoureusement, de sa septième sphère, par un Dieu créateur et suprême artifex, suprême artiste, référence autant éthique qu’esthétique, son cosmos parfait, antithèse du chaos du monde, offrant la modélisation de l’art néo-platonicien de la Renaissance.
Mais, avec les moyens actuels de connaissance et d’observation scientifiques, Marcelin renvoie notre orgueil terrestre, solaire et même galactique dans les filets, à l’aune de l’univers aujourd’hui connu, bref, à sa petite échelle :
« On sait aujourd’hui que nous habitons sur une petite planète, en orbite autour d’une étoile banale, le Soleil, comme il y en a des centaines de milliards dans notre Galaxie, la Voie Lactée. Cette dernière est d’ailleurs une galaxie spirale qui n’a rien d’extraordinaire, perdue au milieu des dizaines de milliards de galaxies qui peuplent l’Univers. »
On nous concède au moins le privilège d’avoir une situation particulièrement favorable de notre système solaire : ni trop près du Soleil comme Mercure et sa température de près de 400°, ni trop loin comme nos sœurs géantes, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, aux températures échelonnées de —100°C pour la première à —200°C pour la dernière. Ce confort de la « zone habitable » nous offre le luxe unique d’être la seule planète du système solaire où l’eau se trouve sous ses trois formes : liquide, solide (glace, neige) et gaz (vapeur d’eau). En revanche, nos proches voisines de la zone habitable, Vénus et Mars, couple d’amants de la mythologie, Amour et Guerre, ne jouissent pas de notre bonheur tranquille, la première, proche en taille de la terre, ardente, incandescente, est plus sulfurique que sulfureuse métaphoriquement ; la seconde, plus petite, n’a pas fini de livrer ses secrets par son exploration, avec sans doute, des rêves d’exploitation.
La vie sur terre, aujourd’hui et depuis ses origines
Posé ce cadre général posant le regard macroscopique vers le haut, sur l’univers captable aujourd’hui, à l’inverse, le long chapitre 2, scrutant avec les moyens d’aujourd’hui l’extrême microscopique, est tout aussi fascinant, tourné non sur notre nombril, mais, pratiquement, sur notre être biologique avec la question primordiale « Qu’est-ce que la vie ? » et ses corollaires : comment la définir, qu’est-ce que l’inerte et le vivant ? Examen précis, aux extrêmes microscopiques connaissables des observations au microscope électronique, qui va de la cellule primordiale aux cellules plurielles, les molécules de la vie, les protéines, les glucides, les lipides jusqu’à l’ADN et son ancêtre l’ARN. Sans oublier le virus.
Il y a un parcours tout aussi passionnant des conditions nécessaires à l’éclosion de la vie, énergie, matière, carbone, azote, phosphore, silicium et l’eau, « molécule exceptionnelle ». On nous fait suivre les plus vieilles traces des origines de la vie sur terre des cellules primitives jusqu’à aujourd’hui, son évolution, avec des étapes, la disparition des dinosaures de l’apparition de l’homme.
Se pose alors la lancinante question : la vie sur notre planète bleue (dont on nous explique la couleur), serait-elle notre privilège exclusif, notre orgueilleux apanage ? Est-elle exceptionnelle, unique ou universelle au sens précis : généralisable à l’univers ?
Les trois chapitres suivants font rêver ou cauchemarder.
La vie dans le système solaire
Les éléments chimiques étant les mêmes partout dans l’Univers et les éléments spécifiques à la vie, le carbone, l’hydrogène, l’oxygène, l’azote et le phosphore y abondant, posées les prémisses de ce presque syllogisme, la conclusion est forcément logique : tout laisse penser que la vie a pu apparaître ailleurs, sur d’autres terres autour d’autres étoiles, d’autres soleils.
Longtemps pressenties mais impossibles à détecter, ce n’est qu’en 1995 que la première planète en orbite autour d’une autre étoile que le Soleil a été perçue. Les premiers observateurs, deux Suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, reçurent le Prix Nobel en 2019, mais ils durent leur découverte, signale Michel Marcelin, à André Baranne, astronome à l’Observatoire de Marseille, concepteur du spectrographe Élodie qui permit cette découverte avec le télescope de 1,93 m de l’Observatoire de Haute Provence (p.113).
Quoiqu’il en soit, les techniques de détection permettaient surtout de détecter les grosses planètes, mais on a commencé aujourd’hui à repérer des planètes de taille comparable à la Terre, certainement beaucoup qui ressemblent à la nôtre, sises dans la zone habitable de leur étoile. L’Univers étant constitué de dizaines de milliards de galaxies contenant chacune des centaines de milliards d’étoiles, qui sont pour la plupart entourées de plusieurs planètes, nous sommes encore saisis de vertige à tenter d’imaginer ce nombre.
Les plus avisés ou versés en science liront avec intérêt les différentes méthodes sophistiquées pour détecter ces exoplanètes, dont environ 6000 ont été à ce jour comptabilisées. Des esprits curieux s’attarderont à l’historique de la croyance aux extraterrestres (p. 138), de plus badins s’amuseront au mythe déjà ancien des Martiens, propagé par la fiction littéraire, les BD et le cinéma, dont le pape François, avec humour disait en 2014 qu’il n’hésiterait pas à baptiser un petit bonhomme vert, s’il y consentait. Avec sérieux, on se penchera sur « Les religions et la vie ailleurs » (p. 141), un survol des religions du Livre, les trois monothéismes, et l’on appréciera le chemin, aveugle et sourd, de la catholique : ayant brûlé vif Giordano Bruno pour avoir anticipé ce que la science d’aujourd’hui corrobore, et condamné Galilée en 1633 pour son héliocentrisme, exigeant du savant une humiliante rétractation publique.
Et je rappelle que ce n’est qu’en 1981, près de cinq siècles après, que le dossier demandé par Jean-Paul II commence à être réexaminé. Et il faut encore onze ans, le 31 octobre 1992, pour que le cardinal Paul Poupard présente au Pape le rapport final des travaux de la Commission, et que Jean-Paul II prenne enfin position. Enfin, dans un discours à l’Académie Pontificale des Sciences, le pape Jean-Paul II annonce solennellement que l’astronome Galileo Galilei (1564-1642) est réhabilité, ne reconnaissant —quelle reconnaissance !— dans son discours, sans condamner l’Église, qu’une « tragique incompréhension réciproque » dans le procès de 1633. Et le paradoxe, aujourd’hui, c’est que cette Église, qui a des chercheurs théologiens dans son Observatoire astronomique du Vatican, participant à la recherche des exoplanètes, semble accepter qu’il n’y a pas conflit entre foi et raison, Croyance et Science, adhérant, dans une ironie involontaire à la théorie prêtée au savant philosophe et théologien musulman de l’Espagne médiévale, Ibn Rochd de Cordoue, latinisé en Averroès : celle des deux vérités.
Est posée alors la palpitante question :
Quelle vie ailleurs et comment communiquer ?
Si la vie est probable dans quelque planète, il est hélas certain qu’elle restera fatalement hors de notre portée, vues les distances à parcourir pour l’atteindre. En orbite autour de l’étoile Proxima du Centaure, l’exoplanète la plus proche de nous, est à plus de 4 années-lumière de la Terre et il faudrait plusieurs milliers d’années à un vaisseau spatial pour s’y rendre avec les techniques actuelles (p. 213). Et quels cosmonautes longèves pour y porter témoignage d’une civilisation sans doute disparue depuis longtemps ! La vitesse de la lumière semble une « une barrière physique infranchissable » (p. 214)
Pour porter notre voix, reste la radio et, en 1974, on a émis un signal radio à de potentiels extraterrestres « en direction de l’amas globulaire M13, composé d’environ 500 000 étoiles. Mais cet amas est situé à 25 000 années-lumière et notre message, qui voyage à la vitesse de la lumière, y arrivera donc dans 25 000 ans, si quelqu’un le capte et y répond, cette réponse nous parviendra dans 50 000 ans ! » Constats décourageants, mais pas pour les chercheurs qui persistent et signent des messages, images et sons divers dans les sondes spatiales Pioneer 10 et 11 Voyager 1 et 2 n 1972 et 1973, les premières à être sorties du système solaire… mais « elles ne passeront pas avant des milliers d’années près d’une étoile. »
Mais à supposer, selon toute probabilité statistique, qu’il y ait vie dans quelque planète, étant donné que toutes sont différentes, de quel type de vie peut-il s’agir, que nous imaginons, par projection, à l’image de la nôtre, intelligente. Cependant, si nous nous focalisons, naturellement sur les planètes, des recherches récentes témoignent d’une vie interstellaire, comme en suspension dans le vide.
Si vide il y a, question qu’à lire, regarder, m’émerveiller de ce livre finalement si poétique, je me pose, avec d’autres qui s’ouvrent à moi : qu’y a-t-il au-delà du système observable ? Si pauvres humains, même poussière d’étoiles, nous sommes dans la fatale finitude, l’univers est-il fini ou infini ?
Et pour finir, je ne puis m’empêcher d’en revenir encore à Pascal, répétons-le, homme de science et de foi, et ses angoisses :
« Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. »
Mais je ne partagerai pas le pessimisme de sa dernière phrase puisque ces chercheurs, tout en admettant modestement la part d’ombre qu’il y a dans toute connaissance, nous rendent moins ignorants par leurs travaux savants mis à notre portée. Descartes, dans un souci de diffusion de son œuvre était passé du latin des savants au français, et l’on voit, même dans la dérision de la comédie, que son œuvre « ruisselle », sinon au sens économique du terme, à l’intellectuel, même chez les Femmes savantes de Molière qui peuvent parler de l’antique théorie des « atomes crochus » qu’il remet à la mode, sans compter qu’elles ont chez elles « Cette longue lunette à faire peur aux gens », qui agace le grincheux Chrysale qui les invite prosaïquement à
« Ne point aller chercher ce qu’on fait dans la lune
Et vous mêler un peu de ce qu’on fait chez vous ».
Au contraire, nous saluerions bien bas non seulement ces « bas bleus » férues de savoir, de science, mais toute l’utile cohorte des mondains, des snobs d’hier et d’aujourd’hui qui font écho public aux découvertes parfois intimes, les tenant quittes de leurs erreurs ou errements, telle cette marquise, invitée à l’Observatoire de Paris par le grand Cassini (1625-1712), pour voir une éclipse de lune. Risquant de rater le rendez-vous, attardée à se parer coquettement de mouches, à son chevalier servant qui la houspillait :
« Hé, Madame, vous allez rater l’éclipse ! »
—M. Cassini est un homme du monde, répondit-elle, il fera bien attendre son éclipse jusqu’à ce que j’arrive ! »
Ce n’est sûrement pas à cette folâtre et égolâtre marquise que Fontenelle (1657-1757) dédie en 1686 ses Entretiens sur la pluralité des mondes, un essai savant sur l’astronomie qu’il veut rendre sensible, accessible, par son style, aux dames. Utile vulgarisation mondaine alors, nécessaire promotion de la science aujourd’hui par le généreux partage public. Et je ne peux que saluer, dans ce livre, enrichi d’un Glossaire explicatif de termes savants ce que je disais en quatrième de couverture du mien sur les Figurations de l’infini :
« La politesse du savoir est d’être communicable. »
Dans la pensée aristotélicienne, le monde céleste tendait à la perfection, avec les corps célestes qui semblaient être des sphères parfaites circulant sur des orbites parfaitement circulaires, alors que le monde terrestre, sublunaire, semble condamné à l’imperfection. Ces deux mondes ne pouvaient donc pas être liés.
Aristarque de Samos (310 av. J.-C. – 230 av. J.-C.) fut le premier à mettre en avant l’idée selon laquelle le mouvement des corps célestes pouvait s’expliquer par la rotation des planètes du système solaire (dont la Terre) autour du Soleil.
Benito Pelegrín
[1] Fin du XIXe siècle et début du XXe siècle : Plusieurs traités d’astrologie en France sont écrits par des prêtres.
[2] Voir Benito Pelegrín, Figurations de l’infini, Seuil, 2000, 464 p.
[3] Ibid., Première Partie, 1. De l’espace illimité à la mesure infinie du monde, géographie, science, musique, p. 56.
[4] Cf D’Un temps d’incertitude, II. Nouveau, moderne, credo baroque : nouveau ; III. Nouveau, moderne : manifestes de la nouveauté ; IV. Nouveau moderne : mode ; V Du culte du nouveau à la culture du temps, p.151-194 , Sulliver, 2008.
[5] « Sommes-nous seuls dans l’Univers ? » in Lux in Nocte, N°29, 31décembre 2024.
Photo de Une: Voie Lactée Australe
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